Titre original: | The Substance |
Réalisateur: | Coralie Fargeat |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 140 minutes |
Date: | 06 novembre 2024 |
Note: |
"The Substance" arrive sur nos écrans, auréolé du Prix du Scénario du Festival de Cannes 2024. Ce prix est mérité car effectivement l'idée est bonne, le film aussi, mais ce n'est ni un film choc, ni un film gore, comme certains médias tente de le faire croire. Critique garantie sans spoiler.
Elisabeth Sparkle (Demi Moore), présente une émission d’aérobic. Son producteur Harvey (Dennis Quaid) souhaite la remplacer par une femme plus jeune, plus sexy. Prête à tout pour conserver son poste, elle décide de recourir à une mystérieuse substance, qui lui permet de se dédoubler en une jeune femme, Sue, (Margaret Qualley). Les deux femmes doivent suivre des règles strictes. Evidemment, rien en va se passer comme prévu.
Demi Moore interprète la star déchue. Elle porte ce film, pour lequel elle ose briser son image. Révélée par le film Ghost, elle devient un sex symbol dans les années 90, avec Proposition Indécente, Striptease. Puis dans les années 2000, l'actrice se fait plus rare et joue des seconds rôles. Dans ce film, courageusement, elle se laisse filmer nue, de manière crue. Elle laisse éclater une vulnérabilité, qu'on ne lui connaissait plus. Son charisme est toujours intact. A ses côtés, Margaret Qualley est toujours aussi talentueuse. Mention spéciale à Dennis Quaid qui s'en donne à cœur joie dans ce rôle d'ignoble producteur. Il a d'ailleurs remplacé au dernier moment Ray Liotta, décédé peu avant le tournage.
La réalisation de Coralie Fargeat est stylisée, avec de très gros plans, ou au contraire des plans extra larges, avec une profondeur de champ amplifiée. Les couleurs sont criardes. Plus le film avance, plus il devient grotesque et burlesque. Sans manichéisme, la réalisatrice dénonce les diktats de la beauté et de la jeunesse imposée aux femmes, et leur intériorisation par celles-ci. La réalisatrice a tenu à réaliser son film en France, dans les Studios d'Epinay, à Nice, Cannes et Paris.
The SUBSTANCE
interdit aux moins de 12 ans
Écrit et réalisé par Coralie Fargeat
Produit par Tim Bevan, Eric Fellner et Coralie Fargeat
Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid
Directeur de la photographie : Benjamin Kračun
Montage : Jérôme Eltabet et Valentin Féron
Musique : Raffertie
Société de production : Working Title Films, A Good Story, Universal Pictures
Distribué par MUBI (Etats-Unis), Metropolitan Filmexport (France)
Dates de sortie : 6 Novembre 2024 (France), 20 Septembre 2024 (États-Unis).
Durée : 140 minutes
Vu le 19 Mai 2024 au Festival de Cannes
Note de Sabine:
The Substance, réalisé par Coralie Fargeat, est un examen viscéral et audacieux de l'obsession destructrice de la beauté, de la jeunesse et de la perfection dans la société moderne, en particulier à Hollywood. Cette expérience cinématographique n'est pas seulement un film d'horreur; c'est un spectacle d'horreur corporelle fusionné avec un commentaire social mordant, utilisant des transformations grotesques et une imagerie surréaliste pour amplifier les pressions auxquelles les femmes, en particulier les femmes vieillissantes, sont confrontées dans leur lutte pour la pertinence et l'acceptation. À bien des égards, le film est un manifeste féministe qui s'attaque sans détour à la cruauté d'une industrie - et, par extension, d'une société - qui valorise les femmes avant tout pour leur apparence, tout en disséquant le tribut psychologique que cette objectivation fait payer à celles qui sont piégées dans son cycle.
Au cœur de The Substance se trouve Elisabeth Sparkle, interprétée avec une intensité émotionnelle brute par Demi Moore. Elisabeth est une ancienne star hollywoodienne qui s'est reconvertie dans l'animation d'une émission télévisée populaire d'aérobic, un travail qui maintient sa visibilité mais qui souligne le tic-tac de sa pertinence déclinante. L'histoire d'Elisabeth commence lorsqu'elle est confrontée à une vérité inévitable : à Hollywood, la jeunesse et la beauté sont des marchandises qui ont une date d'expiration. Coralie Fargeat ne perd pas de temps pour établir cette réalité brutale. Le jour de son cinquantième anniversaire, Elisabeth est renvoyée sans ménagement par Harvey, un directeur de télévision lubrique et machiste interprété avec un flair grotesque par Dennis Quaid. Cette scène d'ouverture ouvre la voie à l'examen de l'âgisme et du sexisme dans le film, Harvey incarnant le système patriarcal impitoyable qui dicte la valeur des femmes en fonction de leur apparence physique.
La décision de Coralie Fargeat de confier le rôle d'Elisabeth à Demi Moore est en soi un méta-commentaire sur la façon dont Hollywood traite les actrices vieillissantes. Demi Moore, qui a déjà été l'une des actrices les mieux payées d'Hollywood, a subi les pressions liées au maintien de son apparence et à sa pertinence dans une industrie qui rejette souvent les femmes à partir d'un certain âge. Dans The Substance, la performance de Moore est imprégnée d'un profond sentiment de vulnérabilité et de défi, alors qu'Elisabeth est forcée de faire face à la perte de son ancien moi et aux jugements cruels de ceux qui l'entourent. Elle nous montre le désespoir, la tristesse et les profondes blessures psychologiques infligées par une société qui ne la valorise plus.
Le dispositif narratif central du film - un mystérieux sérum qui permet à Elisabeth de récupérer sa jeunesse en la divisant en deux êtres distincts - sert de métaphore parfaite de l'attrait destructeur de la perfection. Lorsqu'Elisabeth est initiée à la substance par une infirmière à la jeunesse suspecte, elle y voit une chance d'inverser le temps et de récupérer la version d'elle-même que le monde a jadis adorée. Le sérum, vert fluo et anormalement brillant, devient le symbole des promesses dangereuses et séduisantes de la culture de la beauté, où les traitements anti-âge, la chirurgie plastique et les produits pharmaceutiques offrent tous l'illusion d'une jeunesse éternelle.
Une fois qu'Elisabeth s'est injecté le sérum, l'horreur corporelle commence en force. Coralie Fargeat n'hésite pas à plonger le public dans une séquence grotesque et hypnotique au cours de laquelle le corps d'Elisabeth se désintègre littéralement. Son dos se déchire, et de l'intérieur émerge Sue, une version plus jeune et plus radieuse d'Elisabeth, interprétée par Margaret Qualley. Cette scène de naissance est d'une beauté dérangeante dans son horreur, un reflet grotesque de la façon dont la société attend des femmes qu'elles se réinventent constamment pour rester désirables. C'est comme si Elisabeth se débarrassait de son ancien moi pour révéler la version d'elle-même conforme aux normes de beauté inatteignables de la société, avant de réaliser que cette nouvelle forme n'est pas son salut, mais sa perte.
L'interprétation de Sue par Margaret Qualley est brillamment nuancée et offre un contraste saisissant avec l'Elisabeth de Demi Moore. Sue est tout ce qu'Elisabeth aimerait être à nouveau : jeune, confiante et séduisante. Cependant, Fargeat critique habilement la superficialité de cet idéal de jeunesse. La beauté de Sue est creuse, une façade qui cache le vide et la vanité. Le film objective fréquemment Sue, en utilisant des gros plans exagérés de son corps lorsqu'elle effectue des exercices d'aérobic, ce qui accentue le caractère artificiel de sa désirabilité. Ces scènes servent à critiquer la façon dont le corps des femmes est marchandisé dans les médias, l'objectivation de Sue reflétant la façon dont la société valorise les femmes pour leurs attributs physiques plutôt que pour leurs talents ou leur humanité.
Alors que Sue commence à remplacer Elisabeth dans sa vie professionnelle et personnelle, la tension entre les deux s'accroît. Les deux femmes, bien qu'elles soient ostensiblement la même personne, deviennent des rivales, enfermées dans une relation toxique et symbiotique. Sue accède rapidement à la célébrité, reprenant l'émission d'aérobic d'Elisabeth et devenant le nouveau visage de la franchise. Elisabeth, quant à elle, est obligée de se réfugier dans son appartement stérile, regardant sa cadette se prélasser dans l'adoration du monde. Cette dynamique évoque des parallèles avec des histoires classiques de dualité et d'autodestruction, telles que Dr Jekyll et Mr Hyde de Robert Louis Stevenson et Black Swan de Darren Aronofsky, où la bataille entre deux versions du même moi conduit à la folie.
Ce qui rend The Substance si convaincant, c'est l'accent mis sans relâche sur les luttes internes et externes des femmes dans l'œil du public. Coralie Fargeat utilise magistralement la dichotomie entre Elisabeth et Sue pour explorer les thèmes de la vanité, de l'estime de soi et de la quête toxique de la perfection. Le film est profondément conscient des forces sociétales qui façonnent la perception que les femmes ont d'elles-mêmes, en particulier à une époque dominée par les médias sociaux, où la pression pour présenter une version idéalisée de soi-même est omniprésente. L'ascension de Sue vers la célébrité est alimentée par les mêmes systèmes qui ont rejeté Elisabeth : beauté superficielle, jeunesse et conformité au regard masculin. Son succès, cependant, se fait au détriment de sa propre identité, car elle s'éloigne de plus en plus de la réalité, à savoir qu'Elisabeth et elle sont, en fait, la même personne.
La mise en scène de Coralie Fargeat est la clé du succès du film. Son utilisation des angles de caméra et de l'éclairage transforme l'expérience visuelle en une critique de l'objectivation elle-même. Dans les scènes mettant en scène Sue, la caméra est intentionnellement voyeuriste, forçant le public à s'engager dans le regard masculin qui scrute et fétichise ses formes juvéniles. Cependant, au fur et à mesure que le film avance, ce regard devient de plus en plus inconfortable et grotesque, en particulier lorsque le corps parfait de Sue commence à se détériorer sous le poids de sa vanité. Dans le dernier acte, la beauté physique de Sue est entachée par les conséquences de l'abus du sérum, son corps commençant littéralement à se désagréger.
Les éléments d'horreur corporelle du film s'intensifient lorsque la rivalité entre Sue et Elisabeth atteint son paroxysme. La « règle des sept jours » qui régit leur existence - un cycle où elles doivent changer de place tous les sept jours sous peine d'en subir les conséquences - devient le catalyseur de leur chute. Sue, enivrée par sa célébrité et sa beauté, commence à enfreindre la règle, restant dans le monde plus longtemps qu'elle ne le devrait, ce qui accélère la déchéance physique d'Elisabeth. Cette détérioration est montrée dans des détails macabres et viscéraux, le corps d'Elisabeth se desséchant et se déformant en réponse à la vanité de Sue. L'horreur du film ne réside pas seulement dans les transformations physiques, mais aussi dans les tourments psychologiques qui les accompagnent. Le désespoir d'Elisabeth pour retrouver sa jeunesse perdue reflète l'autodestruction à laquelle se livrent de nombreuses femmes pour se conformer aux attentes de la société.
Le point culminant du film est une descente sanguinolente dans la folie, où l'horreur psychologique du conflit interne d'Elisabeth et de Sue se traduit par une manifestation physique grotesque. Fargeat ne mâche pas ses mots dans sa représentation de cette bataille finale, s'inspirant des films classiques d'horreur corporelle comme The Fly de David Cronenberg et The Thing de John Carpenter. L'imagerie devient de plus en plus cauchemardesque à mesure que les identités d'Elisabeth et de Sue se confondent en une entité monstrueuse, incarnation littérale de la nature destructrice de la vanité et du dégoût de soi. Le public est contraint de faire face aux conséquences grotesques d'une société qui encourage les femmes à se mutiler à la poursuite d'un idéal impossible.
Pourtant, sous l'horreur et le grotesque, The Substance est un film profondément tragique. Le parcours d'Elisabeth est empreint d'une profonde tristesse, car elle est confrontée à la perte de son identité, de sa carrière et de son estime de soi. La performance de Demi Moore capture le désespoir tranquille d'une femme qui se sent invisible, non seulement aux yeux du monde, mais aussi à ses propres yeux. Les moments les plus poignants du film sont les scènes où Elisabeth, seule dans son appartement, fixe son reflet dans le miroir, essayant désespérément de se raccrocher à la version d'elle-même qu'elle a été. Dans ces moments, l'horreur n'est pas dans la transformation physique, mais dans les conséquences psychologiques de la vie dans une société qui assimile la valeur d'une femme à son apparence.
L'optique féministe de Coralie Fargeat est évidente tout au long du film, en particulier dans sa critique des structures dominées par les hommes qui perpétuent ces normes de beauté néfastes. Harvey, le cadre grotesque qui licencie Elisabeth au début du film, est l'incarnation de ce système patriarcal, réduisant les femmes à des objets à consommer et à jeter lorsqu'elles ne remplissent plus leur fonction. Le traitement qu'il réserve à Sue n'est pas différent de celui qu'il réserve à Elisabeth ; les deux femmes ne sont que des outils à utiliser pour maintenir son pouvoir et son statut. La critique d'Harvey et du système qu'il représente est cinglante, révélant les effets déshumanisants d'une culture qui accorde une telle valeur à la beauté superficielle.
The Substance est un film sur l'impossibilité d'échapper aux pressions de la société. La tentative d'Elisabeth de retrouver sa jeunesse grâce au sérum finit par la détruire, tant physiquement que mentalement. Le dernier acte du film, où les conséquences monstrueuses de ses actes se manifestent, est à la fois horrible et tragique. Fargeat laisse le public avec un rappel sinistre du coût de la poursuite de la perfection : c'est un cycle d'autodestruction qui consume non seulement le corps, mais aussi l'âme.
Grâce à son style visuel audacieux, à ses performances puissantes et à son commentaire social sans complaisance, The Substance confirme que Coralie Fargeat est une réalisatrice qui n'a pas peur de s'attaquer aux aspects les plus sombres des attentes de la société et de l'image qu'elle a d'elle-même. Le film est une exploration magistrale de l'intersection entre la vanité, l'identité et les conséquences monstrueuses de la vie dans un monde qui exige la perfection. Il s'agit d'une œuvre cinématographique audacieuse, dérangeante et stimulante qui reste en mémoire longtemps après le générique de fin. Un pur chef d’œuvre qui fait tout simplement de Coralie Fargeat une des nouvelles reines de l’horreur et une digne descendante de réalisateurs comme David Cronenberg, Wes Craven et John Capenter.
The Substance
Écrit et réalisé par Coralie Fargeat
Produit par Tim Bevan, Eric Fellner et Coralie Fargeat
Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid
Directeur de la photographie : Benjamin Kračun
Montage : Jérôme Eltabet et Valentin Féron
Musique : Raffertie
Société de production : Working Title Films, A Good Story, Universal Pictures
Distribué par MUBI (Etats-Unis), Metropolitan Filmexport (France)
Dates de sortie : 6 Novembre 2024 (France), 20 Septembre 2024 (États-Unis).
Durée : 140 minutes
Vu le 1 novembre 2024 au Gaumont Disney Village, Salle 7 place A18
Note de Mulder: