Titre original: | Le Royaume |
Réalisateur: | Julien Colonna |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 108 minutes |
Date: | 13 novembre 2024 |
Note: |
Le Royaume premier long métrage de Julien Colonna, projette une longue ombre qui rappelle Le Parrain, non seulement parce que l'un de ses personnages est surnommé le Parrain, mais aussi parce qu'il dépeint de manière complexe la dynamique de la mafia au sein d'une famille. Situé dans le paysage ensoleillé mais instable de la Corse en 1995, une période marquée par des conflits entre les factions nationalistes et les syndicats du crime, le film se concentre sur un clan mafieux assiégé qui lutte pour maintenir son emprise au milieu d'un assaut d'adversaires.
Au cœur de cette saga turbulente se trouve Pierre-Paul Vitali (Saveriu Santucci), un mafioso rappelant un Don Corleone détendu, qui doit protéger son leadership précaire et sa fille adolescente, Lesia Vitali (la remarquable Ghjuvanna Benedetti), alors qu'ils échappent aux forces de l'ordre et aux mafieux rivaux. Ce récit se déploie comme un détournement captivant de l'histoire traditionnelle de la mafia, explorant le point de vue d'une jeune fille à l'aube de sa féminité, découvrant les réalités brutales du monde de son père et sa propre voie potentielle au sein de ce monde.
La réalisation de Julien Colonna est marquée par un style précis et naturaliste qui capture la chaleur étouffante et oppressante d'un été corse, utilisant les magnifiques paysages méditerranéens de l'île comme toile de fond pour le drame qui se déroule. La progression du film est délibérée, le premier acte se concentrant sur la vie apparemment typique de l'adolescente Lesia Vitali - traîner avec ses amis, profiter de la plage et nourrir une romance naissante - jusqu'à ce qu'un changement brusque la propulse dans le monde violent dans lequel évolue son père.
Cette transition est à la fois choquante et fascinante, entraînant le public dans la tension et l'incertitude qui définissent l'existence de Lesia Vitali. Lorsque Lesia Vitali est brusquement emmenée dans une villa isolée où se cachent Pierre-Paul Vitali et ses hommes de main, la véritable nature de leur relation et le danger permanent auquel ils sont confrontés deviennent évidents. En suivant le parcours de Lesia Vitali, nous assistons à son immersion progressive dans les opérations clandestines de son père, sa compréhension s'approfondissant au fil des conversations et des rencontres clandestines.
Le récit est en grande partie vu à travers les yeux de Lesia Vitali, un choix intelligent qui maintient un sentiment de mystère et de tension tout au long du film. La connaissance intime que Julien Colonna a de la Corse confère de l'authenticité au cadre et à l'histoire, invitant les spectateurs à reconstituer le puzzle aux côtés de Lesia Vitali. Au fur et à mesure qu'elle s'imbrique dans le monde de son père, la dure réalité de leur existence devient inévitable.
Le choix du réalisateur de garder une grande partie de la violence hors champ jusqu'à la dernière partie du film souligne la soudaineté et la brutalité du monde criminel, rendant les moments d'action encore plus percutants. Cette approche, combinée à la cinématographie d'Antoine Cormier, qui utilise des tons de couleurs sobres et cadre souvent les scènes du point de vue limité de Lesia Vitali, renforce la qualité immersive du film.
La force de Le Royaume réside dans sa représentation de l'évolution de Lesia Vitali, d'une jeune fille naïve à une personne empêtrée dans la vie difficile que mène son père. L'interprétation de Ghjuvanna Benedetti est captivante ; elle saisit le conflit interne de Lesia Vitali et son acceptation progressive du monde de son père. Sa transformation est parallèle à la proximité croissante de la violence, qui commence par de lointains reportages mais devient rapidement une réalité inéluctable. Le point culminant du film, une confrontation passionnante qui révèle les véritables capacités de Lesia Vitali, laisse entrevoir la possibilité qu'elle échappe à cette vie, bien qu'il reste ambigu qu'elle le veuille ou non.
Le film de Julien Colonna n'est pas seulement un polar, mais une exploration poignante de la famille, de la loyauté et du coût d'une vie vécue dans la fuite. Le monologue de Pierre-Paul Vitali dans un camping, où il révèle les conséquences de son mode de vie, est un moment marquant, offrant un aperçu du côté humain d'un homme souvent perçu comme un criminel impitoyable. Ce moment est juxtaposé à une révélation ultérieure qui souligne l'impitoyabilité nécessaire pour survivre dans son monde. La représentation de la violence dans le film est austère et peu glorieuse, reflétant la réalité du crime organisé en Corse, où le meurtre est une affaire brutale, souvent publique, et où la survie nécessite un état de vigilance constant.
Le Royaume est un premier film parfaitement maitrisé qui offre une perspective nouvelle sur le genre policier en se concentrant sur le passage à l'âge adulte d'une jeune fille dans un monde périlleux. La mise en scène de Julien Colonna, associée à de solides performances et à un cadre profondément authentique, donne naissance à un film à la fois captivant et riche en émotions. Le Royaume se distingue non seulement par sa narration et sa technique cinématographique, mais aussi par sa capacité à capturer l'essence du paysage culturel et criminel unique de la Corse. C'est un film qui invite les spectateurs à regarder au-delà de la surface de la vie de la mafia, révélant les coûts personnels et les dynamiques complexes qui la sous-tendent.
Le royaume
Réalisé par Julien Colonna
Produit par Hugo Sélignac, Antoine Lafon
Écrit par Julien Colonna, Jeanne Herry
Avec Ghjuvanna Benedetti, Anthony Morganti, Thomas Bronzini de Caraffa, Pascale Mariani, Saveriu Santucci, Andrea Cossu, Frédéric Poggi, Eric Ettori, Régis Gomez, Marie Murcia
Musique : Audrey Ismael
Directeur de la photographie : Antoine Cormier
Montage : Albertine Lastera, Yann Malcor
Sociétés de production : CHI-FOU-MI
Distribué par Ad Vitam (France)
Date de sortie : 13 novembre 2024 (France)
Durée : 108 minutes
Vu le 24 mai 2024 au Gaumont Opéra Capucines, Salle 1
Note de Mulder: