Oh Canada

Oh Canada
Titre original:Oh Canada
Réalisateur:Paul Schrader
Sortie:Cinéma
Durée:91 minutes
Date:Non communiquée
Note:
Un célèbre documentariste canadien, condamné par la maladie, accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…

Critique de Mulder

Le film Oh, Canada, s'éloigne des thèmes traditionnels de l'aliénation et de l'autodéfense, en offrant un portrait profondément introspectif et chaleureux d'un homme qui doit faire face à son passé. Le film, qui met en scène Richard Gere dans le rôle de Leonard Fife, un célèbre documentariste de gauche mourant d'un cancer en phase terminale, tisse une histoire complexe de souvenirs, de regrets et d'instants fugaces de pardon.

Le film s'ouvre sur une scène qui s'impose comme l'une des plus chaleureuses de la carrière de Paul Schrader. Leonard Fife est montré assis dans un restaurant éclairé par le soleil à l'heure magique, entouré de figures de son passé. Ce moment traditionnel de pardon est fugace, il ne dure que quelques secondes, et il donne le ton de l'exploration du film sur la mémoire et les épisodes imaginaires. Le choix de Paul Schrader de conserver la brièveté de ce moment en renforce l'impact, le rendant presque subliminal au milieu des autres souvenirs, plus fragmentés, de la vie de Leonard.

Oh, Canada est riche en éléments autobiographiques, car il reflète la propre vie de Paul Schrader et son amitié avec le romancier Russell Banks, dont le roman Foregone, paru en 2021, sert de matériau de base au film. L'histoire est centrée sur la vie de Leonard, dépeinte à travers une série de souvenirs librement associés alors qu'il est interviewé par une équipe de tournage sur sa carrière. Ce dispositif narratif permet à Paul Schrader de plonger dans son propre passé, confronté à des regrets personnels concernant sa famille, sa carrière et le traitement réservé à son frère, également prénommé Leonard.

Le film explore la relation entre Leonard et Malcolm (interprété par Michael Imperioli), un ancien étudiant devenu documentariste, qui réalise la dernière interview de Leonard. Le personnage de Malcolm est minimisé par rapport au roman, ce qui reflète la méfiance de Leonard à l'égard de sa propre carrière et les dilemmes éthiques inhérents à la transformation de vies réelles en projets acclamés. Cette dynamique introduit une tension entre le mentor et le protégé, car Malcolm cherche à dépouiller les rêveries de Leonard, induites par la drogue, pour obtenir une exclusivité sur une légende.

Paul Schrader utilise un dispositif scénique pour l'interview de Leonard, qui rappelle les techniques d'Errol Morris, créant une atmosphère de confession. Leonard est assis devant une toile de fond, face à une caméra vêtue de rideaux, ce qui symbolise son isolement et les barrières qu'il a érigées autour de son véritable moi. Cette configuration, combinée à l'utilisation par Paul Schrader d'un format carré pour Leonard, le sépare visuellement des autres personnages, y compris de sa femme Emma (interprétée par Uma Thurman), ce qui renforce le sentiment de détachement et d'isolement qu'il éprouve.

La structure narrative du film oscille entre des interviews au présent et des flashbacks, Jacob Elordi incarnant un jeune Leonard. Ces transitions, volontairement bancales, soulignent la nature décousue de la mémoire et mettent en évidence la lutte de Leonard pour réconcilier son passé avec son présent. Les réflexions de Leonard, livrées dans le dialogue guindé caractéristique de Paul Schrader, révèlent un homme qui s'accroche à sa dignité au milieu d'une déchéance physique et émotionnelle.

Richard Gere livre une performance remarquable dans le rôle du vieux Leonard, mettant en évidence son évolution en tant qu'acteur. L'interprétation de Gere est empreinte de chaleur et de vulnérabilité, rendant palpable la lutte intérieure de Leonard. Sa performance nuancée brille dans les scènes où les pensées de Leonard oscillent entre les bons souvenirs et l'autocritique sévère. Le visage expressif de Gere et son langage corporel subtil traduisent un homme aux prises avec sa mortalité imminente.

Oh, Canada se penche sur les trahisons et les abandons passés de Leonard, explorant la façon dont ces actions ont façonné son présent. Le récit de Paul Schrader suggère que le voyage de Leonard n'a pas pour but d'atteindre la rédemption, mais plutôt la libération cathartique de se confronter enfin à ses vérités. Les réflexions de Leonard sur ses relations ratées, l'abandon de son fils et la fraude qu'il a commise en tant que documentariste sont au cœur de l'exploration du film sur l'héritage et le pardon de soi.

La réalisation de Paul Schrader se caractérise par une attention méticuleuse aux détails visuels et à la complexité narrative. L'utilisation de différents rapports d'aspect, de l'étalonnage des couleurs et de perspectives changeantes ajoute des couches aux souvenirs fragmentés de Leonard. Ces choix esthétiques reflètent l'état d'esprit désorienté de Leonard et renforcent la nature introspective du film. Le style visuel du film, associé au rythme sobre et contemplatif de Paul Schrader, crée une puissante méditation sur la mémoire et la mortalité.

Oh, Canada est une exploration profonde de la confrontation d'un homme avec son passé, avec en toile de fond les réflexions personnelles de Paul Schrader. L'image finale ambiguë du film, qui réunit les gloires et les regrets de Leonard, peut être interprétée comme un adieu poignant de Leonard et de Paul Schrader. Cette ambiguïté reflète la nature complexe de la mémoire et de la condition humaine, laissant le public réfléchir à l'entrelacement des triomphes et des échecs de la vie.

Oh, Canada est plus que l'histoire d'un homme mourant ; c'est la méditation cinématographique de Paul Schrader sur l'héritage, les regrets et la possibilité de trouver la paix dans ses derniers instants. Le film incite les spectateurs à réfléchir à leur propre vie et aux choix qu'ils ont faits, soulignant l'importance d'affronter son passé avec honnêteté et humilité avant qu'il ne soit trop tard.

Oh, Canada
Écrit et réalisé par Paul Schrader
D'après Foregone de Russell Banks
Produit par Tiffany Boyle, David Gonzales, Meghan Hanlon, Scott LaStaiti, Luisa Law
Avec Richard Gere, Jacob Elordi, Uma Thurman, Victoria Hill, Michael Imperioli, Penelope Mitchell, Kristine Froseth
Directeur de la photographie : Andrew Wonder
Montage : Benjamin Rodriguez Jr.
Musique : Phosphorescent
Sociétés de production : Foregone Film PSC, Fit Via Vi Film Productions, Lucky 13 Productions, Ottocento Films, SIPUR, Vested Interest
Date de sortie : 17 mai 2024 (Cannes)
Durée : 91 minutes

Vu le 25 mai 2024 au Gaumont Opéra Premier, Salle 1

Note de Mulder: