Tout, tout de suite

Tout, tout de suite
Titre original:Tout, tout de suite
Réalisateur:Richard Berry
Sortie:Cinéma
Durée:111 minutes
Date:11 mai 2016
Note:

Des portes explosent. Les policiers casqués, armés font irruption de nuit dans des appartements, cris, coups : défilent à l’écran les visages des interpellés. Des beurs, des blacks, des blancs. Tous ont moins de vingt ans. Ceux que la presse appellera les « barbares ». On est en février 2006. La police quelques heures plus tôt a trouvé le corps moribond d’Ilan (Halimi) sur le bord d’une route à Sainte-Geneviève-des-Bois, nu, brûlé à 80 %. Kidnappé, il a été séquestré pendant 24 jours. Il était juif. Et donc supposé avoir de l’argent. Par flash-back, le film déroule alors le fil des événements depuis le kidnapping. Courses poursuites entrecoupées de scènes où on assiste au calvaire de la victime. 

Critique de Mulder

Certains films sont d’une actualité brûlante et nous rappelle que l’endoctrinement de certaines masses peut amener à des actes irréfléchis, inhumains et d’une lâcheté infâme. Comment rester insensible face à cette reconstitution réaliste et suffocante d’un enlèvement qui a amené à l’assassinat du jeune Ilan Halimi. Richard Berry pour son sixième long métrage adapte le livre homonyme de Morgan Sportès publié en 2011 et qui fut récompensé du prix interallié. Après avoir réalisé trois comédies (L' Art (délicat) de la séduction (2001), Moi César, 10 ans 1/2, 1,39 m (2003), Nos femmes (2014)), et deux thrillers ( La boite noire (20005) et L’immortel (2010)) son nouveau film est à ce jour son meilleur et surtout le plus audacieux. Dans un contexte de production favorisant des films à faible risque de ne pas rencontrer un public, Tout, tout de suite rappelle que le cinéma est un vecteur important de réflexion et non uniquement une source de divertissement puérile.

A travers ce film et sa manière d’adapter de manière réaliste les tristes événements qui se sont déroulés en 2006 et ont amené à l’arrestation du « gang des barbares », le réalisateur dresse surtout un constat sanglant sur le racisme et les nombreuses mauvaises idées reçues. En s’opposant ainsi à certaines idéologies xénophobes et racistes, le film nous rappelle que de telles actions peuvent dans notre période actuelle se reproduire. En cherchant à donner à son film une réelle portée et un sentiment d’oppression constant et palpable le réalisateur a préféré recourir à de jeunes comédiens. On retrouve ainsi dans le casting principal beaucoup de comédiens dont il s’agit d’un premier rôle. Leur excellente prestation remporte aisément notre adhésion. Que cela soit le jeune Steve Achiepo dans le rôle de ce chef de gang Youssouf Fofana prêt à tout pour soutirer à un juif un maximum d’argent (alors que celui-ci n’est pas d’un milieu aisé), Marc Ruchmann dans le rôle important d’Ilan Halimi, tout concourt à nous donner un thriller ambitieux, maîtrisé et d’une violence rare. On retiendra aussi la présence d’une jeune comédienne Romane Rauss dans le rôle de Zelda, l’appât de ce gang qui risque de refaire parler d’elle tellement sa présence confère au film un charme dangereux.

Certes ce film reprend la même trame que le film 24 jours d’Alexandre Arcady dont la source était un autre roman (Ruth Halimi). Mais son approche diffère par sa volonté de montrer réellement les différents sévices que ce jeune a subis,il a été emprisonné, brûlé, mal nourri. C’est une réelle plongée en enfer que le film nous propose. Les nombreuses scènes d’une violence rare nous happe et nous terrorise par la volonté de rester fidèle aux événements. Les nombreuses scènes d’interrogatoire des membres de ce gang, nous terrorisent tout autant. Ces jeunes meurtriers ne semblent pas réellement prendre conscience de leurs actes inhumains. Dans notre société actuelle le rapport à la violence semble amoindri ne serait- ce que par celle présente dans de nombreux films, séries et musique qui abreuve notre société et par l’absence de repère moral.

Dès la première scène du film, le réalisateur nous présente l’arrestation des membres du gang des barbares. Il nous montre les différents journaux télévisés de l’époque et donne à son film une approche documentaire qu’il ne lâchera pas pendant tout le récit. Certes on ressent aisément l’inspiration que le film Inside Man de Spike Lee (2006) a eu par son approche de tourner cette histoire mais le réalisateur s’est également inspiré de nombreux documentaires pour relater ces différentes scènes d’interrogatoire. Tout, tout de suite arrive à nous faire oublier qu’il s’agit d’un film et tend par moment à être un documentaire sur les atrocités commises par ce gang des barbares. Pour renforcer cette ambiance moite, le réalisateur a également tenu à trouver une musique parfaitement en phase avec son film. Il a ainsi travaillé avec le musicien britannique Harry Escott a qui l’on doit entre autre les excellentes musiques des films Hard Candy (2005), Shame (2011) et plus récemment celle de L'Affaire Jessica Fuller (2014).

Le réalisateur et également interprète d’un second rôle (celui du père d’ Ilan Halimi) s’est totalement investi sur un sujet qui le passionne. Un projet que l’on sent risqué non seulement car ce comédien nettement plus présent dans des films commerciaux et populaires s’éloigne du cinéma qui lui a donné une réelle renommée mais aussi car il s’agit d’un sujet relatif à la religion et à l’intégration. Le résultat remporte notre adhésion et s’impose comme le meilleur film à ce jour du comédien et réalisateur Richard Berry.

Vu le 3 mai 2016 au Club 13

Note de Mulder: