Tête haute (La)

Tête haute (La)
Titre original:Tête haute (La)
Réalisateur:Emmanuelle Bercot
Sortie:Cinéma
Durée:120 minutes
Date:13 mai 2015
Note:

Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver.

Critique de Mulder

Le cinéma d’auteur a toujours été présent dans notre paysage cinématographique français. Intrasèquement lié à notre culture il permet d’apporter une vision de notre société actuelle de nos maux, de nos faiblesses. En cela les thématiques fortes abordées dans le nouveau film co-scénarisée et réalisée par Emmanuelle Bercot (Backstage (2004), Elle s'en va (2013)) relatives à la délinquance, l’éducation, la famille sont traitées avec une justesse assez rares au cinéma. On reconnaît ainsi dans l’approche de cette brillante réalisatrice des fondations communes avec l’excellent film de Maiwenn Polisse (2011) qu’elle a également co-scénarisée avec cette réalisatrice.

Nous suivons donc la trajectoire d’un jeune enfant, Malony de ses six ans et ses dix-huit ans. Dès la première scène du film nous découvrons donc dans le bureau d’une juge pour enfant, la famille de Malony, lui enfant, sa mère désemparée et sans réel repère moral et son jeune frère. Cette scène annonciatrice de ce qui suivra montre une mère ne réussissant pas à donner une bonne éducation à son enfant Malony avec des repères moraux. Avec l’âge celui-ci déserte l’école et préfère passer son temps à faire de multiples actes illégaux (vols de voiture, agression) et donc de revenir plusieurs fois dans ce même bureau. Malony se retrouvera donc placé dans un centre éducatif fermé dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve. Il sera aussi mis sous la tutelle d’un éducateur, Yann, qui comme lui avant fut un jeune délinquant. Yann fut aidé pour revenir dans le droit chemin par la même juge pour enfants, Florence Blaque. Le film d’Emmanuelle Bercot ne cherche pas forcément à plaire ni à mettre en avant les défauts d’une justice pénale dans le domaine de la jeune délinquance. Au contraire, elle livre un portrait marquant de celle-ci. Les deux scénaristes ont fait des recherches poussées en voulant retranscrire de manière réaliste ce qui se passe aussi bien dans ces centres éducatifs mais également au sein d’un Tribunal de grande instance.

Le film derrière une véritable analyse n’oublie à aucun moment de donner une réelle épaisseur à ses personnages. La réalisatrice retrouve ainsi après l’avoir dirigé dans son précédent film Elle s’en va Catherine Deneuve. Cette grande comédienne française ne cherche à aucun moment à mettre son personnage en avant, loin de là même ; son interprétation solide derrière une autorité solide présente une personne attentive qui continue à espérer que certains de ces enfants pourront être sauvés d’un avenir violent et pessimiste qui s’offrent à eux. Pour le rôle de cette mère d’une classe sociale défavorisée, la réalisatrice peut s’appuyer sur la comédienne Sara Forestier. Préférant les films d’auteur (L'esquive d’Abdellatif Kechiche (2003), Le Nom des gens (2010), Suzanne (2013)), elle représente parfaitement ces jeunes adultes devenus parents trop tôt et ne sachant pas comment éduquer et inculquer des vraies valeurs morales à leurs enfants. Son portrait nous touche car il n’est que le reflet d’une société actuelle qui délaisse une partie de notre population. Sans avoir fait d’étude et/ou sans une volonté permanente d’avancer socialement, cette jeune mère de famille finit par oublier son rôle de mère. Pour donner un réel sens à son film, la réalisatrice devait trouver un jeune comédien débutant exempt de toute expérience afin d’être naturel. Le jeune Rod Paradot se révèle donc aussi talentueux et très prometteur. Sous ses apparences d’un jeune rebelle refusant toute autorité il est intelligent et sensible. Enfin, la véritable redécouverte du film est le comédien Benoit Magimel. Il n’avait que quatorze ans au moment de son premier film (La vie est un long fleuve tranquille, 1988)). Son long parcours depuis ce film lui a permis de tourner avec certains des plus grands réalisateurs actuels (Mathieu Kassovitz, Olivier Dahan, Michael Haneke, Claude Chabrol, Guillaume Canet..). En un seul regard, il réussit à faire passer à travers son personnage ses félures, sa tristesse et sa force de se battre et de défendre le personnage de Malony à travers lequel il se reconnaît. Avec de tels comédiens, la réalisatrice réalise tout simplement l’un des meilleurs films de cette année. Le nouveau film d’Emmanuelle Bercot est donc tout simplement émouvant, vrai et sans concession. Une belle leçon de vie et un film à dévorer en salles depuis hier.

Dans son souci de réalisme sans faille, la réalisatrice a ainsi non seulement eu recours à des comédiens expérimentés mais surtout a tenu à travailler avec de jeunes éducateurs. L’autre force de ce film est donc d’être marquant, d’avoir un réel regard sur un métier difficile et violent. Nous sommes donc loin de ces films donnant une vision édulcorée de notre société. Autant attachant que fort en sensations, la tête haute mérite amplement d’avoir fait hier l’ouverture du 68ème festival de Cannes et d’être découvert par un large public. Il s’impose comme l’un de nos coups de cœur de cette année.

Vu le 13 mai 2015 au Club Marbeuf

Note de Mulder: