Bono: Stories of Surrender

Bono: Stories of Surrender
Titre original:Bono: Stories of Surrender
Réalisateur:Andrew Dominik
Sortie:Apple TV+
Durée:86 minutes
Date:30 mai 2025
Note:
Une exploration lyrique du spectacle de Bono, Stories of Surrender: An Evening of Words, Music and Some Mischief…, dans laquelle il lève le voile sur son extraordinaire vie et sur sa famille, ses amis et la foi, qui l’ont défié et soutenu, tout en révélant les histoires personnelles qui ont jalonné son parcours de fils, de père, de mari, de militant et de rockstar. Dans ce documentaire composé d’images inédites et exclusives des spectacles joués au Beacon Theatre, Bono interprète les chansons emblématiques de U2, qui ont façonné sa vie et son héritage.

Critique de Mulder

Dans Bono : Stories of Surrender, le leader du groupe U2 transforme ses mémoires en une sorte d'exorcisme spirituel mis en scène, un rituel en noir et blanc mêlant réflexion, performance et confession théâtrale, qui flirte avec le sublime. Capturé par le réalisateur Andrew Dominik dans une adaptation cinématographique du spectacle solo de Bono et basé sur ses mémoires de 2022, Surrender: 40 Songs, One Story, le film refuse de se cantonner à un seul genre. Ce n'est pas tout à fait un concert, ni tout à fait un documentaire, ni tout à fait un monologue théâtral. C'est quelque chose de plus étrange, de plus hybride : un projet ambitieux avec une charge émotionnelle inattendue, une parade de l'héritage d'une rock star teintée de culpabilité et de grâce, et une expérience visuelle étonnante dans une mémoire monochrome. Entre les mains d'un artiste chevronné et d'un réalisateur doué pour créer des mythes musicaux ce film devient une expérience émouvante, parfois étonnante et indéniablement unique.

Le style d’Andrew Dominik s'appuie fortement sur le minimalisme expressionniste, avec des images en noir et blanc saisissantes réalisées par le directeur de la photographie oscarisé Erik Messerschmidt (Mank, Ferrari). La conception de l'éclairage est aussi importante que la musique : elle ne se contente pas d'éclairer, elle isole. Seul sur une scène peu meublée, avec quelques chaises et une table simple, Bono joue comme un acteur chevronné, passant d'un personnage à l'autre, d'un accent à l'autre et d'une époque à l'autre. Tantôt il est Bono, la rock star, tantôt Paul Hewson, le fils en deuil, et parfois même son propre père lorsqu'il dramatise des conversations de pub d'un simple mouvement de tête et d'un changement de ton. Le pivot émotionnel du spectacle réside dans ces échanges imaginaires avec Bob Hewson, un homme stoïque et amateur d'opéra dont l'affection était toujours implicite plutôt qu'exprimée. Ces segments, où Bono reconstitue leurs visites hebdomadaires au pub et leurs conversations à sens unique, ne sont pas seulement des artifices théâtraux, mais aussi des éléments profondément psychologiques. Lorsque Bono récite les rares compliments de son père (« J'ai entendu ta chanson « Pride » à la radio l'autre jour. J'ai peut-être ressenti quelque chose »), cela fait l'effet d'une révélation sismique dans une scène par ailleurs sobre. C'est dans ces reconstitutions tranquilles, plus que dans n'importe quel intermède musical grandiloquent, que le cœur du spectacle bat le plus vulnérablement.

Bien que la production soit élégamment sobre, l'ambition est énorme. Bono raconte une vie marquée par des expériences bouleversantes : la mort soudaine de sa mère à l'âge de 14 ans, son improbable histoire d'amour adolescente avec Ali Stewart (qui deviendra sa femme), la formation explosive de U2 dans une salle de classe de Dublin et l'ascension mondiale du groupe. Il évoque ses activités philanthropiques et ses rencontres avec l'histoire, racontant des rencontres surréalistes avec des personnalités telles que Luciano Pavarotti et la princesse Diana. Chaque anecdote est racontée avec un humour autodérisoire et une verve théâtrale, culminant souvent dans des interprétations dépouillées de classiques de U2, parmi lesquels With or Without You, Pride (In the Name of Love), Vertigo et Sunday Bloody Sunday. Les chansons ne sont pas interprétées dans leur intégralité ni sous leur forme habituelle. Elles sont réinventées, raccourcies, souvent chantées à moitié, leur grandiloquence emblématique laissant place à l'intimité. Accompagnées par la violoncelliste Kate Ellis, la harpiste Gemma Doherty et le producteur Jacknife Lee, ces interprétations sont comme des squelettes de ce qu'elles étaient autrefois, révélant le cœur émotionnel des paroles souvent éclipsées par les paysages sonores grandioses des versions originales. Si certains puristes regretteront la guitare inimitable de The Edge, ces réinterprétations plus discrètes offrent quelque chose de rare : la possibilité d'entendre à nouveau ces chansons, peut-être pour la première fois depuis des décennies.

Ce qui est particulièrement fascinant, c'est la façon dont Bonon : Stories of Surrender utilise ses propres limites pour élargir la personnalité de Bono. Oui, le film est intrinsèquement performatif – Bono lui-même plaisante en disant qu'il ne s'agit pas d'un one-man show, mais d'un quarter-man show en montrant les chaises vides qui représentent ses compagnons de groupe. Mais dans ce cadre minimaliste, il trouve une liberté qu'il a rarement eue sur scène avec U2. Il est drôle, conscient de lui-même et très éloquent. Il assume les critiques – son ego, son sens du spectacle, son penchant pour les sermons – et les transforme en outils. Ce sont les histoires d'un rock star de petite taille, dit-il avec un clin d'œil. Et pourtant, son humilité n'est pas toujours effacée. À un moment donné, il aborde directement l'hypocrisie d'être une rock star riche qui lutte contre la pauvreté. Il ne fuit pas cette question. Et alors, si je suis hypocrite ? demande-t-il. La question n'est pas de savoir quelles sont mes motivations, mais quels sont les résultats. C'est une déclaration complexe qui reste en suspens. Elle n'excuse pas les contradictions, elle les nomme simplement et met le public au défi de les accepter.

Pourtant, même les plus fervents détracteurs de Bono auraient du mal à nier la charge émotionnelle de cette production. Dans ses moments les plus poignants, Bono : Stories of Surrender ressemble moins à une mise en scène de l'ego qu'à un homme qui fait la paix avec sa vie au crépuscule de sa gloire. Il y a une grande authenticité dans la façon dont il se souvient d'être allongé à côté de son père sur son lit de mort, mimant les paroles d'un opéra en italien en guise d'hommage final. Il y a aussi une certaine vulnérabilité dans l'histoire de l'opération à cœur ouvert subie par Bono en 2016, qui ouvre le spectacle de manière mélodramatique, mais donne le ton à une réflexion plus large sur la mortalité. Ces scènes fonctionnent moins comme une autobiographie que comme un bilan spirituel, une confrontation entre l'homme qu'il est, l'homme que son père voulait qu'il soit et l'homme que le monde perçoit depuis longtemps.

Mais c'est Bono, après tout, et le film ne peut s'empêcher de finir en beauté. Dans son dernier acte, l'esthétique en noir et blanc se dissout dans des couleurs vives alors que le spectacle passe du Beacon Theatre de New York au Teatro di San Carlo de Naples, le plus ancien opéra du monde. C'est un geste délibérément opératique, qui aligne Bono non seulement sur la tradition rock, mais aussi sur la grande théâtralité européenne.. Pour un artiste qui a toujours fusionné le sacré et le spectaculaire, c'est une note finale appropriée.

Bono : Stories of Surrender parle moins de U2 que des paradoxes de son leader. Il traite de l'humilité dans la performance, de la confession comme spectacle, et de la rock star en tant que père de famille, bouffon, prophète et fils prodigue. C'est un film qui reconnaît son propre artifice tout en recherchant l'authenticité. Et même s'il ne convertira pas les sceptiques, il offre à ceux qui sont prêts à s'asseoir et à écouter un portrait riche et multifacette d'un artiste dont le plus grand talent n'est peut-être pas sa voix, mais sa capacité à raconter une histoire qui semble suffisamment intime pour être vraie. Qu'elle le soit ou non, nous nous rendons quand même.

Bono: Stories of Surrender
Réalisé par Andrew Dominik
Producteurs : Meredith Bennett, Dede Gardner, Jon Kamen, Jeremy Kleiner, Brad Pitt, Alec Sash, Dave Sirulnick
Distribution : Bono
Directeur de la photographie : Erik Messerschmidt
Montage : Lasse Järvi
Sociétés de production : Apple Original Films, Plan B Entertainment, RadicalMedia
Distributeur : Apple TV+
Sortie en salles : 16 mai 2025 (Cannes), 30 mai 2025 (Apple TV+)
Durée : 86 minutes

Vu le 30 mai 2025 

Note de Mulder: