La Plus Précieuse des Marchandises

La Plus Précieuse des Marchandises
Titre original:La Plus Précieuse des Marchandises
Réalisateur: Michel Hazanavicius
Sortie:Cinéma
Durée:81 minutes
Date:20 novembre 2024
Note:
Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne. Le froid, la faim, la misère, et partout autour d´eux la guerre, leur rendaient la vie bien difficile. Un jour, pauvre bûcheronne recueille un bébé. Un bébé jeté d’un des nombreux trains qui traversent sans cesse leur bois. Protégée quoi qu’il en coûte, ce bébé, cette petite marchandise va bouleverser la vie de cette femme, de son mari , et de tous ceux qui vont croiser son destin, jusqu’à l’homme qui l’a jeté du train. Leur histoire va révéler le pire comme le meilleur du cœur des hommes.

Critique de Mulder

La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes), réalisé par Michel Hazanavicius et adapté d'une histoire poignante de Jean-Claude Grumberg, est un film qui s'aventure sur le terrain difficile de la représentation de l'Holocauste par le biais de l'animation. C'est un choix audacieux entre la simplicité des contes de fées et le poids de l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire. Le résultat est un film aussi saisissant visuellement qu'émotionnellement complexe, mais qui laisse le spectateur avec des sentiments mitigés quant à son impact global.

À la base, le film se veut être est une fable qui se déroule pendant les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Le récit tourne autour d'un pauvre bûcheron et de sa femme, qui mènent une existence rude et isolée dans une forêt proche du tristement célèbre camp de concentration d'Auschwitz. Leur vie prend un tournant radical lorsque la femme du bûcheron découvre un bébé juif, jeté d'un train en partance pour le camp de la mort, et décide de s'occuper de l'enfant. Ce bébé, décrit comme La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes), devient un symbole d'espoir, d'amour et de persistance de l'humanité, même dans les moments les plus sombres.

Jean-Claude Grumberg, dont les parents ont été déportés à Auschwitz, imprègne l'histoire originale d'une profonde résonance personnelle et historique. Son expérience de la vie, combinée à ses prouesses littéraires, fait de cette histoire un récit puissant sur le papier. Cependant, traduire une telle histoire en film d'animation est une entreprise difficile, que Michel Hazanavicius aborde avec autant d'ambition que d'appréhension.

Visuellement, La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes) est une étude de contrastes. Le style d'animation, qui s'inspire des lignes lourdes des gravures sur bois du début du XXe siècle et des pastels doux de l'aquarelle, confère au film une qualité de livre d'histoires. Ce choix esthétique est à la fois une force et une faiblesse. D'une part, il permet au film d'évoquer l'intemporalité d'une fable, rendant l'histoire accessible à un large public, y compris aux plus jeunes. D'autre part, la simplicité de l'animation peut sembler en contradiction avec la gravité du sujet, réduisant parfois la complexité de l'Holocauste à une imagerie trop naïve et aseptisée.

Le récit se déroule de manière simple, suivant le parcours émotionnel du bûcheron et de sa femme qui en viennent à aimer et à protéger l'enfant, en dépit des dangers et de leurs propres préjugés. Le bûcheron, d'abord hostile à l'idée de s'occuper d'un enfant juif en raison de ses croyances antisémites, subit une transformation qui est au cœur du message moral du film. Cependant, cette transformation est traitée d'une manière que certains pourraient trouver prévisible et manquant de profondeur. Le film s'appuie souvent sur des indices émotionnels, notamment à travers la partition d'Alexandre Desplat, pour faire passer ses messages, parfois au détriment de la subtilité et de la nuance.

Malgré ces lacunes, le film comporte des moments d'impact émotionnel profond. Les scènes qui décrivent le père du bébé, contraint de prendre la décision déchirante de jeter son enfant du train dans une tentative désespérée pour la sauver, sont parmi les plus puissantes du film. Ces séquences sont dures et obsédantes, donnant un aperçu des choix inimaginables auxquels sont confrontés ceux qui sont pris dans les rouages de l'Holocauste. La représentation des souffrances ultérieures du père à Auschwitz, rendue par des dessins austères et effroyables, sert de rappel sinistre des horreurs qui sous-tendent le récit du film.

Les voix sont solides, mais elles n'élèvent pas le film vers de nouveaux sommets. Dominique Blanc et Grégory Gadebois, qui interprètent le bûcheron et sa femme, apportent une authenticité à leurs rôles, bien que leurs performances soient quelque peu éclipsées par la narration de Jean-Louis Trintignant. La voix chaude et mélancolique de Trintignant ajoute une couche de profondeur au film, d'autant plus qu'il s'agissait de son dernier rôle avant son décès.

La structure du film est à la fois sa force et sa faiblesse. D'une durée de 81 minutes, La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes) se déroule à un rythme soutenu, ce qui contribue à maintenir l'intérêt du spectateur. Cependant, cette brièveté signifie également que certains aspects de l'histoire ne sont pas suffisamment développés. La conclusion du film, en particulier, semble précipitée et quelque peu insatisfaisante, car elle tente de relier ses fils narratifs d'une manière qui semble trop ordonnée et simpliste, compte tenu de la complexité du sujet.

Michel Hazanavicius, connu pour son œuvre éclectique, dont le film oscarisé The Artist , apporte son style caractéristique à ce projet, mais son manque d'expérience en matière d'animation est clairement visible à l’écran. Le film, bien que visuellement distinctif, semble parfois statique et guindé, comme si le médium de l'animation, au lieu de libérer l'histoire, la contraignait. Cela est particulièrement évident dans la façon dont le film traite les émotions, qui peut parfois sembler trop manipulatrice.

La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes) est un film difficile à classer. Il ne s'agit ni d'un film traditionnel sur l'Holocauste, ni d'un simple conte de fées. Au contraire, il occupe un espace unique où se mêlent des éléments de ces deux types de films, ce qui donne une œuvre aussi ambitieuse qu'imparfaite. Le cœur du film est au bon endroit, et son message d'amour et d'humanité face à un mal indicible est indéniablement important. Cependant, l'exécution de ce message, par le biais de l'animation, laisse beaucoup à désirer.

En fin de compte, La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes) est un film qui suscitera probablement toute une série de réactions. Certains spectateurs apprécieront son approche unique de la représentation de l'Holocauste, tandis que d'autres trouveront sa simplicité et son sentimentalisme en contradiction avec le sujet traité. C'est un film qui pose des questions importantes sur la mémoire, l'histoire et le rôle de l'art dans la confrontation avec le passé, même s'il n'apporte pas toujours de réponses satisfaisantes.

Malgré ses défauts, La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes) apporte une perspective précieuse à la conversation en cours sur la façon dont nous nous souvenons et représentons l'Holocauste. Il n'atteint peut-être pas les sommets émotionnels ou artistiques d'autres films de ce genre, mais il reste un effort noble, qui cherche à nous rappeler le pouvoir durable de l'amour et de la compassion, même face aux pulsions les plus sombres de l'humanité.

La Plus Précieuse des Marchandises (The Most Precious of Cargoes)
Réalisé par Michel Hazanavicius
Produit par Michel Hazanavicius, Florence Gastaud, Robert Guédiguian, Christophe Jankovic, Riad Sattouf, Patrick Sobelman
Ecrit par Michel Hazanavicius, Jean-Claude Grumberg
Basé sur The Most Precious of Cargoes de Jean-Claude Grumberg
Avec Jean-Louis Trintignant, Grégory Gadebois, Denis Podalydès, Dominique Blanc
Musique : Alexandre Desplat
Directeur de la photographie :
Montage : Laurent Pelé-Piovani
Sociétés de production : Les Films du Fleuve, Prima Linea Productions, Studiocanal, Les Compagnons du Cinema, Ex Nihilo
Distribué par StudioCanal (France)
Date de sortie : 24 Mai 2024 (Cannes), 20 Novembre 2024 (France)
Durée du film : 81 minutes

Vu le 11 septembre 2024 au Centre International de Deauville

Note de Mulder: