Les damnés

Les damnés
Titre original:The Damned
Réalisateur:Roberto Minervini
Sortie:Cinéma
Durée:89 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l’armée des États-Unis envoie à l’Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.

Critique de Mulder

Les Damnés, de Roberto Minervini, est un film étonnamment unique qui se situe à l'intersection du récit historique et de l'interrogation existentielle. Situé dans le contexte de la guerre civile américaine de 1862, le film n'est pas un drame de guerre typique rempli d'exploits héroïques ou de batailles grandioses. Au contraire, Roberto Minervini, réalisateur ayant une solide expérience du documentaire, propose une exploration profondément contemplative de la condition humaine, en se concentrant sur la lente et inévitable décadence de l'esprit que la guerre entraîne souvent. Il s'agit du premier long métrage narratif de Roberto Minervini, après des années passées à réaliser des documentaires qui brouillent les lignes entre la réalité et la fiction, et il apporte cette sensibilité au film Les damnés (The Damned) avec un effet profond.

Le film raconte l'histoire d'un groupe de volontaires de l'Union envoyés dans les territoires de l'extrême ouest des États-Unis, plus précisément dans ce qui deviendra plus tard le Montana. Ces soldats sont très éloignés des théâtres centraux de la guerre civile, placés dans un paysage hivernal rude et impitoyable où leur mission n'est pas d'engager de grandes batailles, mais de patrouiller et de protéger des terres inexplorées. Ces hommes, dont certains ne sont que des garçons, se retrouvent à lutter non seulement contre les éléments, mais aussi contre leur désillusion croissante. Le sens du but qui les a initialement poussés à la guerre commence à s'effilocher, les exposant au vide existentiel que la guerre crée souvent.

Roberto Minervini commence le film par une métaphore puissante : une scène de loups déchiquetant un cerf. Cette image brutale donne le ton du film, soulignant le caractère inévitable de la mort et la nature primitive de la guerre. Au fur et à mesure que l'histoire se déroule, il devient évident que les soldats, tout comme le cerf, sont lentement consumés, non pas par la violence immédiate, mais par la prise de conscience progressive que leurs convictions ne sont peut-être rien d'autre que des illusions. Le rythme du film reflète cette lente descente ; avec un peu moins de quatre-vingt-dix minutes, le récit semble délibérément étiré, reflétant la nature fastidieuse et souvent monotone de la guerre. Il s'agit d'un film de guerre où la majeure partie du temps est consacrée à l'attente - l'attente des ordres, l'attente de l'ennemi et, en fin de compte, l'attente de la mort.

L'approche narrative de Roberto Minervini est non conventionnelle et profondément immersive. Le film a été tourné sans scénario traditionnel et les scènes ont été filmées dans l'ordre chronologique. Cette méthode donne au film Les damnés (The Damned) un aspect organique, presque documentaire, qui est renforcé par le fait que de nombreux acteurs sont des non-professionnels qui utilisent leur vrai nom. Ce mélange de réalité et de fiction crée un sentiment d'authenticité qui imprègne le film. Les interactions entre les soldats qu'il s'agisse d'installer le camp, de discuter ou d'avoir de profondes discussions philosophiques semblent authentiques, comme si le spectateur écoutait de vraies conversations.

La photographie de Carlos Alfonso Corral joue un rôle crucial dans l'établissement de l'atmosphère du film. Corral, qui a également composé la partition éparse mais évocatrice du film, utilise la lumière naturelle et une mise au point superficielle pour créer un paysage visuel à la fois beau et désorientant. Les vastes étendues gelées du Montana sont capturées avec une qualité picturale qui évoque le travail de cinéastes tels que Terrence Malick, mais les images de Corral ont un côté grinçant qui les enracine dans la dure réalité de l'expérience des soldats. Les scènes de combat, bien que peu fréquentes, sont filmées avec une intensité tranquille qui souligne la terreur et la futilité de la situation des soldats. Dans une scène mémorable, le personnage de Cuyler Ballenger, recroquevillé en position fœtale sur le flanc d'une colline pendant une fusillade, incarne les thèmes du film sur la vulnérabilité et l'impuissance face à la guerre.

La force du film réside dans sa capacité à évoquer des questions existentielles plus larges à travers les expériences de ces soldats. Les conversations autour du feu de camp vont du banal - discussions sur la solde, le temps et la nourriture - à des explorations profondes de la foi, du but et de la nature de la guerre. L'un des jeunes soldats, plein de conviction, parle de se battre pour Dieu et son pays. Cependant, un soldat plus âgé, interprété par René W. Solomon, le met doucement en garde, espérant que ses croyances resteront simples face aux complexités de la guerre. Ce dialogue, qui semble parfois intentionnellement thématique, fait partie intégrante de l'exploration du film sur la psyché humaine au milieu d'un conflit.

Malgré son cadre historique, Les Damnés résonne fortement avec des thèmes contemporains. Roberto Minervini établit subtilement des parallèles entre les divisions de la guerre civile et les fractures de la société américaine moderne. Le film suggère que les luttes du passé ne sont pas aussi lointaines que nous voudrions le croire et que les mêmes forces de division, de foi et de désillusion continuent de façonner la conscience nationale. Les scènes finales, où l'on voit des soldats regarder le ciel enneigé, évoquent un sentiment d'intemporalité, comme si la guerre qu'ils mènent ne s'arrêtera jamais vraiment. L'image de deux soldats dont la barbe est saupoudrée de neige, qui rappelle une référence biblique - « Si vos péchés sont écarlates, ils deviendront blancs comme la neige » - traduit la profonde méditation du film sur le péché, la rédemption et la condition humaine.

Les choix de Roberto Minervini en matière de réalisation, en particulier sa décision de tourner sans scénario et d'employer des acteurs non professionnels, contribuent à l'authenticité brute et non filtrée du film. L'utilisation de paysages naturels et l'accent mis sur les routines banales des soldats - comme l'installation du camp, les parties de base-ball ou le simple fait d'essayer de rester au chaud - soulignent l'ennui et l'absence de but qui définissent une grande partie de leur expérience. Il n'y a pas de grands héros dans Les Damnés, ni de méchants évidents, seulement des hommes pris dans la marche inexorable de l'histoire, qui s'efforcent de donner un sens à la place qu'ils y occupent.

La direction photos de Carlos Alfonso Corral, associée à sa partition envoûtante, élève l'esthétique du film à un niveau vraiment remarquable. La décision de tourner dans les paysages sauvages du Montana ajoute une couche d'authenticité et de beauté au film, mais aussi un sentiment de désolation et d'isolement qui reflète l'agitation intérieure des soldats. Les scènes de combat sont traitées avec une intensité discrète, ne se concentrant pas sur la gloire du combat mais sur la peur, la confusion et le chaos qui l'accompagnent.

Les Damnés est un film qui remet en question les récits de guerre conventionnels. Roberto Minervini a conçu une exploration obsédante et méditative de la guerre, de l'identité et de l'esprit humain, utilisant son expérience documentaire pour apporter un sentiment de réalisme et d'immédiateté à un cadre historique. Le film exige de la patience de la part de son public, mais ceux qui sont prêts à s'engager dans ses rythmes lents et ses thèmes existentiels y trouveront une expérience profondément gratifiante. C'est un film calme et remarquable qui laisse une impression durable, non pas par de grandes déclarations ou des batailles épiques, mais par le portrait intime d'hommes qui luttent pour survivre face à des obstacles écrasants et à leurs propres démons intérieurs.

Les damnés (The Damned)
Ecrit et réalisé par Roberto Minervini
Produit par Paolo Benzi, Denise Ping Lee, Roberto Minervini & Pao­lo Del Brocco
Avec Jeremiah Knupp, René W. Solomon, Cuyler Ballenger, Noah Carlson, Judah Carlson, Tim Carlson, Bill Gehring
Musique : Carlos Alfon­so Corral
Directeur de la photographie : Carlos Alfonso Corral
Montage : Marie-Hélène Dozo
Sociétés de production :  Okta Film, Pupa Film, Michigan Films, Rai Cinema, BeTV, Moonduckling Films
Distribué par Les Films du Losange (France)
Date de sortie : NC
Durée du film : 89 minutes

Vu le 12 septembre 2024 au Centre International de Deauville

Note de Mulder: