Titre original: | Avignon |
Réalisateur: | Johann Dionnet |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 102 minutes |
Date: | 18 février 0025 |
Note: |
Je dédie ma critique à la superbe révélation du film Élisa Erka
Il est de ces films qui, sans tapage, s’imposent par leur justesse, leur sensibilité et leur intelligence. Avignon, premier long-métrage de Johann Dionnet, fait indéniablement partie de cette famille rare de comédies romantiques qui parviennent à conjuguer le charme du divertissement à la profondeur du regard social. Adapté de son propre court-métrage Je Joue Rodrigue, déjà salué à l’époque au Festival de l’Alpe d’Huez, ce film nous emmène dans un cadre à la fois familier et méconnu : le tumulte passionné du Festival Off d’Avignon. Non pas du côté des projecteurs prestigieux du In, mais dans les ruelles animées, surchauffées, saturées d’affiches décolorées où chaque jour se rejoue la grande loterie de la reconnaissance artistique. Là où les rêves se confrontent à la logistique impitoyable du spectacle vivant, à la guerre des flyers, au bouche-à-oreille plus essentiel que jamais, et à cette angoisse sourde qui ronge les comédiens intermittents : celle de jouer à moitié vide, ou pire, dans l’indifférence. Avignon est un film sur cette tension-là, sur ce qu’elle dit de la place des artistes dans la société, sur ce qu’elle révèle des rapports humains quand les masques tombent – ou quand ils se greffent pour mieux séduire.
En plaçant au centre de son récit Stéphane, comédien de comédie de boulevard en pleine crise existentielle, Johann Dionnet touche quelque chose de très contemporain : le doute viscéral de la légitimité artistique. Interprété par Baptiste Lecaplain qui trouve ici l’un de ses rôles les plus subtils, Stéphane rejoint au pied levé une troupe brinquebalante pour jouer Ma sœur s’incruste ! dans une salle Off au charme suranné. C’est là, au détour d’une ruelle, qu’il tombe sur Fanny, magnifique révélation incarnée par Élisa Erka, jeune comédienne du In, tête d’affiche d’un Ruy Blas monté dans l’un des hauts lieux du théâtre classique. Il n’en faut pas plus pour que le piège se referme : un malentendu fait croire à Fanny que Stéphane joue Le Cid, et dans un festival où tout va si vite, où l’identité artistique est parfois une carte de visite, Stéphane s’enfonce dans un mensonge que la mise en scène du film rend à la fois cocasse et profondément humain. Car ici, le mensonge n’est pas cynique. Il est le prolongement d’un rêve écorché, d’une volonté d’être vu autrement, d’être jugé sur une apparence valorisante – quitte à trahir ce qu’on est réellement.
Ce postulat, déjà prometteur, aurait pu donner lieu à une comédie mécanique, enchaînant les situations comiques sur fond de quiproquos sentimentaux. Or Johann Dionnet prend un autre chemin : celui de la vérité émotionnelle. Chaque personnage, aussi secondaire soit-il, porte un fragment de cette vérité. Il y a Serge, metteur en scène colérique et obsessionnel joué avec une intensité rare par Lyes Salem, dont les crises d’autorité masquent en réalité une terreur de l’échec. Il y a Coralie, son épouse interprétée par une Alison Wheeler d’une finesse surprenante, naviguant entre lassitude, loyauté et complicité fraternelle avec Stéphane. Il y a le jeune régisseur paumé (Rudy Milstein), écho générationnel aux doutes de Stéphane, et surtout Pat, personnage à la fois burlesque et bouleversant incarné par le réalisateur lui-même. Sa scène de danse nocturne sur Femme Like You de K.Maro, dans une rue vide où seules les pierres semblent témoins, est l’un des grands moments du film – l’un de ceux qui, dans une œuvre comique, disent tout de la solitude et de la persévérance de ceux qui refusent d’abandonner leurs rêves.
Avignon capture toute notre attention grâce au soin porté à la mise en scène. Loin d’un naturalisme plat, le réalisateur, scénariste et comédien Johann Dionnet insuffle à son film une identité visuelle marquée : les lumières dorées des soirs d’été, les ombres portées sur les murs d’enceinte, les affiches froissées dans les recoins, les scènes captées sur le vif dans la foule. Avignon n’est pas seulement un décor : c’est un personnage, une entité mouvante, écrasante, qui amplifie les enjeux, exacerbe les tensions, décuple les émotions. Les plans sur la ville la nuit, accompagnés d’une bande originale soignée (dont un très bel usage du We Are Your Friends de Justice), donnent au film une atmosphère de fête douce-amère, où l’on sent la beauté du moment s’échapper avant même qu’il n’ait commencé. Ce sentiment d’urgence, de précarité poétique, innerve tout le film, et c’est sans doute ce qui le rend si vibrant. Il y a dans Avignon cette conscience aiguë du temps qui passe, de l’amour qui peut naître et se faner dans la même quinzaine, des promesses artistiques que l’on croit tenir et qui échappent à la première critique venue.
La grande force du film, c’est aussi de réussir à traiter, en filigrane, la guerre des esthétiques théâtrales. Sans didactisme ni manichéisme, le réalisateur Johann Dionnet oppose deux visions du théâtre : celle du classique, subventionné, reconnu, porté par des textes patrimoniaux et des mises en scène souvent austères ; et celle du boulevard, populaire, dynamique, parfois moqué mais profondément ancré dans la tradition du rire collectif. Dans une scène mémorable, un comédien du In explique avec morgue à un collègue du Off que le théâtre, ce n’est pas jouer pour plaire, c’est jouer pour éduquer. Le film ne tranche jamais, mais il interroge : qui décide de ce qui est noble ? Est-ce le texte, le public, la salle, le prix du billet ? Et surtout, qui sont les snobs, les vrais : ceux qui méprisent le rire ou ceux qui ignorent la gravité ? En croisant les trajectoires de Stéphane et Fanny, Avignon montre que l’un ne va pas sans l’autre, et que l’art véritable naît souvent de ces points de friction.
Auréolé de trois prix amplement mérité au Festival de l’Alpe d’Huez – Grand Prix du jury, Prix coup de cœur et Prix des abonnés Canal+ – Avignon n’a pas volé ses distinctions. Il les mérite pour la sincérité de son propos, pour la qualité de ses dialogues (certains sont déjà cultes), pour la richesse de ses seconds rôles, pour la pertinence de son regard sur le monde de la création, et surtout pour cette tendresse rare qu’il insuffle à chacun de ses personnages. C’est un film qui fait du bien, pas parce qu’il évite les conflits, mais parce qu’il les embrasse avec délicatesse. Un film qui interroge avec humour sans jamais se moquer. Un film qui respire la vie, dans ses contradictions, ses élans, ses moments de grâce et ses ratés.
Avignon, est notre grand coup de cœur de ce mois de juin. Un hymne au théâtre, à la passion de jouer, au droit de se tromper, et à la nécessité d’aimer. Un film qui pourrait bien trouver son public au-delà des habitués du In comme du Off, tant il parle à chacun de nous : à nos rêves d’enfant, à nos mensonges d’adulte, à nos désirs d’être vu, reconnu, aimé. En ces temps où la comédie romantique semble parfois se chercher un nouveau souffle, Johann Dionnet prouve qu’il est encore possible d’en faire un terrain de jeu et de réflexion, où l’humour, l’intime et l’artistique peuvent dialoguer sans se faire d’ombre. On en ressort avec l’envie pressante de découvrir le festival d’Avignon surtout si c’est en présence de la révélation du film Elisa Erka.
Avignon
Réalisé par Johann Dionnet
Produit par Mikael Govciyan
Écrit par Johann Dionnet, Benoît Graffin
Avec Baptiste Lecaplain, Elisa Erka, Amaury de Crayencour, Johann Dionnet, Romain Francisco, Rudy Milstein, Ariane Mourier, Lyes Salem, Alison Wheeler
Directeur de la photographie : Thomas Rames
Sociétés de production : Nolita Cinéma, Studio TF1 Cinéma, France 2 Cinéma
Distribué par Warner Bros (France)
Date de sortie : 18 juin 2025 (France)
Durée : 102 minutes
Vu le 4 juin 2025 au Forum des Images salle 500 (Club Allocine)
Note de Mulder: