Titre original: | The Life of Chuck |
Réalisateur: | Mike Flanagan |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 111 minutes |
Date: | 11 juin 2025 |
Note: |
Il existe très peu de films qui semblent provenir d'un endroit situé au-delà des genres, au-delà des formules, voire au-delà même de la narration elle-même, des films qui semblent puiser dans quelque chose d'élémentaire et d'inexprimable sur la condition humaine. The Life of Chuck, réalisé et scénarisé par Mike Flanagan, est l'un de ces rares miracles cinématographiques, un véritable joyau cinématographique. Adapté d'une nouvelle tirée du recueil If It Bleeds de Stephen King, ce film n'est ni un film d'horreur traditionnel, ni une œuvre de science-fiction ou un drame au sens strict du terme. Il s'agit plutôt d'une élégie métaphysique et d'une lettre d'amour à la vie intérieure que nous portons tous en nous, à l'infinie multitude qui se cache dans chaque individu. Ce film commence par l'effondrement du monde et se termine par le frémissement de l'émerveillement enfantin, remontant le temps pour nous rappeler que même la plus petite vie recèle des galaxies. Avec ce chef-d'œuvre audacieux, vulnérable et qui défie les genres, Mike Flanagan ne se contente pas de confirmer son statut de grand réalisateur, il consolide sa place parmi les voix cinématographiques les plus essentielles d'aujourd'hui. Ce n'est pas seulement son meilleur film, c'est une œuvre déterminante du cinéma du XXIe siècle, et peut-être l'adaptation la plus émouvante de Stephen King jamais réalisée.
L''histoire se déroule à l'envers, divisée en trois actes qui dévoilent les différentes facettes de l'existence de Chuck Krantz, comme une rose en pleine floraison prise dans un mouvement de rembobinage. Dans le troisième acte, le film s'ouvre sur un monde qui glisse vers un Armageddon silencieux. La Californie a disparu, engloutie par le Pacifique ; les oiseaux disparaissent en plein vol ; Internet est hors service, et même le réconfort bon marché des contenus pour adultes en streaming s'est évaporé dans le vide numérique. Mais ce qui dérange le professeur de lycée Marty Anderson, interprété avec une fatigue réaliste par Chiwetel Ejiofor, est encore plus étrange : un nombre croissant de panneaux d'affichage et de publicités remerciant un personnage anonyme nommé Charles Krantz pour 39 années formidables. Alors que les villes brûlent et que la société s'effondre, le visage souriant de Chuck apparaît sur les écrans de télévision qui ne diffusent plus d'informations, sur des affiches agrafées à des lampadaires à moitié détruits, et même projeté dans une lueur verte inquiétante sur les bâtiments. Et pourtant, personne ne sait qui il est. Ce mystère absurde mais étrangement poignant constitue le cœur émotionnel du premier chapitre du film, une méditation sur la fin du monde qui ose se demander si, parfois, la fin de la vie d'une personne est la fin du monde lui-même. Mike Flanagan dépeint l'apocalypse non pas comme un événement explosif, mais comme une lente érosion, une désintégration silencieuse qui reflète le chagrin et la mortalité avec une précision douloureuse. C'est le genre d'angoisse existentielle qui couve lentement et qui semble profondément personnelle, mais qui est pourtant partagée par tous, faisant écho aux angoisses liées à la pandémie, à l'effondrement climatique et à l'engourdissement émotionnel.
Ce qui suit dans le deuxième acte est tout à fait inattendu. Nous rencontrons Chuck, incarné par Tom Hiddleston dans ce qui est peut-être la meilleure performance de sa carrière, non pas parce qu'elle est grandiose ou spectaculaire, mais parce qu'elle est modeste, sincère et nue dans sa clarté émotionnelle. Chuck est un comptable qui assiste à une conférence d'affaires lorsqu'il est soudainement emporté par le rythme d'un batteur de rue (Taylor Gordon) et se lance dans une danse spontanée. Ce moment est joyeux, absurde et profondément émouvant. C'est une célébration de la présence, de la spontanéité, de la vitalité rebelle. Chuck entraîne une inconnue dans son sillage, Janice, une femme au cœur brisé incarnée par Annalise Basso, et ensemble, ils se perdent dans le mouvement. La danse, chorégraphiée avec une humanité touchante par Mandy Moore, devient l'axe émotionnel du film. Dans un film moins réussi, cela aurait pu sembler mièvre ou manipulateur. Ici, c'est transcendant. Cela évoque ces quelques secondes fugaces où nous sommes le plus nous-mêmes, sans défense, joyeux, pleinement vivants. Cette séquence vaut à elle seule le prix du billet. C'est une alchimie cinématographique qui mêle musique, performance et sous-texte émotionnel d'une manière que les mots ne peuvent pleinement rendre. Et dans le contexte de la mort imminente de Chuck – qui ignore qu'il ne lui reste que quelques mois à vivre –, cela frappe comme un coup de poing. On nous rappelle que la joie n'est pas l'absence de souffrance, mais une rébellion contre celle-ci.
Puis vient l'acte I. L'enfance. Les souvenirs. Les origines. Chuck, désormais interprété par l'étonnant Benjamin Pajak, est un garçon bouleversé par la mort soudaine de ses parents et de sa sœur à naître. Il est envoyé vivre chez ses grands-parents excentriques, interprétés avec une tendresse lumineuse par Mia Sara et une gravité hantée par Mark Hamill. C'est ici, dans la douce lumière d'une cuisine remplie de musique et dans l'ombre menaçante d'une coupole verrouillée, que l'univers de Chuck commence à prendre forme. Sa grand-mère lui apprend à danser, se balançant au rythme de Wang Chung, son rire résonnant comme un phare dans l'obscurité, tandis que son grand-père, un comptable blasé à l'âme poétique, lui enseigne le langage des chiffres. Ensemble, ils construisent les fondations de l'homme qu'il deviendra. Et à travers la mystérieuse pièce interdite à l'étage, hantée, peut-être littéralement, Chuck commence à comprendre que la vie est à la fois infinie et fragile, que la joie et la tristesse sont éternellement liées. Mike Flanagan capture ces scènes avec l'intimité du souvenir, et le langage cinématographique devient onirique, presque tactile. On a l'impression surréaliste que ces moments ne nous sont pas simplement montrés, mais qu'ils sont remémorés avec une telle clarté émotionnelle qu'ils prennent une résonance mythique. Ce chapitre semble être un retour au genre d'histoires dans lesquelles Stephen King a toujours excellé : la merveille douce-amère du passage à l'âge adulte, où chaque rire est assombri par la perte.
Ce qui rend The Life of Chuck si extraordinaire, ce n'est pas seulement sa structure, ses performances ou sa maîtrise technique, c'est la façon dont il insiste, avec une conviction tranquille et inébranlable, sur le fait que chaque vie compte. Qu'un homme comme Chuck, un comptable doux, sans héritage particulier ni parcours dramatique, peut être au centre d'un récit cosmique. Que les mondes qui sont en nous ne sont pas moins vastes que les galaxies au-dessus de nous. La narration de Nick Offerman traverse l'histoire comme un ruban de souffle, à la fois philosophique et terre-à-terre, tissant la poésie de Walt Whitman dans la trame du film sans jamais verser dans le sentimentalisme. Je suis grand, écrivait Whitman. Je contiens des multitudes. Ce film prend cette phrase comme une écriture sacrée, et à la fin, vous sentez ces mots battre dans votre poitrine comme un deuxième cœur. Mike Flanagan construit un univers cinématographique qui n'est pas fait de super-héros ou d'effets spéciaux, mais de moments — petits, humains, résonnants. Une conversation dans une voiture. Un repas partagé. Un enfant qui regarde les étoiles et réalise, pour la première fois, qu'il est un univers à lui tout seul.
Chiwetel Ejiofor et Karen Gillan sont tout simplement sublimes, ancrant le premier acte du film avec une précision émotionnelle. Tom Hiddleston, dans un rôle qui exige à la fois énigmatique et ordinaire, disparaît dans Chuck avec une telle grâce qu'il est facile d'oublier que nous regardons l'une des stars les plus reconnaissables de m’univers Marvel. Annalise Basso apporte une profondeur rayonnante à ce qui aurait pu être un simple rôle secondaire. Benjamin Pajak, Jacob Tremblay et Cody Flanagan, qui incarnent chacun Chuck à différentes étapes de sa vie, transmettent une âme unifiée à travers le temps. Et le retour à l'écran de Mia Sara est tout simplement révélateur, chacun de ses gestes étant un baume contre l'obscurité. Même les brèves apparitions de Matthew Lillard, David Dastmalchian et Mark Hamill sont inoubliables. Cette distribution ne se contente pas de soutenir le film, elle incarne sa thèse centrale : que chacun, aussi brièvement vu soit-il, renferme un monde.
The Life of Chuck n'est pas un film facile. Il est lent, contemplatif, sans concession et sincère. Il résiste au cynisme à chaque tournant et demande au public de lui faire confiance, de croire que les larmes viendront, que le sens émergera, que le cœur rattrapera l'esprit. À ceux qui se laissent emporter par son rythme, il offre une sorte de catharsis qui transcende les genres. Ce n'est pas un film sur la mort. C'est un film sur ce qui rend la vie digne d'être vécue. C'est sans aucun doute un chef-d'œuvre qui mérite 5/5, l'une des meilleures adaptations de Stephen King jamais réalisées, au même titre que Les Évadés, Stand By Me ou La Ligne verte. Mais plus encore, c'est la preuve définitive que Mike Flanagan est l'un des plus grands réalisateurs actuels. Sa compréhension de la fragilité humaine, du désir existentiel, de la narration en tant qu'architecture émotionnelle est sans pareille.
Dire que The Life of Chuck est inoubliable serait un euphémisme. Il ne reste pas seulement dans l'esprit, il s'imprime dans l'âme. Il nous demande de voir le monde non pas tel qu'il est, mais tel qu'il est ressenti par quelqu'un d'autre. C'est un film sur tous les Chuck qui ont vécu, aimé, dansé et disparu, inaperçus, dans la foule. C'est un rappel, de la manière la plus douce et la plus belle qui soit, que même lorsque les étoiles s'éteignent, il y a de la lumière dans les espaces que nous avons occupés. Il y a des souvenirs. Il y a un sens.
Life of Chuck (The Life of Chuck)
Écrit et réalisé par Mike Flanagan
D'après The Life of Chuck de Stephen King
Produit par Mike Flanagan, Trevor Macy
Avec Tom Hiddleston, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Mia Sara, Carl Lumbly, Benjamin Pajak, Jacob Tremblay, Mark Hamill
Directeur de la photographie : Eben Bolter
Montage : Mike Flanagan
Musique : The Newton Brothers
Sociétés de production : Intrepid Pictures, Red Room Pictures, FilmNation Entertainment, QWGmire
Distribué par Neon (États-Unis), Nour Films (France)
Dates de sortie : 6 septembre 2024 (TIFF), 6 juin 2025 (États-Unis), 11 juin 2025 (France)
Durée : 111 minutes
Vu le 12 juin 2025 au Gaumont Disney Village, Salle 7 place A19
Note de Mulder: