Gazer

Gazer
Titre original:Gazer
Réalisateur:Ryan J. Sloan
Sortie:Cinéma
Durée:114 minutes
Date:23 avril 2025
Note:
Frankie est atteinte de dyschronométrie, une maladie dégénérative qui l’empêche de percevoir correctement le temps. Encline à la paranoïa et sujette à des pertes de conscience fréquentes, elle enregistre des messages sur des cassettes pour se repérer et assurer sa sécurité. Incapable de trouver un travail stable dans son état, en quête d’argent pour récupérer la garde de sa petite fille, elle accepte une mis­sion proposée par une femme aux intentions troubles…

Critique de Mulder

Gazer, le premier long métrage de Ryan J. Sloan, est un voyage cinématographique qui explore avec audace l'imbrication du temps et de la perception à travers sa protagoniste Frankie, interprétée par Ariella Mastroianni. Le film se veut etre une exploration audacieuse de la dyschronométrie, une maladie neurologique rare qui déforme la perception du temps. Ryan J. Sloan, qui fait ses débuts en tant que réalisateur, donne vie à ce concept abstrait en créant un récit à la fois visuel et thématique fascinant.

S'inspirant des théories de Gilles Deleuze dans Cinema 2 : The Time Image, le récit de Ryan J. Sloan fait écho aux idées du philosophe sur la relation du cinéma avec le temps. Tout comme l'observation de Deleuze selon laquelle le montage fournit la dimension du temps dans le cinéma, Gazerutilise une narration décousue et fragmentée pour immerger le public dans la réalité déformée de Frankie. La structure du film et les choix de montage, qui reflètent la perception fracturée du protagoniste, rappellent le délire cinématographique que l'on trouve dans des classiques comme Vertigo et Memento.

Dès les premiers instants, Gazer exige l'attention du spectateur, l'incitant à se concentrer sur chaque détail - une invitation qui donne le ton à la construction méticuleuse du film. La pellicule 16 mm granuleuse, la caméra portée tremblante et les textures granuleuses contribuent toutes à l'atmosphère troublante du film, ancrant le spectateur dans le monde instable de Frankie. Ce choix stylistique renforce non seulement l'esthétique du film, mais aussi le lien avec son protagoniste, en permettant au public de ressentir directement son sentiment de désorientation.

L'environnement sonore du film est tout aussi évocateur, la partition de Steve Matthew Carter, riche en saxophones, amplifiant la tension et soulignant l'agitation interne de Frankie. L'expérience auditive fluctue en fonction de ses états d'âme, qu'il s'agisse des enregistrements de sa fille ou du bourdonnement des voix d'un groupe de soutien. Ces choix sonores font partie intégrante de l'immersion du public dans l'état mental de Frankie, brouillant les frontières entre la réalité et l'hallucination.

Ariella Mastroianni livre une performance exceptionnelle dans le rôle de Frankie, incarnant une femme au bord de l'effondrement mental et émotionnel. Son interprétation d'une mère qui cherche désespérément à renouer avec sa fille, tout en luttant contre une maladie qui la rend incertaine du temps qui passe, est à la fois crue et racontable. La performance de Mastroianni est le fondement du film, apportant un élément humain au milieu d'un récit abstrait et surréaliste.

Cependant, si Gazer excelle dans son exécution stylistique et son audace conceptuelle, il faiblit dans son dernier acte. Le récit, qui est soigneusement rythmé et riche en suspense, perd de son élan à mesure qu'il approche de sa conclusion. La série de révélations alambiquées et la résolution décevante laissent au spectateur un sentiment d'inachevé. La tentative du film de fusionner ses différents mystères - le passé de Frankie, la disparition de Paige et la critique globale de Big Pharma - en un tout cohérent n'aboutit pas, avec pour résultat un final qui semble plus abstrait que satisfaisant.

Malgré ces lacunes, Gazer reste un premier film convaincant qui donne à réfléchir. C'est un film qui remet en question les structures narratives traditionnelles, embrassant l'ambiguïté et invitant le public à s'interroger sur la fiabilité des témoignages à l'écran. Les imperfections du film, plutôt que de nuire à son impact, soulignent le potentiel de Sloan et de Mastroianni en tant que voix émergentes du cinéma indépendant.

Gazer n'est pas seulement un film sur le temps - c'est une méditation sur la fragilité de la perception humaine et sur les limites que l'on est prêt à franchir pour reprendre le contrôle de sa propre vie. En ce sens, les débuts de Sloan sont prometteurs et laissent présager un avenir radieux pour le réalisateur et ses collaborateurs. Le point de vue unique du film sur la neurodivergence et son utilisation inventive de la forme cinématographique en font une entrée remarquée dans le canon des thrillers psychologiques. Même s'il ne réalise pas toutes ses ambitions, Gazer est une œuvre audacieuse et inventive qui laisse une impression durable.

Gazer
Réalisé par Ryan J. Sloan
Produit par Ryan J. Sloan & Ariella Mastroianni
Écrit par Ryan J. Sloan & Ariella Mastroianni
Avec Ariella Mastroianni, Marcia Debonis, Renee Gagner, Jack Alberts, Tommy Kang
Musique : Steve Matthew Carter
Directeur de la photographie : Matheus Bastos
Montage : Ryan J. Sloan & Jordan Toussaint
Sociétés de production : Telstar Films
Distribué par : Metrograph Pictures (United States), UFO Distribution (France)
Date de sortie : April 4, 2025 (Etats-Unis), 23 avril 2025 (France)
Durée du film : 114 minutes

Vu le 10 septembre 2024 au Centre International de Deauville

Note de Mulder: