Babygirl

Babygirl
Titre original:Babygirl
Réalisateur:Halina Reijn
Sortie:Cinéma
Durée:115 minutes
Date:15 janvier 2025
Note:
Romy, PDG d'une grande entreprise, a tout pour être heureuse : un mari aimant, deux filles épanouies et une carrière réussie. Mais un jour, elle rencontre un jeune stagiaire dans la société qu'elle dirige à New York. Elle entame avec lui une liaison torride, risquant tout pour réaliser ses fantasmes les plus profonds...

Critique de Mulder

Babygirl écrit et réalisa par Halina Reijn est une plongée audacieuse et élégante dans l'interaction complexe et souvent difficile du pouvoir, du désir et de l'identité dans le monde moderne. Le film déroule son récit à travers l'objectif de Romy, une PDG de haut rang interprétée parfaitement par Nicole Kidman dans l'une de ses performances les plus audacieuses à ce jour. Babygirl se veut être un thriller érotique, mais qui évite le glamour superficiel de ses prédécesseurs des années 1980, comme 9 ½ Weeks d'Adrian Lyne, pour offrir une exploration réfléchie et complexe de la vulnérabilité humaine et des limites du contrôle.

L'histoire s'ouvre sur une juxtaposition de la vie apparemment parfaite de Romy et de son insatisfaction secrète. Mariée à Jacob, un directeur de théâtre charismatique interprété par Antonio Banderas, Romy a une famille parfaite et une carrière que beaucoup envieraient. Pourtant, sous ses dehors polis, elle se débat avec un profond sentiment d'insatisfaction sexuelle. Ce conflit interne est mis à nu dans une scène provocante où, quelques instants après avoir eu des rapports sexuels conjugaux apparemment passionnés, Romy se retire dans une autre pièce pour atteindre l'orgasme seule, en regardant un film pornographique. Ce moment ouvre la voie à un film qui brouille constamment les frontières entre les attentes de la société et les désirs personnels.

C'est alors qu'entre en scène Samuel, interprété par Harris Dickinson avec un mélange de confiance arrogante et de naïveté juvénile. Leur première rencontre à l'extérieur du bureau, où Samuel calme un chien agressif avec une facilité presque surnaturelle, est symbolique de la dynamique qui va bientôt se développer entre eux. Romy, qui a l'habitude de contrôler tous les aspects de sa vie, est attirée par la franchise désarmante de Samuel et par sa compréhension intuitive de ses désirs refoulés. Leur relation, initiée sous le couvert d'un programme de mentorat, se transforme rapidement en une liaison secrète aussi palpitante que périlleuse.

La réalisation d’Halina Reijn est à la fois audacieuse et nuancée, créant un monde à la fois hyperréaliste et onirique. Le langage visuel du film, capturé par le directeur de la photographie Jasper Wolf, reflète la dualité de l'existence de Romy. L'environnement stérile et robotique de sa vie professionnelle contraste fortement avec les émotions brutes et non filtrées que Samuel éveille en elle. Cette dichotomie visuelle rappelle les contrastes marqués du film Eyes Wide Shut  de Stanley Kubrick, un autre film dans lequel Nicole Kidman a exploré les thèmes du désir sexuel et de la discorde conjugale.

L'interprétation de Romy par Nicole Kidman est tout simplement envoûtante. Elle apporte une vulnérabilité palpable au personnage, rendant le voyage de Romy vers la découverte de soi et la libération profondément compréhensible. Dans une scène particulièrement mémorable, Romy, dépouillée de sa prestance habituelle, murmure Je ne peux pas, je vais faire pipi, je n'ai pas envie de faire pipi, quelques instants avant d'atteindre un orgasme brut et guttural. C'est un moment qui résume parfaitement l'engagement du film à dépeindre le sexe comme une expérience désordonnée, complexe et profondément humaine.

L'alchimie entre Nicole Kidman et Harris Dickinson est électrique, et c'est cette dynamique qui est à l'origine d'une grande partie de la tension du film. Le personnage de Samuel est intentionnellement opaque, laissant le public s'interroger sur ses motivations. S'agit-il d'un amoureux sincère qui cherche à se lier ou d'un manipulateur qui exploite la vulnérabilité de Romy ? Cette ambiguïté ajoute un élément de suspense qui rappelle les dynamiques de pouvoir explorées dans des films comme Fatal Attraction et Basic Instinct. Cependant, contrairement à ces récits centrés sur l'homme, Babygirl place le point de vue de la femme au premier plan, offrant ainsi une vision nouvelle et subversive du genre.

Le scénario est parsemé de moments d'humour noir et de commentaires sociaux mordants. Dans une scène particulièrement intelligente, Samuel envoie à Romy un verre de lait lors d'une fête de bureau, clin d'œil ludique à l'infantilisation et à la soumission. La bande sonore, qui comprend des morceaux comme Father Figure de George Michael, amplifie encore le ton à la fois insolent et introspectif du film.

Cependant, Babygirl n'est pas exempt de défauts. Les personnages secondaires, en particulier Jacob et Esme (l'ambitieuse assistante de Romy jouée par Sophie Wilde), n'ont pas la même profondeur que les personnages principaux. Jacob, malgré la performance charismatique d’Antonio Banderas, se sent sous-utilisé, servant principalement de dispositif d'intrigue pour renforcer le conflit interne de Romy. De même, l'arc d'Esme, qui laisse entrevoir un jeu de pouvoir potentiel, reste frustrant et peu exploré.

Malgré ces lacunes, Babygirl réussit à atteindre son objectif principal : susciter la réflexion et la conversation sur la nature du désir, du pouvoir et de l'identité. Il remet en question les notions traditionnelles de féminité et de pouvoir, suggérant que le véritable pouvoir ne vient pas de la validation sociétale, mais de l'acceptation de son moi authentique.

En établissant des parallèles avec d'autres films qui abordent des thèmes similaires, tels que Secretary et The Duke of Burgundy, Babygirl se distingue par son refus d'offrir des réponses faciles. Alors que ces films se penchent souvent sur les subtilités des relations établies, le travail d’Halina Reijn se concentre sur les débuts tâtonnants et incertains d'une femme qui assume ses désirs. C'est cette attention portée à la réalité désordonnée et non polie des relations humaines qui rend Babygirl à la fois rafraîchissant et percutant.

Babygirl est un film qui invite son public à se confronter à ses propres idées préconçues sur le sexe, le pouvoir et le contrôle. Il s'agit d'une œuvre audacieuse et sans compromis qui, à l'instar de sa protagoniste, refuse d'être catégorisée. Que vous le trouviez provocateur, valorisant ou profondément troublant, il est indéniable que Babygirl laisse une impression durable. Et dans un paysage cinématographique de plus en plus dépourvu d'érotisme authentique, il s'agit en soi d'une réussite remarquable.

Babygirl
Écrit et réalisé par Halina Reijn
Produit par David Hinojosa, Halina Reijn, Julia Oh
Avec Nicole Kidman, Harris Dickinson, Sophie Wilde, Antonio Banderas
Directeur de la photographie : Jasper Wolf
Montage : Matthew Hannam
Musique : Cristobal Tapia de Veer
Sociétés de production : 2AM, Man Up Films
Distribué par A24 (Etats-Unis), SND (France)
Dates de sortie : 30 août 2024 (Venise), 25 décembre 2024 (États-Unis), 15 janvier 2025 (France)
Durée : 115 minutes

Vu le 9 janvier 2025 au Forum des images 

Note de Mulder: