Titre original: | Daddio |
Réalisateur: | Christie Hall |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 100 minutes |
Date: | 04 décembre 2024 |
Note: |
Daddio de Christy Hall est une expérience cinématographique qui remet en question la notion même de ce qui rend un film captivant. Se déroulant presque entièrement dans les limites d'un taxi jaune, le film tourne autour d'une prémisse apparemment simple : une conversation entre une jeune femme, Girlie (Dakota Johnson), et son chauffeur de taxi, Clark (Sean Penn), pendant un trajet nocturne entre l'aéroport JFK et Manhattan. Pourtant, dans cet espace limité, Hall parvient à créer un récit qui plonge profondément dans les complexités de la connexion humaine, en explorant les thèmes de la solitude, de l'empathie, de la dynamique des genres et des paysages émotionnels souvent inexprimés qui façonnent nos vies.
Dès que Girlie monte dans le taxi, il est clair que ce ne sera pas un trajet ordinaire. Elle vient d'arriver de l'Oklahoma, transportant avec elle le bagage émotionnel d'un voyage qui n'a été ni reposant ni satisfaisant. Clark, son chauffeur de taxi, l'aborde immédiatement avec une curiosité énergique, presque intrusive, qui donne le ton de ce qui va suivre. C'est un New-Yorkais de la vieille école, un homme qui déteste la dépendance du monde moderne à la technologie, qui préfère l'argent liquide au crédit et qui a beaucoup à dire sur l'état de la société d'aujourd'hui. Mais il est aussi bien plus qu'un chauffeur de taxi bourru et obstiné. Clark dégage une chaleur et une profondeur que Sean Penn fait revivre avec une subtilité remarquable.
La décision de Christie Hall de confiner le film à l'intérieur d'un taxi peut sembler risquée, mais c'est un risque qui porte ses fruits. L'étroitesse du taxi crée un sentiment d'intimité, un environnement sous pression où il est difficile d'échapper à la conversation. Cette configuration oblige à la fois les personnages et le public à se confronter aux sujets qui surgissent, rendant impossible de se cacher derrière des banalités ou d'éviter des vérités inconfortables. Le dialogue est vif, souvent tranchant, et c'est à travers cette joute verbale que les personnages commencent à se révéler.
Clark, interprété par Sean Penn, est un homme qui a vécu une vie pleine d'expériences, bonnes et mauvaises. Il a vu la ville changer, le monde qui l'entoure évoluer d'une manière qu'il ne comprend pas toujours ou avec laquelle il n'est pas toujours d'accord. Mais sous son apparence rude se cache un profond puits d'empathie. Il s'intéresse sincèrement aux gens qu'il conduit, à leur histoire et à ce qui les fait vibrer. C'est cette curiosité qui fait avancer le film, Clark posant à Girlie des questions qui font peu à peu disparaître les couches de sa personnalité.
Girlie, interprétée par Dakota Johnson, commence le voyage comme un personnage quelque peu réservé. Elle est polie mais distante, manifestement préoccupée par quelque chose qu'elle n'est pas prête à partager. Cependant, au fil de la conversation, elle commence à s'ouvrir, révélant un mélange complexe de vulnérabilité et de force. La performance de Johnson est une étude de la subtilité ; elle transmet une large gamme d'émotions avec juste un regard, un changement de posture, ou une brève pause dans son discours. Son jeu est d'une intensité tranquille qui attire le public et l'amène à s'investir dans son histoire, alors même qu'elle se déroule en temps réel.
L'un des aspects les plus convaincants de Daddio est la façon dont il navigue dans la dynamique du pouvoir entre ces deux personnages. En apparence, Clark et Girlie ne pourraient pas être plus différents. Il est plus âgé, de sexe masculin, et fermement ancré dans ses habitudes, tandis qu'elle est plus jeune, de sexe féminin, et navigue dans les complexités de la vie moderne. Pourtant, au fur et à mesure qu'ils discutent, ces différences s'estompent et il se crée un lien fondé sur le respect et la compréhension mutuels. Cette dynamique est particulièrement évidente dans la façon dont le film traite la question du genre. Clark, avec sa mentalité de la vieille école, aurait facilement pu être dépeint comme un chauvin, mais Hall évite ce piège. Au contraire, elle le présente comme un homme qui, bien que figé dans ses habitudes, est toujours capable d'écouter et d'apprendre.
C'est dans les dialogues de Daddio que l'écriture de Christie Hall brille vraiment. Ils sont réalistes sans être banals, ils font réfléchir sans être prêchi-prêcha. Les conversations vont du trivial - comme l'étiquette pour héler un taxi - au profondément personnel, abordant des sujets tels que l'amour, la perte et les erreurs qui nous hantent. Il y a des moments d'humour, des moments de tension et des moments de connexion authentique, tous magnifiquement capturés par la cinématographie de Phedon Papamichael. La façon dont Phedon Papamichael cadre les personnages, souvent en gros plan, souligne l'intimité de leur conversation, donnant au public l'impression d'être un troisième passager dans le taxi.
La ville de New York, bien qu'invisible, se profile à l'arrière-plan, sa présence se faisant sentir à travers les reflets dans les vitres du taxi, les bruits lointains de la circulation et les aperçus occasionnels de la ligne d'horizon. C'est une ville qui ne dort jamais, un lieu de mouvement et de bruit sans fin, mais dans le taxi, il y a un calme, un espace tranquille où ces deux personnages peuvent se connecter à un niveau qui est rare dans l'agitation de la vie quotidienne. L'utilisation de la lumière et de l'ombre dans le taxi est particulièrement efficace, les lumières de la ville projetant un kaléidoscope de couleurs sur les visages des personnages, reflétant les humeurs changeantes de leur conversation.
Au fur et à mesure que le film progresse, la conversation entre Clark et Girlie prend une vie propre, passant du superficiel au profondément personnel. Clark, grâce à ses questions approfondies et à ses observations fines, tire de Girlie l'histoire de sa vie - ses luttes, ses déceptions et ses espoirs pour l'avenir. Nous découvrons ses relations compliquées avec sa famille, sa carrière d'informaticienne et sa relation avec un homme marié beaucoup plus âgé qu'elle. Ces révélations ne sont pas présentées comme des confessions dramatiques, mais plutôt comme des prolongements naturels de la conversation, qui se déroule à un rythme qui semble à la fois authentique et inévitable.
L'une des réussites les plus frappantes du film est sa capacité à explorer ces thèmes lourds sans se sentir forcé ou didactique. Les questions de la solitude, de l'identité et de la recherche de liens sont tissées dans la trame du dialogue, émergeant naturellement au fur et à mesure que les personnages interagissent. Cela témoigne des compétences de Mme Hall en tant que scénariste et réalisatrice. Elle sait quand faire avancer la conversation et quand la laisser respirer, permettant aux personnages de se révéler en leur temps.
La performance de Sean Penn dans le rôle de Clark est un modèle de retenue. Il imprègne le personnage d'un sentiment d'expérience vécue, d'un homme qui a connu les hauts et les bas de la vie et qui est parvenu à accepter ce qu'il est. Il y a dans son interprétation une chaleur qui rend Clark immédiatement sympathique, même lorsqu'il est brutal ou qu'il a des opinions trop tranchées. Penn capture l'essence d'un homme qui, malgré son extérieur bourru, se soucie sincèrement des gens qu'il rencontre. Son alchimie avec Dakota Johnson est palpable, et c'est cette dynamique qui est le moteur du film.
De son côté, Dakota Johnson livre l'une de ses meilleures performances à ce jour. Elle incarne Girlie comme une femme à la fois forte et fragile, confiante et incertaine. Son personnage est d'une grande complexité que Johnson fait ressortir par de subtils changements de ton et d'expression. Ses interactions avec Penn sont chargées d'une tension sous-jacente, comme si à tout moment la conversation pouvait prendre une tournure inconnue. C'est cette tension qui maintient l'attention du public, en l'amenant à s'interroger sur la suite de la conversation.
Le rythme du film est délibéré, reflétant la nature lente et parfois sinueuse d'une vraie conversation. Il y a des moments de silence, des moments où les personnages s'assoient et réfléchissent, laissant le poids de ce qui a été dit s'installer. Ces pauses sont tout aussi importantes que le dialogue lui-même, car elles donnent au public le temps de réfléchir aux thèmes explorés. La musique de Dickon Hinchliffe complète parfaitement ce rythme, offrant une toile de fond tamisée, presque mélancolique, qui renforce la résonance émotionnelle du film.
Malgré ses nombreux points forts, Daddio n'est pas exempt de défauts. Par moments, les dialogues semblent un peu trop scriptés, trop polis, comme si les personnages prononçaient des répliques au lieu d'avoir une conversation naturelle. Il s'agit toutefois d'un problème mineur, car les performances sont suffisamment solides pour porter ces moments sans perdre l'engagement du public. En outre, certains spectateurs pourraient trouver difficile le manque d'action ou de développement de l'intrigue du film, en particulier ceux qui sont habitués à des récits plus conventionnels. Mais pour ceux qui sont prêts à accepter son approche unique, « Daddio » offre une expérience riche et gratifiante.
Le point culminant du film n'est pas marqué par une révélation dramatique ou un rebondissement soudain, mais plutôt par un moment de compréhension tranquille entre les deux personnages. C'est un témoignage de la subtilité du film que ce moment soit aussi puissant que n'importe quel final plein d'action. Lorsque Girlie arrive à destination, Clark et elle se sont transformés, non pas par de grands gestes, mais par le simple fait de se parler et de s'écouter l'un l'autre.
Daddio est un film sur le pouvoir de la conversation, sur la façon dont les liens que nous établissons avec les autres, même s'ils sont brefs, peuvent avoir un impact profond sur nos vies. C'est une méditation sur l'importance de l'empathie et de la compréhension dans un monde qui semble souvent déconnecté et impersonnel. Christy Hall a réalisé un premier film qui donne à réfléchir et résonne émotionnellement, un film qui reste dans l'esprit longtemps après le générique.
Au moment où le taxi s'arrête, on a l'impression que le film se termine, mais aussi qu'il se poursuit. La vie des personnages se poursuit, façonnée par la rencontre qu'ils viennent de faire, et le public doit s'interroger sur la signification de ces moments de connexion fugaces. Daddio nous rappelle que parfois, les voyages les plus profonds n'ont pas lieu dans un espace physique, mais dans les conversations que nous partageons en chemin. C'est un film qui parle de l'expérience humaine d'une manière à la fois intemporelle et profondément pertinente, une petite histoire au grand cœur.
Daddio
Ecrit et réalisé par Christie Hall
Produit par Ro Donnelly, Terry Dougas, Christy Hall, Dakota Johnson, Paris Kassidokostas-Latsis, Emma Tillinger Koskoff
Avec Dakota Johnson, Sean Penn, Marcos A. Gonzalez, Zola Lloyd, Shannon Gannon
Musique : Dickon Hinchliffe
Directeur de la photographie : Phedon Papamichael
Montage : Lisa Zeno Churgin
Sociétés de production : Hercules Film Fund, TeaTime Pictures, Raindrop Valley, Projected Picture Works, Rhea Films
Distribué parSony Pictures Classics (Etats-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Date de sortie : 28 juin 2024 (Etats-Unis), 4 décembre 2024 (France)
Durée du film : 100 minutes
Vu le 13 septembre 2024 au Centre International de Deauville
Note de Mulder:
Une jeune femme élégante sort d’un aéroport avec une petite valise et se dirige d’un pas décidé vers une station de taxi. Nous sommes à New York. Son chauffeur, la cinquantaine, note son trajet qui va jusqu’à Manhattan au coin de la 44 ème rue. Le véhicule part dans la nuit vers sa destination, longeant les lumières blafardes de l’autoroute. Puis le plan de la caméra quitte la circulation, se rapproche et nous plonge dans l’univers clos du taxi.
La jeune femme peu loquace, calme est plongée dans la consultation de son téléphone portable et répond brièvement aux questions du conducteur, elle ne l’écoute guère, plus attachée à lire les Sms de son amant, mais difficile de lui répondre rapidement et calmement avec ce chauffeur insistant. Lui termine cette dernière course de la nuit, il a envie de discuter, de s’immiscer dans la vie de sa jeune passagère.
Peu à peu la jeune femme ébauche un sourire, le temps s’écoule doucement, les mots, les phrases envahissent le confort cosi et silencieux du taxi, l’atmosphère est propice aux confidences. Le chauffeur peut se présenter il s’appelle Clark et la jeune femme ne tardera pas à lui confier le sien, Gurlie. Ces deux êtres au physique et au style de vie différente, vont parvenir à s’apprivoiser au fil du trajet, se faire confiance en osant exprimer leurs doutes, leurs angoisses, leurs expériences mal vécues ils vont même révéler leurs secrets et leurs pensées les plus sombres.
Certains passages avec des paroles plus osées qui relèvent de l’intime m’ont quelque peu gêné et mis mal à l’aise, je me faisais l’impression d’être un voyeur assistant à une conversation secrète entre deux amants. Ce confinement augmente en intensité avec l’arrêt complet du taxi suite à des embouteillages, Clark joué magistralement par Sean Penn, ce chauffeur vieillissant, usé mais toujours passionné par ses rapports avec les gens peut maintenant se retourner sur son siège pour mieux parler face à face avec sa passagère jouée par Dakota Johnson. J’aurais aimé dans le rôle de Gurlie une interprète plus âgée, moins distante que Dakota, plus sur ses gardes face à ce conducteur, pour plus de réalisme.
Le film nous tient en haleine, comment va se poursuivre cette conversation, comment imaginer la fin du trajet, leurs rapports vont- ils changer, évoluer ou se détériorer au contraire, se reverront ils ? C’est tout l’attrait de la mise en scène et du suspens de Christy Hall.
Malgré la lenteur et le manque d’action, de décor minimaliste, juste l’intérieur d’un taxi, le bord de l’autoroute et quelques véhicules côtoyés, l’intrigue reste plausible et nous fait patienter jusqu’au dénouement. Ce film nous donne à réfléchir, pour essayer de rentrer dans la peau des personnages, que ferions-nous à leur place dans pareille situation je l’ai mieux apprécié avec du recul et pris plus de plaisir dans les minutes qui ont suivi la fin de la projection, dehors à tête reposée, plus que pendant dans le déroulement du film. Avec ce film nous ne verrons plus tout à fait d’un même œil un long trajet en compagnie d’un chauffeur de taxi quelque peu insistant mais qui connait la vie et qui vous pousse dans vos retranchements pour aller de l’avant.
Daddio
Ecrit et réalisé par Christie Hall
Produit par Ro Donnelly, Terry Dougas, Christy Hall, Dakota Johnson, Paris Kassidokostas-Latsis, Emma Tillinger Koskoff
Avec Dakota Johnson, Sean Penn, Marcos A. Gonzalez, Zola Lloyd, Shannon Gannon
Musique : Dickon Hinchliffe
Directeur de la photographie : Phedon Papamichael
Montage : Lisa Zeno Churgin
Sociétés de production : Hercules Film Fund, TeaTime Pictures, Raindrop Valley, Projected Picture Works, Rhea Films
Distribué parSony Pictures Classics (Etats-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Date de sortie : 28 juin 2024 (Etats-Unis), 4 décembre 2024 (France)
Durée du film : 100 minutes
Vu le 7 novembre 2024 à Paris, salle Metropolitan Film Export
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