Titre original: | Small Things Like These |
Réalisateur: | Tim Mielants |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 98 minutes |
Date: | 30 avril 2025 |
Note: |
Il y a un moment dans Tu ne mentiras point (Small Things Like These) – qui surgit aussi discrètement que le craquement des bottes sur le gel – qui nous arappelé pourquoi nous avons besoin d'un cinéma qui parle doucement mais qui frappe avec la force d'une montagne. C'est lorsque Bill Furlong, le charbonnier incarné par Cillian Murphy, aux yeux remplis de tristesse et à la conscience que même la suie ne peut étouffer, tombe par hasard sur une jeune fille enfermée dans la remise glaciale du couvent. Il n'y a pas de musique dramatique, pas de crescendo orchestral pour guider nos émotions. Juste un homme, une jeune femme et le silence d'une ville trop effrayée pour regarder en elle-même. Ce moment est emblématique de tout ce que ce film accomplit : un coup de poing discret et murmuré qui vous laisse sans voix longtemps après le fondu au noir final.
Réalisé avec une retenue fantomatique par Tim Mielants et adapté avec une sensibilité littéraire par Enda Walsh d'après la nouvelle de Claire Keegan, Tu ne mentiras point (Small Things Like These) ressemble moins à un drame conventionnel qu'à une confession murmurée entre générations. C'est un film qui s'attarde dans des espaces liminaires – des embrasures de portes, des couloirs sombres, des vitres embuées de camions – tout comme son protagoniste s'attarde à la lisière de l'action, observant, assimilant, cédant lentement sous le poids de l'inertie morale. Il n'est pas surprenant que Murphy, tout juste auréolé de son Oscar pour Oppenheimer, ait choisi ce projet pour son prochain film. À bien des égards, cela ressemble à un retour aux sources émotionnel.
Cillian Murphy, qui endosse également le rôle de producteur, revient en Irlande non pas en tant que grande figure historique, mais en tant qu'homme dont la vie est faite de routine et de compromis discrets. Bill Furlong est l'incarnation même de l'homme ordinaire : un marchand de charbon père de cinq filles, marié à une femme travailleuse (Eileen Walsh, excellente dans le rôle d'une femme déchirée entre inquiétude et pragmatisme) et dont la ville dépend. Mais à l'approche de Noël 1985 dans la ville perpétuellement humide de New Ross, il est clair que quelque chose se passe chez Bill. Que ce soit les souvenirs de son enfance en tant que fils « bâtard » d'une mère célibataire ou la prise de conscience progressive des horreurs qui se cachent derrière la façade sacrée du couvent, Bill commence à se débattre avec des vérités longtemps enfouies, certaines les siennes, d'autres celles de la société.
Ce n'est pas l'Irlande nostalgique des cartes postales. Mielants et le directeur de la photographie Frank van den Eeden enveloppent chaque image dans une palette de poussière de charbon, de condensation et de faible lueur de bougie. C'est l'Irlande des mains froides, des pierres humides et de l'histoire gravée dans chaque planche qui craque. Les détails d'époque sont minutieux sans être ornementaux : les chansons pop et les dessins animés datés apparaissent à peine à travers l'austérité catholique omniprésente. Lorsque Bill rentre chez lui après sa tournée et frotte la suie de sa peau avec une ferveur qui semble moins relever de l'hygiène que de l'absolution, on a l'impression de voir un homme tenter de purifier son âme, et pas seulement ses mains. Ces séquences, souvent sans paroles, sont du Murphy à son meilleur. Il n'a pas besoin de dialogues pour transmettre les bouleversements émotionnels. Un froncement de sourcils, une pause avant de respirer, un regard en coin, et soudain, tout le film vibre d'une lutte intérieure.
Et puis il y a la mère supérieure incarnée par Emily Watson, sœur Mary, dont la politesse mielleuse cache un contrôle de fer qui rivalise avec celui des méchants les plus mémorables du cinéma récent. Ses scènes avec Murphy sont des masterclasses en matière de tension. Lorsqu'elle lui remet une carte de Noël accompagnée d'argent et d'un mot de gratitude, le sous-entendu est aussi épais que le brouillard à l'extérieur. Il s'agit clairement d'argent pour acheter son silence, et Bill le sait. Nous le savons. Mais à ce moment-là, l'horreur ne réside pas seulement dans les abus qui se produisent entre les murs du couvent, mais aussi dans le système de complicité qui maintient ces murs debout. Des propriétaires de pubs aux membres de la famille, tout le monde met Bill en garde avec des faux airs d'inquiétude : « Ne te mêle pas de ça. » C'est un avertissement déguisé en conseil, mais c'est tout de même une menace.
Ce qui élève Tu ne mentiras point (Small Things Like These) au-dessus du drame historique habituel, c'est son refus de sensationnaliser. Il ne s'agit pas d'une dénonciation judiciaire ou d'une critique mélodramatique de l'Église. C'est une réflexion sur la façon dont le silence devient une question de survie et dont la complicité est souvent déguisée sous le couvert du pragmatisme. La véritable antagoniste n'est pas sœur Mary, mais la pourriture culturelle omniprésente qui a permis à des institutions telles que les blanchisseries de la Madeleine de perdurer au vu et au su de tous. Les habitants de la ville ne sont pas des méchants, mais ils sont pris au piège dans un brouillard moral aussi tangible que la fumée de charbon qui s'échappe du camion de Bill. Et au milieu de tout cela, Bill, qui porte depuis des décennies le chagrin et la gratitude pour l'échappée belle de sa mère, commence à comprendre que l'action, même petite, silencieuse et terrifiante, est le seul antidote à une vie de culpabilité non résolue.
Les flashbacks sur l'enfance de Bill, bien que moins urgents sur le plan narratif que la tension actuelle, apportent néanmoins une nuance émotionnelle. Nous voyons la chaleur de Mme Wilson, la femme riche qui a donné refuge à sa mère, et nous sentons que sans sa gentillesse, Bill serait peut-être devenu une simple note de bas de page dans un pays qui préférait que les femmes soient humiliées et cachées. Ici, le passé n'est pas seulement un contexte, c'est un miroir, et Bill commence lentement à comprendre que la gentillesse, aussi minime soit-elle, peut se répercuter à travers les générations.
Certains trouveront peut-être la fin du film abrupte. Elle ne se termine pas par un acte de justice spectaculaire, mais par un geste, une rébellion silencieuse, un pas vers l'inconnu. Elle n'offre pas de conclusion, mais c'est exactement le but recherché. La vie réelle ne se résout pas de manière aussi nette. Les blanchisseries n'ont pas fermé du jour au lendemain. Le courage ne s'accompagne pas de fanfare. Dans le dernier plan, le visage de Murphy, partagé entre la peur et une détermination farouche, devient le symbole d'une conscience éveillée, et non d'une justice rendue.
Dans l'un des films les plus discrets de l'année, Tu ne mentiras point (Small Things Like These) en dit long. Il ne s'agit pas seulement des blanchisseries de Magdalene, ni même de l'Irlande. Il s'agit de l'algèbre morale que chacun de nous doit résoudre lorsqu'il est confronté à l'injustice. Il s'agit du prix à payer, souvent dans l'isolement et le risque, pour faire ce qui est juste. Mais il est aussi question d'espoir : en se levant, même à petite échelle, nous entretenons la flamme de la décence.Ce film mérite d'être vu non seulement comme un règlement de comptes historique, mais aussi comme une parabole cinématographique. Il nous rappelle que certaines des histoires les plus puissantes ne sont pas celles qui sont criées, mais celles qui sont murmurées. Et que parfois, ce sont les personnages les plus discrets qui laissent les traces les plus profondes.
Tu ne tueras point (Small Things Like These)
Réalisé par Tim Mielants
Écrit par Enda Walsh
D'après Tu ne mentiras point (Small Things Like These) de Claire Keegan
Produit par Matt Damon, Cillian Murphy, Alan Moloney, Drew Vinton, Jeff Robinov
Avec Cillian Murphy, Eileen Walsh, Michelle Fairley, Clare Dunne, Helen Behan, Emily Watson
Directeur de la photographie : Frank van den Eeden
Montage : Alain Dessauvage
Musique : Senjan Jansen
Sociétés de production : Artists Equity, Big Things Films
Distribué par Lionsgate (Etats-Unis), Condor distribution (France)
Dates de sortie : 15 février 2024 (Berlinale), 8 novembre 2024 (Etats-Unis), 30 avril 2025 (France)
Durée : 98 minutes
Vu en VOD le 10 avril 2025
Note de Mulder:
Nous sommes en 1985 quelque part en Irlande dans un village, les cloches sonnent, un bruit fort nous parvient celui d’ouvriers cognant avec leurs outils, le jour se lève sur des ruelles sombres. Comme tous les jours Bill Furlong à bord de son camion, livre des sacs de charbon, il croise souvent sur son trajet de jeunes enfants, pauvres pour la plupart qui errent sur les routes à la recherche de bois ou de choses à rapporter. Il n’a pas le temps de s’apitoyer sur leur sort il doit continuer à faire ses livraisons quotidiennes, c’est son métier de charbonnier.
C’est un dur labeur et sale, dès son retour chez lui, sa préoccupation première est d’enlever sa crasse des mains et de son visage, avant d’embrasser sa femme et ses cinq filles. Son existence est simple avec le plaisir de se retrouver en famille, au coin du feu. Les jours se suivent et se ressemblent comme le temps sombre et triste qui rappelle la froideur et la couleur du charbon. Parmi ses clients réguliers importants, se trouve le couvent de jeunes filles au centre du village, Bill fait au mieux pour satisfaire la mère supérieure exigeante quant à la rapidité de la livraison du charbon et qui n’hésiterait pas à changer d’entreprise. Il le sait, lui qui est à son compte, que les temps sont durs, il est le chef de famille, de plus, certaines de ses filles iront plus tard dans ce couvent pour avoir une bonne éducation et se trouver un bon métier.
Bill pénètre très rarement dans le couvent, juste pour recevoir le paiement de ses factures, restant la plupart du temps à la porte de la cave, il ne connait pas cette vie monastique. Un jour cependant, s’étant quelque peu égaré dans la lourde bâtisse, il aperçoit des jeunes filles habillées pauvrement, sales, au regard triste lavant le sol. Il ne peut rester longtemps spectateur, les sœurs le raccompagnant rapidement vers la sortie. Ce qu’il a entrevu et les jours suivants, le marque profondément, il se sent mal à l’aise et coupable de laisser faire et de ne rien pouvoir dire.
Son esprit est perturbé depuis la vision de l’intérieur du couvent, depuis, à la maison Bill se renferme, se mure dans son silence, de nombreux plans rapprochés montrent son visage triste, il est assis fixant la rue depuis sa fenêtre, l’air lointain, une simple lueur éclaire la pièce accompagnée d’un feu crépitant dans la cheminée. Il est le témoin de cette misère grandissante, du désespoir ambiant comme ces jeunes filles maltraitées et enfermées au couvent. C’est la période de Noël propice au bonheur, avec les cadeaux autour du sapin, mais cette fête fait ressurgir son enfance, un flash-back nous aide à mieux comprendre ce qu’il a vécu.
Une sourde révolte commence à gronder en lui, Bill sait pourtant qu’il est heureux avec ses enfants et sa femme, elles ne manquent de rien, il a un bon travail, mais maintenant plus qu’auparavant il songe aussi aux autres familles dans la peine. Que peut-il faire lui, pour dénoncer les abus, la misère et l’injustice. Sa détresse apparait par exemple, lorsqu’il donne de violents coups de pelle dans le charbon pour calmer son angoisse et sa douleur, il est envahi par la hargne, son souffle est haletant, il ne peut retenir sa colère. L’acteur Cillian Murphy est remarquable, excellent, dans son interprétation de Bill avec sa prise de conscience et son regard profondément humain, dans un registre bien loin de son rôle dans Oppenheimer.
Ce long métrage tiré du roman de Claire Keegan et adapté par le réalisateur Tim Mielants, réussit à nous dépeindre avec justesse la campagne irlandaise dans les années 80 avec ses habitants qui vivent de peu et sous la coupe de l’église qui contrôle l’éducation des enfants et dispense l’ordre moral aux habitants. Le film sombre et sobre peut paraitre long, le rythme est peu soutenu, peu de dialogue, mais les images parlent d’elles même, le décor est souvent en clair-obscur, lueur blafarde dans les pièces, paysage peint en noir. La lumière salvatrice vient en fait de Bill qui, par la noblesse de ses sentiments et sa clairvoyance éclairent le monde. Film dramatique chargé d’émotion, touchant et qui permet de voir l’évolution d’un homme qui ne veut plus se mentir.
Tu ne tueras point (Small Things Like These)
Réalisé par Tim Mielants
Écrit par Enda Walsh
D'après Small Things Like These de Claire Keegan
Produit par Matt Damon, Cillian Murphy, Alan Moloney, Drew Vinton, Jeff Robinov
Avec Cillian Murphy, Eileen Walsh, Michelle Fairley, Clare Dunne, Helen Behan, Emily Watson
Directeur de la photographie : Frank van den Eeden
Montage : Alain Dessauvage
Musique : Senjan Jansen
Sociétés de production : Artists Equity, Big Things Films
Distribué par Lionsgate (Etats-Unis), Condor distribution (France)
Dates de sortie : 15 février 2024 (Berlinale), 8 novembre 2024 (Etats-Unis), 30 avril 2025 (France)
Durée : 98 minutes
Vu le mardi 8 avril 2025 au Club 13 avenue Hoch Paris 8eme
Note de Cookie: