Rabia

Rabia
Titre original:Rabia
Réalisateur:Mareike Engelhardt
Sortie:Cinéma
Durée:95 minutes
Date:27 novembre 2024
Note:
Poussée par les promesses d'une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans, part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d'une main de fer. Inspiré de faits réels.

Critique de Mulder

Rabia, premier long-métrage de Mareike Engelhardt, se déploie comme un huis clos psychologique et oppressant, où la radicalisation se joue dans la banalité du quotidien et la lente soumission à un destin inéluctable. Inspiré de faits réels, le film suit Jessica, une jeune aide-soignante française de 19 ans, qui, après un processus de radicalisation insidieux, quitte son pays pour rejoindre l’État islamique en Syrie. Dès le départ, Mareike Engelhardt imprime à son récit une froideur clinique, en collant aux pas de Jessica, devenue Rabia, à travers une mise en scène qui évoque un parcours sans retour.

Le scénario, admirablement construit, laisse peu de répit. Loin des récits sensationnalistes, Mareike Engelhardt préfère l’intime : c’est dans les silences, les non-dits, et les gestes mécaniques du quotidien que se joue la tragédie de Jessica. Le basculement se fait sans fracas, dans l’obéissance à une autorité invisible, symbolisée par Madame, incarnée avec une intensité glaçante par Lubna Azabal. Figure centrale du film, cette femme impitoyable impose aux jeunes recrues des règles de vie draconiennes, transformant chacune d’entre elles en épouse docile, prêtes à servir les combattants de Daech.

Mareike Engelhardt met en lumière la mécanique de la radicalisation sous un angle unique : celui d’un enfermement mental, d’un effacement progressif de l’identité, où Jessica, rebaptisée Rabia, perd tout contrôle sur son destin. À ce titre, le film interroge avec finesse les notions d’embrigadement, de soumission et de révolte. La caméra, souvent placée à hauteur de visage, scrute les moindres frémissements de ses actrices, capturant avec une précision rare les doutes, les peurs, et l’étrange exaltation qui saisit ces jeunes femmes en quête de repères.

La performance de Megan Northam, dans le rôle de Jessica, est tout simplement bouleversante. Elle incarne avec justesse cette adolescente en quête de sens, puis sa transformation progressive en un être presque déshumanisé, façonné par l’idéologie de ceux qu’elle croyait rejoindre en toute connaissance de cause. Son parcours est celui d’une perte totale de liberté, où chaque moment de doute est rapidement éteint par l’omniprésence de Madame, figure ambiguë, à la fois protectrice et tyrannique.

Visuellement, Rabia joue la carte de la sobriété, avec une esthétique presque documentaire, accentuant l’aspect inéluctable de la tragédie. Les lieux confinés, souvent plongés dans une pénombre étouffante, deviennent le reflet d’une prison mentale, et les rares extérieurs sont toujours synonymes de danger ou d’humiliation. Cette tension omniprésente est renforcée par une bande-son minimaliste, laissant place aux sons bruts, comme pour mieux souligner la réalité âpre que vivent ces jeunes femmes.

Le film, qui a remporté le Prix D’Ornano-Valenti au Festival du Film Américain de Deauville 2024, se distingue par son traitement à la fois rigoureux et sensible d’un sujet délicat. En choisissant de s’attarder sur l’expérience intérieure de ses personnages, Mareike Engelhardt offre une réflexion puissante sur les mécanismes de l’endoctrinement, sans jamais tomber dans la démonstration ou la moralisation facile. Rabia est un film nécessaire, à la fois par son sujet et par la qualité de son écriture cinématographique, qui interroge profondément notre époque et les dérives auxquelles peuvent être confrontées les âmes les plus vulnérables.

Rabia
Réalisé par Mareike Engelhardt
Produit par Lionel Massol
Écrit par Mareike Engelhardt & Samuel Doux
Avec Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief, Léna Lauzemis, Klara Wördemann, Maria Wördemann
Directeur de la photographie : Agnès Godard
Montage : Agnès Godard
Sociétés de production :Arte France Cinéma, Kinology International, Films Grand Huit, Starhaus Filmproduktion, Kwassa Films 
Distribué par Memento Distribution (France)
Date de sortie :27 novembre 2024 -France)
Durée : 95 minutes

Vu le 14 septembre 2024 au Centre International de Deauville

Note de Mulder: