Maria

Maria
Titre original:Being Maria
Réalisateur:Jessica Palud
Sortie:Cinéma
Durée:102 minutes
Date:19 juin 2024
Note:
Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu’elle enflamme la pellicule d’un film sulfureux devenu culte : Le Dernier tango à Paris. Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale…

Critique de Mulder

Maria, réalisé par Jessica Palud, est un biopic chargé d'émotion qui explore la vie tragique de Maria Schneider, l'actrice française dont la participation au film Last Tango in Paris de Bernardo Bertolucci a laissé une marque indélébile sur sa carrière et sa vie personnelle. Basé sur le livre de Vanessa Schneider, la cousine de Maria, le film offre un regard fascinant et poignant sur l'ascension de Maria Schneider vers la célébrité et sa chute ultérieure, en mettant l'accent sur l'impact durable des expériences traumatisantes qu'elle a vécues sur le tournage du film controversé de 1972.

Dès le début, le film de Jessica Palud plonge le spectateur dans l'univers tumultueux de Maria Schneider. Nous rencontrons d'abord Schneider, interprétée avec une profondeur stupéfiante par Anamaria Vartolomei, en tant qu'adolescente aux prises avec une vie familiale troublée. Son père, Daniel Gélin (interprété par Yvan Attal), un acteur célèbre qui l'a abandonnée pendant son enfance, revient dans sa vie, suscitant un mélange d'admiration et de ressentiment. La mère de Maria Schneider, Marie Gillain, un ancien mannequin qui l'a élevée seule, s'oppose avec véhémence à ce nouveau lien et finit par expulser Maria Schneider de leur maison lorsqu'elle découvre leur relation naissante.

Lancée dans l'indépendance, Maria Schneider commence son parcours dans l'industrie cinématographique par de petits rôles, grâce aux relations de son père. Ce chemin la mène à une rencontre fatidique avec le réalisateur Bernardo Bertolucci, interprété par Giuseppe Maggio, qui l'engage dans Last Tango in Paris. Jessica Palud dépeint Bertolucci comme un réalisateur dévoré par sa vision artistique, souvent au détriment du bien-être de ses acteurs. Ce portrait est particulièrement évident dans la scène tristement célèbre impliquant le personnage de Marlon Brando et celui de Jeanne Schneider. Brando, interprété de manière convaincante par Matt Dillon, et Bertolucci ont conspiré pour inclure un acte choquant et non scénarisé utilisant du beurre comme lubrifiant, une décision prise sans le consentement ou l'avertissement préalable de Schneider.

Le film reconstitue méticuleusement ce moment troublant, en se concentrant sur le choc et l'humiliation authentiques de Schneider. La décision de Jessica  Palud de présenter cette scène du point de vue de Schneider en intensifie l'impact, soulignant la profonde trahison et le traumatisme qu'elle a subis. La performance de Dillon capte le charme et l'attitude paternaliste de Marlon Brando, ce qui ne fait qu'amplifier le sentiment de trahison lorsqu'il participe à l'acte non autorisé. La position sans complaisance de Bertolucci sur cette méthode, qui vise à obtenir des réactions réelles, souligne les questions éthiques qui entourent les pratiques de mise en scène et l'exploitation des acteurs.

Après cette scène tristement célèbre, Maria se concentre sur la vie de Maria Schneider après Le dernier tango à Paris. Le film dépeint sa descente dans l'addiction, son comportement erratique sur les plateaux de tournage et ses relations personnelles tumultueuses. Jessica Palud utilise un style narratif fragmenté pour refléter l'état d'esprit fracturé de Schneider, transmettant ainsi efficacement le chaos et l'instabilité qui ont marqué sa vie. Malgré la structure épisodique, le portrait de Vartolomei reste constamment convaincant, capturant la douleur brute, la vulnérabilité et la résilience de Schneider.

L'un des aspects les plus poignants du film est la relation entre Schneider et Noor, interprétée par Céleste Brunnquell. Noor, une jeune étudiante en cinéma, offre à Schneider un semblant de stabilité et une affection sincère. Leur relation offre une lueur d'espoir au milieu de la tourmente, soulignant le pouvoir de guérison des liens humains authentiques. La performance de Brunnquell ajoute de la profondeur à cette dynamique, mettant en évidence le potentiel de transformation de l'amour et de la compréhension.

Techniquement, Maria excelle dans la création d'une expérience immersive et émotionnelle. L'utilisation par le directeur de la photographie Sébastien Buchmann d'un éclairage naturaliste et d'une caméra portée renforce l'intimité et le réalisme du film. L'esthétique brute et non polie reflète le parcours tumultueux de Schneider. En outre, la partition obsédante de Benjamin Biolay souligne la gravité émotionnelle de l'histoire de Schneider, renforçant ainsi l'impact global du film.

L'expérience de Jessica Palud en tant qu'assistante sur des plateaux de tournage, notamment sur The Dreamers de Bertolucci, confère de l'authenticité à sa représentation du processus de fabrication d'un film et de la dynamique du pouvoir en jeu. La mise en scène de Jessica Palud est à la fois sensible et incisive, refusant d'éluder les aspects les plus sombres de l'histoire de Schneider tout en conservant un regard respectueux et empathique.

Cependant, le film n'est pas exempt de défauts. Le rythme de la seconde moitié ralentit considérablement et le récit semble parfois décousu. La structure épisodique, tout en reflétant l'état mental fragmenté de Schneider, peut nuire à la cohésion générale de l'histoire. Malgré ces problèmes, le noyau émotionnel du film reste fort, porté par la puissante performance de Vartolomei.

Maria est également un commentaire opportun sur le traitement des femmes dans l'industrie cinématographique, qui résonne fortement avec le mouvement #MeToo contemporain. En mettant en lumière les expériences de Maria Schneider, Jessica Palud remet en question la notion selon laquelle la vision artistique justifie des pratiques contraires à l'éthique. Le film défend l'importance du consentement et la protection des droits des acteurs, en faisant un plaidoyer convaincant pour la nécessité de coordonnateurs de l'intimité et de normes éthiques sur le plateau.

Maria est un film profondément émouvant et stimulant qui rend hommage à l'héritage de Maria Schneider. La réalisation de Jessica Palud, associée à la performance exceptionnelle d'Anamaria Vartolomei, donne vie à l'histoire tragique de Maria Schneider avec sensibilité et profondeur. Le film ne se contente pas de revenir sur un chapitre sombre de l'histoire du cinéma, il suscite également une réflexion critique sur l'évolution des normes en matière de consentement et d'éthique dans l'industrie. Maria est un témoignage puissant de la résilience de Schneider et un rappel poignant de la nécessité de changer la façon dont nous créons et consommons le cinéma.

Maria
Réalisé par Jessica Palud
Produit par Marielle Duigou
Écrit par Jessica Palud, Laurette Polmanss
D'après l'oeuvre de Vanessa Schneider 
Avec Anamaria Vartolomei, Yvan Attal, Matt Dillon, Marie Gillain, Stanislas Merhar, Céleste Brunnquell, Giuseppe Maggio, Alexis Corso
Musique : Benjamin Biolay
Directeur de la photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Thomas Marchand
Sociétés de production : Orange Studio, Fin Aout Productions, Haut et Court, Les films de Mina, StudioCanal, Moteur s'il vous plait
Distribué par Haut et Court (France)
Date de sortie : 19 juin 2024 (France)
Durée : 100 minutes

Vu le 25 mai 2024 au Gaumont Opéra Premier, Salle 1

Note de Mulder:

Critique de Sabine

Maria retrace des moments de vie de l'actrice Maria Schneider, depuis son adolescence quand elle cherche à revoir son père biologique, l'acteur Daniel Gélin. Ce film est issu de l’adaptation libre du livre de Vanessa Schneider Tu t'appelais Maria Schneider et des recherches de la réalisatrice. A 19 ans, Jessica Palud a été stagiaire sur le film The Dreamers de Bernardo Bertolucci. C'est à cet âge que Maria est castée par Bertolucci en 1971 pour son film Le Dernier Tango à Paris avec Marlon Brando.

Ce film fera sa gloire et la brisera, en raison d'une scène de sodomie, non prévue au scénario et vécue comme un viol par la comédienne sur le plateau de tournage. Car Bertolucci l'a reconnu par la suite. Il voulait voir les vraies larmes de Maria, son humiliation. Ce film interroge les limites de l'art, l'emprise du réalisateur, les abus subies par les comédiens et comédiennes, la place des femmes dans le cinéma de l'époque.

Le film est raconté uniquement du point de vue de Maria Schneider. La réalisatrice se focalise sur Maria, incarné par Anamaria Vartolomei. La comédienne est de toutes les séquences, filmé souvent plein cadre en frontal. Son interprétation est remarquable. Pour incarner Marlon Brando, Jessica Palud a fait appel à Matt Dillon. Avec sa voix grave, il interprète de manière crédible Brando. Tout comme Giuseppe Maggio, qui joue le réalisateur Bertolucci. La jeune actrice Céleste Brunnquell incarne avec une grande sensibilité Noor, la compagne de Maria.

Pour retracer la scène choc, Jessica Palud a fait appel à une coordinatrice d'intimité et un cascadeur car «dans cette séquence, c’est un homme de 90 kg qui retourne violemment sur le sol une jeune femme de 19 ans." La scène est filmée du point de vue de Maria, dans une sobriété, qui lui donne une grande intensité. Le film est d'une grande sobriété, sans effets, dans ses cadres et son montage. La photographie de Sébastien Buchmann s'inspire du travail de Nan Goldin, jamais esthétisante.

Benjamin Biolay compose la musique, où le piano dessine le chemin intérieur de Maria, tandis qu'un violon et un violoncelle en solo insufflent une touche romanesque pour évoquer la vulnérabilité mais aussi la résilience de cette femme, qui eut une carrière après ce film sulfureux.

En 2011, au moment de la mort de Maria, Bertolucci déclara: «Sa mort est arrivée trop tôt. Avant que je ne puisse l'embrasser tendrement, lui dire que je me sentais lié à elle comme au premier jour et, au moins pour une fois, lui demander pardon. Maria m'accusait d'avoir volé sa jeunesse et aujourd'hui seulement je me demande si ce n'était pas en partie vrai.»

Maria est un film hommage à une comédienne Maria Schneider (1952-2011), devenue le symbole des violences subies par les femmes dans le monde du cinéma. Un film d'utilité publique pour comprendre, sans juger. 

Maria
Réalisé par Jessica Palud
Produit par Marielle Duigou
Écrit par Jessica Palud, Laurette Polmanss
D'après l'oeuvre de Vanessa Schneider 
Avec Anamaria Vartolomei, Yvan Attal, Matt Dillon, Marie Gillain, Stanislas Merhar, Céleste Brunnquell, Giuseppe Maggio, Alexis Corso
Musique : Benjamin Biolay
Directeur de la photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Thomas Marchand
Sociétés de production :Orange Studio, Fin Aout Productions, Haut et Court, Les films de Mina, StudioCanal, Moteur s'il vous plait
Distribué par Haut et Court (France)
Date de sortie : 19 juin 2024 (France)
Durée : 100 minutes

Vu le 6 mai 2024 au Club Marbeuf

Note de Sabine: