Titre original: | Nosferatu |
Réalisateur: | Robert Eggers |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 132 minutes |
Date: | 25 décembre 2024 |
Note: |
Nosferatu de Robert Eggers est plus qu'une réécriture du classique muet de 1922 de F.W. Murnau ; c'est une œuvre intemporelle visuelle et thématique qui tisse l'horreur gothique, le tourment psychologique et la vraisemblance historique en une exploration passionnante de la fragilité humaine et du désir interdit. En revisitant l'un des mythes les plus durables du cinéma, Robert Eggers crée non seulement un hommage à ses géniteurs, mais aussi un film profondément personnel - une méditation sur les ténèbres qui se cachent en nous et autour de nous. Nosferatu conserve les éléments fondamentaux de son matériau d'origine : Le comte Orlok (Bill Skarsgård), une figure vampirique des Carpates, se lie à Ellen Hutter (Lily-Rose Depp), l'épouse d'un ambitieux agent immobilier, Thomas Hutter (Nicholas Hoult). Cependant, l'adaptation d'Eggers plonge plus profondément dans la psyché de ses personnages, transformant ce récit familier en une histoire obsédante de répression, d'obsession et d'autodestruction.
Le cœur du film réside dans Ellen Hutter, un personnage réimaginé avec une complexité et une profondeur psychologique saisissantes. Lily-Rose Depp livre une performance révélatrice, son personnage à la fois éthérée et corporelle, prise entre les contraintes sociétales et les instincts primaires. Le film s'ouvre sur sa prière désespérée : un appel au réconfort pour sortir d'une vie marquée par l'isolement et les désirs incompris. Ce cri, cependant, n'éveille pas le salut mais le malheur sous la forme du comte Orlok, dont l'arrivée semble moins une malédiction imposée à Ellen qu'un prolongement de son tourment intérieur. Le lien entre Ellen et Orlok est autant psychologique que surnaturel. Eggers crée un lien entre eux qui semble inévitable, prédestiné et d'une intimité troublante. Les crises d'Ellen, ses visions nocturnes et l'érotisme tacite de ses rencontres avec Orlok deviennent des manifestations physiques de la répression que lui impose une société patriarcale. Dans l'un des moments les plus effrayants du film, elle se tortille dans son lit, son corps se contorsionnant comme si elle était possédée, non pas par un démon extérieur, mais par ses propres désirs refoulés. Cette représentation d'Ellen comme une femme à la fois consumée et complice de son tourment approfondit le récit, rendant son combat profondément humain.
Le comte Orlok incarné par Bill Skarsgård est un triomphe en termes de caractérisation et de conception. Il ne s'agit pas du vampire suave et aristocratique du Dracula de Stoker, mais d'une incarnation monstrueuse et en décomposition de la pestilence et de la faim primitive. Bill Skarsgård, enterré sous des prothèses qui le rendent méconnaissable, confère à Orlok une physicalité à la fois grotesque et hypnotique. Ses mouvements sont délibérés mais animaliers, sa voix est un grondement guttural qui semble émaner de la terre elle-même. Cet Orlok n'est pas un séducteur mais une force de la nature, un rappel de l'inévitabilité de la mort et de la noirceur qui couve dans l'âme humaine. Pourtant, Orlok n'est pas entièrement dépourvu de pathos. Robert Eggers et Bill Skarsgård lui confèrent une dimension tragique, celle d'un être maudit pour exister au-delà de la mortalité, mû par un appétit insatiable qui lui refuse la paix de la mort. Son obsession pour Ellen est à la fois terrifiante et pitoyable, reflet de son propre désir d'évasion. En ce sens, Orlok devient un miroir pour les personnages du film et, par extension, pour le public - une manifestation monstrueuse des pulsions les plus basses et des désirs inassouvis de l'humanité.
Sur le plan visuel, Nosferatu est une réussite totale. La cinématographie de Jarin Blaschke évoque le clair-obscur de l'art gothique du XIXe siècle, avec des palettes de couleurs désaturées qui frôlent le monochrome, plongeant le film dans un éternel crépuscule. Les ombres dominent le cadre, se faufilant sur les murs et engloutissant les personnages dans une métaphore visuelle de l'obscurité qui s'installe dans le récit. Les jeux d'ombre et de lumière rappellent l'original de Murnau, mais les techniques modernes de Blaschke ajoutent une qualité tactile et immersive qui donne au monde de Nosferatu une impression à la fois intemporelle et immédiate. Le concepteur de production Craig Lathrop crée un monde richement texturé, de la grandeur délabrée du château d'Orlok aux rues animées de Wisborg. Chaque élément du décor semble vivant, imprégné d'un sens de l'histoire et d'un sentiment d'inquiétude. Le château, en particulier, devient un personnage à part entière - un labyrinthe de pierres en ruine et de chandelles vacillantes qui reflètent la forme décrépite d'Orlok et la désintégration psychologique de ses victimes. La conception des costumes de Linda Muir renforce encore l'authenticité et la résonance thématique du film. Les corsets contraignants et les robes fluides d'Ellen reflètent sa dualité : les contraintes sociétales qui l'enchaînent et le tumulte intérieur qui cherche à se libérer. Les vêtements en lambeaux et les fourrures moisies d'Orlok évoquent une noblesse ancienne, presque d'un autre monde, qui contraste fortement avec son physique délabré.
Nosferatu de Robert Eggers est plus qu'un film d'horreur ; c'est une méditation sur la peur, le désir et l'influence corruptrice du pouvoir. Le vampire, en tant que symbole, représente non seulement la mort, mais aussi la transgression des limites de la société. L'arrivée d'Orlok à Wisborg n'apporte pas seulement la décadence physique sous la forme de rats rongés par la peste, mais aussi une corruption morale et psychologique qui se répand comme une infection. Sa présence expose la fragilité des constructions humaines - le mariage, la religion, la communauté - et révèle le chaos qui les sous-tend. L'exploration du rôle de la femme dans le film est particulièrement frappante. Le parcours d'Ellen, de victime passive à participante active à son destin, fait écho à des thèmes plus larges d'autonomisation et de sacrifice. Son dernier acte, à la fois provocateur et tragique, souligne le prix à payer pour affronter sa noirceur et les forces sociétales qui cherchent à l'étouffer.
Si Lily-Rose Depp et Bill Skarsgård dominent le récit, les acteurs secondaires ajoutent des couches de complexité et d'intrigue. Nicholas Hoult, dans le rôle de Thomas Hutter, est une étude fascinante de la fragilité, son ambition et sa naïveté faisant de lui un pion dans les machinations d'Orlok. Willem Dafoe, dans le rôle de l'excentrique professeur Von Franz, insuffle au film des moments d'humour noir et de brillance désaxée, son personnage faisant contrepoids au désespoir omniprésent. Emma Corrin et Aaron Taylor-Johnson, dans le rôle d'Anna et Friedrich Harding, offrent un aperçu de la normalité et de la stabilité, leurs vies contrastant fortement avec l'effritement d'Ellen. Pourtant, même eux ne sont pas à l'abri du chaos provoqué par Orlok, leur destin rappelant la nature aveugle de l'influence du vampire.
Nosferatu est un film de contradictions : beau et grotesque, intime et épique, fidèle et subversif. Robbert Eggers embrasse la tradition gothique tout en y insufflant sa propre sensibilité, créant ainsi une œuvre à la fois intemporelle et singulièrement contemporaine. La cadence délibérée du film et ses scènes à forte teneur en dialogues peuvent aliéner certains spectateurs, mais pour ceux qui sont prêts à s'abandonner à son charme, Nosferatu offre une expérience cinématographique d'une profondeur et d'une qualité artistique inégalées. Avec ses images glaçantes, ses performances de haut niveau et ses thèmes qui résonnent, Nosferatu témoigne du pouvoir durable de l'horreur en tant que moyen d'explorer la condition humaine. C'est un film qui reste dans l'esprit comme une ombre, un rappel obsédant que les ténèbres que nous craignons le plus se trouvent souvent à l'intérieur de nous-mêmes. Le Nosferatu de Robert Eggers n'est pas un simple remake, c'est une résurrection, une œuvre magistrale qui redonne vie à une légende ancienne tout en osant affronter les questions éternelles de la mortalité, de la moralité et du désir.
Nosferatu
Écrit et réalisé par Robert Eggers
D'après Nosferatu de Henrik Galeen
Produit par Jeff Robinov, John Graham, Chris Columbus, Eleanor Columbus, Robert Eggers
Avec Bill Skarsgård, Nicholas Hoult, Lily-Rose Depp, Aaron Taylor-Johnson, Emma Corrin, Willem Dafoe
Directeur de la photographie : Jarin Blaschke
Montage : Louise Ford
Musique : Robin Carolan
Sociétés de production : Maiden Voyage Pictures, Studio 8, Birch Hill Road Entertainment
Distribué par Focus Features (États-Unis), Universal Pictures (International)
Dates de sortie : 2 décembre 2024 (Berlin), 25 décembre 2024 (Etats-Unis, France)
Durée du film : 132 minutes
Vu le 20 décembre 2024 au Gaumont Disney Village, Salle 16 place A19
Note de Mulder: