Planete B

Planete B
Titre original:Planete B
Réalisateur:Aude Léa Rapin
Sortie:Cinéma
Durée:118 minutes
Date:25 décembre 2024
Note:
France, 2039. Une nuit, des activistes traqués par l'Etat, disparaissent sans laisser aucune trace. Julia Bombarth se trouve parmi eux. A son réveil, elle se découvre enfermée dans un monde totalement inconnu : PLANÈTE B.

Critique de Mulder

Planète B, réalisé par Aude Léa Rapin, est une tentative ambitieuse d'explorer les nuances du contrôle politique et de la résistance à travers le prisme de la science-fiction spéculative. Avec Adèle Exarchopoulos dans le rôle de Julia Bombarth, une révolutionnaire dévouée, et Souheila Yacoub dans celui de Nour, une immigrée irakienne, le film se déroule dans une France d'un futur proche soumise à un régime fasciste oppressif. Aude Léa Rapin, qui a commencé sa carrière en documentant des zones déchirées par la guerre, apporte son réalisme brutal à ce monde fictif, mêlant des images naturalistes à des thèmes de résilience et de sacrifice. Alors que la prémisse promet un récit captivant, l'exécution faiblit parfois, laissant le public avec une expérience de visionnage mitigée qui oscille entre des moments de critique puissante et des instances de dérive narrative.

L'histoire commence avec Julia, une résistante tenace, capturée lors d'une mission ratée et transférée dans un environnement carcéral simulé. Là, elle et ses compagnons d'armes se retrouvent confinés dans une villa méditerranéenne à la fois belle et insidieuse. Aude Léa Rapin présente cette prison virtuelle comme un paradoxe ; alors que l'endroit est idyllique, l'expérience est un tourment psychologique destiné à contraindre les prisonniers à fournir des informations. Ce contraste forme une dichotomie visuelle et thématique centrale dans le film, soulignant la nature dystopique de ce monde. La prison virtuelle devient un motif central, symbolisant le pouvoir de l'État de manipuler et de supprimer la dissidence, non seulement physiquement mais aussi mentalement. Adèle Exarchopoulos transmet l'effritement psychologique de Julia avec intensité, capturant l'effroi et la vulnérabilité qui accompagnent l'enfermement forcé et la surveillance invasive de son esprit.

Nour, le personnage interprété par Souheila Yacoub, sert de contrepoint à la vie de rébellion active de Julia. L'histoire de Nour, une immigrée qui lutte pour survivre dans un système autoritaire, reflète la résistance plus ouverte de Julia, ce qui rend son parcours profondément émouvant. En tant qu'employée de nettoyage dans un établissement gouvernemental, Nour découvre par hasard la technologie qui permet d'accéder à la planète B, jetant ainsi un pont entre son existence précaire et la confrontation plus directe de Julia avec le pouvoir. Souheila Yacoub dépeint avec nuance le désespoir et le conflit moral de Nour, ancrant le personnage dans la dure réalité des individus marginalisés contraints de naviguer et parfois d'exploiter ces systèmes pour survivre.

L'un des points forts du film est son examen de la surveillance moderne et de l'avenir potentiel de l'incarcération. L'approche spéculative de Rapin suggère que l'emprisonnement n'est pas nécessairement physique ; avec la RV, la conscience d'une personne peut être piégée, contrôlée et soumise à une surveillance continue, tandis que le corps reste surveillé dans une installation militaire. La critique implicite du film est claire : les progrès technologiques, censés améliorer l'expérience humaine, pourraient tout aussi bien être déployés pour restreindre la liberté. Cependant, bien que le matériel thématique soit convaincant, Planète B souffre parfois de dialogues trop explicites et d'un manque de finesse dans le rythme, ce qui fait que certaines de ses critiques sociales semblent didactiques plutôt que subtilement intégrées à l'intrigue.

La direction visuelle d’Aude Léa Rapin apporte une authenticité brute et grinçante au cadre futuriste, peut-être inspirée par sa formation en journalisme. La France dystopique qu'elle présente est oppressante, avec des cieux remplis de drones de surveillance et de policiers militarisés qui font respecter l'autorité de l'État. Ce choix esthétique inscrit le film dans un avenir réaliste qui semble plausible, intensifiant l'urgence des luttes des personnages. Le contraste entre les sombres réalités de ce monde dystopique et le paradis séduisant mais sinistre de la prison virtuelle est saisissant. Pourtant, malgré la richesse des éléments visuels, certains choix narratifs manquent de raffinement, en particulier dans le rythme et le développement de l'histoire. Bien que la durée du film permette une exploration étendue de son univers, certaines scènes semblent s'éterniser, atténuant légèrement la tension du film.

Planète B brille également par sa représentation de la résilience et de la solidarité féminines. Adèle Exarchopoulos et Souheila Yacoub livrent toutes deux des performances à la fois féroces et vulnérables, ce qui fait d'elles des protagonistes convaincants dans ce film de science-fiction politiquement chargé. L'effondrement mental progressif de Julia sous l'influence de son confinement virtuel, juxtaposé aux luttes extérieures de Nour, met en lumière les différentes formes de résistance que les femmes incarnent sous les régimes patriarcaux et autoritaires. Le choix de Rapin de se concentrer sur des protagonistes féminins ajoute une perspective rafraîchissante au genre, et le film bénéficie de sa narration essentiellement féminine.

Dans son ambition, Planète B va parfois trop loin, tentant d'entremêler les thèmes du contrôle politique, de l'immigration et de la guerre psychologique dans un seul et même film. Cette densité thématique est à la fois une force et une faiblesse ; alors que le film donne beaucoup à réfléchir, il perd parfois de vue sa cohésion narrative. Le commentaire de Rapin sur la RV en tant qu'outil de manipulation et de contrôle est un concept qui donne à réfléchir mais qui semble quelque peu dérivé, faisant écho à des idées déjà explorées dans la science-fiction grand public comme Ready Player One et la série Otherland de Tad Williams. La grande révélation du film sur l'artificialité de Planet B est prévisible, un rebondissement qui aurait pu avoir plus d'impact s'il avait été introduit plus tôt ou développé avec plus de subtilité.

Planète B est une entrée audacieuse mais inégale dans le monde du cinéma de science-fiction, portée par des performances solides et des décors visuellement fascinants, mais parfois affaiblie par sa portée ambitieuse. Aude Léa Rapin démontre sa capacité à créer un monde dystopique immersif qui reflète de véritables angoisses sociopolitiques. Bien que la narration du film puisse bénéficier d'un montage plus serré et d'une plus grande cohésion, Planète B reste une exploration intrigante de la résistance et du contrôle. À travers les voyages entrecroisés de Julia et Nour, Aude Léa Rapin invite le public à réfléchir sur le coût de la rébellion et sur les limites que les régimes oppressifs peuvent atteindre pour faire taire la dissidence. Planète B ne répond peut-être pas entièrement à ses aspirations, mais il s'agit d'une tentative audacieuse et remarquable qui laissera les spectateurs contempler ses messages longtemps après le générique.

Planète B
Écrit et réalisé par Aude Léa Rapin
Produit par Eve Robin
Avec Adèle Exarchopoulos, Souheila Yacoub , Eliane Umuhire , India Hair, Paul Beaurepaire, Jonathan Couzinié, Théo Cholbi, Léo Chalié, Amine Hamidou , Grace Seri, Marc Barbé, Souleymane Toure, Thierry Hancisse, Yassine Stein, Luana Duchemin
Musique : Bertrand Bonello
Directeur de la photographie : Jeanne Lapoirie
Montage : Gabrielle Stemmer
Sociétés de production : Les Films du Bal, France 3 Cinéma, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, Wrong Men
Distribué par Le Pacte (France)
Date de sortie : 25 décembre 2024 (France)
Durée : 118 minutes

Vu le 28 septembre 2024 (Fantastic Fest press screening)

Note de Mulder: