L'amour Ouf

L'amour Ouf
Titre original:L'amour Ouf
Réalisateur:Gilles Lellouche
Sortie:Cinéma
Durée:160 minutes
Date:16 octobre 2024
Note:
Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c'est l'amour fou. La vie s'efforcera de les séparer mais rien n'y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur...

Critique de Mulder

L’amour ouf de Gilles Lellouche, adaptation du roman de Neville Thompson Jackie Loves Johnser OK ? (1997), est un mélodrame tentaculaire qui vise une histoire d'amour épique sur fond de criminalité et de violence dans le nord de la France. Avec une durée de 160 minutes, Lellouche et ses co-scénaristes Julien Lambroschini, Audrey Diwan et Ahmed Hamidi racontent la relation tumultueuse et tragique entre deux personnages, Jackie et Clotaire, interprétés à différents stades de leur vie par Mallory Wanecque, Adèle Exarchopoulos, Malik Frikah et François Civil. Bien que le film soit ambitieux dans sa portée, il trébuche finalement sous le poids de ses propres excès et de son style excessif, laissant le public avec une expérience creuse malgré les performances vibrantes et les prouesses techniques affichées.

Le film s'ouvre sur une présentation convaincante de Jackie, une lycéenne têtue, et de Clotaire, un voyou rebelle, qui se rencontrent au cours de leur adolescence dans les années 1980. Jackie, élevée par son père veuf, joué par Alain Chabat, après la mort tragique de sa mère, croise le chemin de Clotaire, un jeune homme instable issu d'un milieu populaire. Le père de Clotaire, interprété par Karim Leklou, travaille dans une raffinerie de pétrole locale, un détail qui joue un rôle central dans l'intrigue. Leur connexion initiale est alimentée par le défi et l'attirance mutuelle, menant à une romance qui semble électrique dans la première moitié du film. Les performances des adolescents Mallory Wanecque et Malik Frikah sont des éléments remarquables, capturant la passion insouciante du premier amour avec une énergie brute qui promet un voyage captivant. Cependant, au fur et à mesure que le film progresse, cette étincelle initiale s'estompe, en particulier lorsque le récit passe à la seconde moitié, plus léthargique.

Après que Clotaire ait été incarcéré pendant une décennie - il est responsable d'un vol raté orchestré par un gang dirigé par La Brosse (Benoit Poelvoorde)- il sort de prison en tant qu'homme endurci. Jackie, quant à elle, a épousé un yuppie contrôlant, Jeffrey, joué par Vincent Lacoste, et semble prise au piège d'une vie sans amour. La descente de Clotaire dans la violence et le crime après la prison, alors qu'il forme son propre gang, semble clichée, et malgré l'engagement de François Civil dans l'interprétation d'un Clotaire adulte, le personnage perd une grande partie de la complexité qu'il avait laissée entrevoir pendant sa jeunesse. L'évolution, ou plutôt la stagnation, de Jackie est tout aussi peu convaincante, Adèle Exarchopoulos peinant à insuffler de la nuance dans un rôle qui la réduit à une figure passive réagissant aux caprices des hommes qui l'entourent. L'alchimie entre les versions adultes des personnages fait cruellement défaut, sapant le poids émotionnel de leurs retrouvailles et la nature supposée indéfectible de leur amour.

Techniquement, L’Amour ouf excelle dans ses éléments visuels et auditifs. La direction photographie de Laurent Tangy est époustouflante, avec des plans d'ensemble de paysages industriels et des séquences d'action méticuleusement chorégraphiées, y compris une scène de danse remarquable au début du film sur « A Forest » de The Cure, qui capture l'exubérance juvénile des personnages. La bande-son du film est chargée de tubes des années 80, ce qui renforce encore l'atmosphère nostalgique qui imprègne la première moitié du film. Pourtant, malgré ces triomphes esthétiques, le film semble décousu, sa trop grande dépendance au style nuisant à la substance de son récit. Lellouche semble plus intéressé par l'éblouissement du public avec des images tape-à-l'œil et un mélodrame intense que par l'élaboration d'une histoire cohérente et résonnante sur le plan émotionnel.

L'une des faiblesses les plus flagrantes du film est sa structure narrative. La décision de diviser le film en deux parties distinctes - l'une se concentrant sur l'adolescence des personnages et l'autre sur leur vie d'adulte - crée un changement de ton qui perturbe le déroulement de l'histoire. La première moitié, bien qu'imparfaite, possède un certain charme dans sa représentation de la rébellion juvénile et de la romance, mais la seconde moitié s'enlise dans des tropes criminels fatigués et une durée trop longue qui met à l'épreuve la patience du spectateur. Le rythme ralentit, avec des intrigues secondaires inutiles et des scènes trop longues qui n'apportent pas grand-chose à l'ensemble du récit. Lorsque le film atteint son point culminant, l'impact émotionnel est émoussé, laissant le public désengagé.

De plus, L’amour ouf a du mal à dépeindre ses personnages centraux. Alors que le film présente Clotaire comme un anti-héros tragique, son arc manque de profondeur et de nuance pour le rendre vraiment convaincant. Sa transformation d'un jeune troublé en un criminel endurci semble précipitée, et les tentatives du film de l'humaniser à travers sa relation avec Jackie sonnent creux. De même, le personnage de Jackie est sous-développé, ce qui est frustrant. Sa transition d'une adolescente fougueuse et indépendante à une adulte apathique prisonnière d'un mariage sans amour n'est pas convaincante, et ses motivations restent obscures tout au long du film. Les personnages secondaires, notamment La Brosse de Benoît Poelvoorde et Jeffrey de Vincent Lacoste, sont unidimensionnels et ne servent qu'à faire avancer les intrigues de Clotaire et de Jackie.

Malgré ses nombreux défauts, L’amour ouf n'est pas sans mérite. La réalisation de Gilles Lellouche, bien que parfois excessive, met en évidence son talent pour créer des scènes visuellement saisissantes. L'exploration de thèmes tels que l'amour, la loyauté et l'impact du temps sur les relations est poignante, même si l'exécution laisse à désirer. Les performances des jeunes acteurs - en particulier Mallory Wanecque et Malik Frikah- sont remarquables, insufflant au film une vitalité juvénile qui le porte dans ses moments les plus ennuyeux. L'ambition du film est louable, et bien qu'il ne soit pas à la hauteur de son potentiel, on sent que Lellouche est un cinéaste avec une voix distincte, même si cette voix est encore en train de trouver ses marques.

L’amour Ouf est un film qui mord plus qu'il ne peut mâcher. Sa narration tentaculaire et son sens exagéré de la grandeur en font un film frustrant, qui laisse entrevoir des moments de brillance sans jamais y parvenir. Gilles Lellouche a conçu une épopée visuellement éblouissante mais émotionnellement creuse, qui laissera probablement le public divisé. Pour ceux qui sont prêts à oublier ses défauts narratifs, L’amour ouf  offre un spectacle de style et d'ambition, mais pour les autres, il peut sembler être une occasion manquée de raconter une histoire d'amour vraiment captivante.

L'amour ouf
Réalisé par Gilles Lellouche
Produit par Alain Attal, Hugo Sélignac
Écrit par Gilles Lellouche, Ahmed Hamidi, Audrey Diwan, d'après l'œuvre de Neville Thompson
Avec Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallory Wanecque, Malik Frikah, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Élodie Bouchez, Karim Leklou, Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Emmanuel Dehaene, Nicolas Wanczycki
Musique : Jon Brion
Cinématographie : Laurent Tangy
Montage : Simon Jacquet
Sociétés de production : Trésor Films, CHI-FOU-MI Productions, Artémis Productions, Shelter Prod
Distribué par StudioCanal (France)
Date de sortie : 16 octobre 2024 (France)
Durée : 160 minutes

Vu le 13 octobre 2024 au Gaumont Disney Village, Salle 3 place A19

Note de Mulder: