Les Linceuls

Les Linceuls
Titre original:The Shrouds
Réalisateur: David Cronenberg
Sortie:Cinéma
Durée:116 minutes
Date:25 septembre 2024
Note:
Karsh, 50 ans, est un homme d’affaires renommé. Inconsolable depuis le décès de son épouse, il invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se met en quête des coupables.

Critique de Mulder

Le film Les Linceuls (The Shrouds) de David Cronenberg, présenté en avant-première au Festival de Cannes cette année, est un sombre drame d'horreur d'art et d'essai qui explore les complexités du deuil, de la perte et des implications éthiques de la technologie dans le processus de deuil. Le récit complexe et le style minimaliste du film sont typiques de Cronenberg et offrent une expérience visuelle unique et stimulante.

Les Linceuls (The Shrouds) nous présente Karsh Relikh, interprété par Vincent Cassel, un entrepreneur décharné et en deuil. Karsh est le fondateur de GraveTech, une start-up controversée qui installe des écrans numériques sur les pierres tombales, permettant aux personnes endeuillées de voir leurs proches se décomposer en temps réel. Cette invention, que Karsh montre fièrement à un rendez-vous galant déconcerté, est sa façon de rester en contact avec sa femme décédée, Becca, dont il trouve étrangement réconfortant d'observer le cadavre en décomposition. Cette prémisse troublante ouvre la voie à un récit rempli de dilemmes éthiques, d'angoisse personnelle et d'intrigues politiques.

Vincent Cassel livre une performance convaincante dans le rôle de Karsh, incarnant le chagrin et la détresse du personnage avec une intensité contenue. Karsh est décrit comme un homme dont la vie tourne autour de son invention et de la mémoire déclinante de sa femme. L'interprétation de Vincent Cassel permet de saisir le confort étrange que Karsh tire de son invention macabre, ce qui rend son personnage à la fois pitoyable et inquiétant. Malgré le sujet sinistre, Cassel parvient à insuffler à Karsh un certain degré d'humanité, dressant le portrait d'un homme pris au piège de son propre chagrin et de sa propre obsession.

Diane Kruger joue un double rôle dans le film, incarnant à la fois Becca et sa sœur Terry. Dans le rôle de Becca, Kruger apparaît dans les flashbacks et les hallucinations de Karsh, souvent nue et à différents stades de décomposition. Ces visions obsédantes soulignent l'incapacité de Karsh à lâcher prise, ce qui accentue encore son profond chagrin. Dans le rôle de Terry, Kruger offre une performance plus terre à terre. Terry est un toiletteur pour chiens qui se lie à Karsh, ajoutant une autre couche de complexité au récit. L'interprétation de Terry par Kruger apporte une touche de chaleur à l'environnement autrement froid et stérile du film.

Guy Pearce ajoute une touche d'humour noir au récit dans le rôle de Maury, le beau-frère de Karsh. Le personnage de Pearce est un théoricien de la conspiration dont les excentricités contrastent avec l'attitude sombre de Karsh. Sa performance ajoute de la profondeur à l'exploration du film sur le deuil et la perte, en montrant comment différents personnages font face à la même tragédie de différentes manières.

La réalisation de Cronenberg est marquée par le minimalisme et le détachement qui le caractérisent. L'esthétique du film est austère et monochrome, reflétant la noirceur du monde intérieur de Karsh. Les décors sont épurés, les costumes quelconques, et l'atmosphère générale est celle d'un délabrement émotionnel et physique. Ce style visuel renforce les thèmes du film, créant un sentiment d'engourdissement et de détachement qui reflète l'état émotionnel du protagoniste.

Le récit de Les Linceuls (The Shrouds) est aussi complexe que ses thèmes. L'invention de Karsh suscite rapidement la controverse, entraînant des actes de vandalisme dans son cimetière et des menaces de la part d'un milliardaire étranger. Ces conflits externes s'ajoutent à la lutte interne de Karsh, créant un récit à plusieurs niveaux qui explore non seulement le deuil personnel, mais aussi les implications plus larges de la technologie et de l'éthique dans le deuil. Les méandres de l'intrigue peuvent être difficiles à suivre, avec de nombreuses intrigues secondaires et des questions philosophiques qui diluent parfois les thèmes centraux.

L'une des forces du film est son exploration de thèmes profonds tels que la spiritualité, le nihilisme et les implications éthiques des avancées technologiques dans le deuil. L'athéisme de Karsh, juxtaposé à sa vénération pour le processus de l'après-mort, ajoute une couche de complexité au récit. Cronenberg utilise l'obsession de Karsh à regarder la décomposition de sa femme pour commenter le besoin humain de connexion et les efforts que nous faisons pour la maintenir, même au-delà de la mort.

Cependant, la richesse thématique du film est aussi sa faiblesse. La myriade de questions philosophiques et de dilemmes éthiques présentés dans Les Linceuls (The Shrouds) peut parfois sembler écrasante et déconcentrée. Le rythme lent du film et son atmosphère froide et détachée peuvent également aliéner les spectateurs qui préfèrent des histoires plus engageantes sur le plan émotionnel.

D'un point de vue stylistique, Les Linceuls (The Shrouds) est minimaliste et monochrome, avec une esthétique visuelle qui renforce les thèmes de la décadence et du détachement du film. Les images de Douglas Koch sont froides et stériles, reflétant la morosité du monde de Karsh. La musique d'Howard Shore, un mélange d'hymnes et d'orgues, complète le ton sombre du film, ajoutant à son sentiment général de mélancolie.

Les Linceuls (The Shrouds) est un film qui divisera probablement le public. Il s'agit d'une œuvre contemplative qui requiert patience et empathie pour apprécier pleinement sa profondeur thématique et ses intentions artistiques. Pour ceux qui peuvent s'engager dans son rythme lent et son style détaché, il offre une exploration unique du deuil, de la perte et des implications éthiques de la technologie dans le deuil. Cependant, les méandres de l'intrigue et le ton émotionnellement distant peuvent laisser les autres sur leur faim. Les Linceuls (The Shrouds) de David Cronenberg témoigne de sa vision distinctive et de sa volonté de repousser les limites, mais sa capacité à offrir un récit captivant et une résonance émotionnelle reste une question d'interprétation personnelle.

Les Linceuls (The Shrouds)
Écrit et réalisé par David Cronenberg
Produit par Saïd Ben Saïd, Martin Katz, Anthony Vaccarello
Avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce
Musique : Howard Shore
Directeur de la photographie : Douglas Koch
Montage : Christopher Donaldson
Sociétés de production : Prospero Pictures, SBS International, Saint Laurent Productions
Distribué par Pyramide Distribution (France)
Date de sortie : 20 mai 2024 (Cannes), 25 septembre 2024 (France)
Durée du film : 116 minutes

Vu le 25 mai 2024 au Gaumont Opéra Premier, Salle 1

Note de Mulder: