Titre original: | Wild |
Réalisateur: | Jean-Marc Vallée |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 116 minutes |
Date: | 14 janvier 2015 |
Note: |
Cheryl Strayed a besoin de prendre du recul. Ancienne toxicomane et fraîchement divorcée, elle décide de partir seule de sa ville de Minneapolis, afin d’entreprendre la randonnée épique du Pacific Crest Trail. Elle s’est donnée quelques semaines pour marcher de la frontière mexicaine jusqu’à celle avec le Canada. Dès les premiers kilomètres parcourus dans le désert, elle se rend compte de la difficulté de l’épreuve. Pourtant, elle s’accroche, en laissant des messages encourageants dans les cahiers disposés à chaque étape et surtout en faisant le deuil de la relation très proche avec sa mère Bobbi.
Arrivée au sommet d’une montagne difficile, au prix de maints cris d’épuisement équivoques, Cheryl s’affale. Elle inspecte avec horreur ses pieds en sang et décide de se séparer d’un de ses ongles. La petite opération lui inflige une douleur atroce. Elle tangue et avec elle son sac à dos énorme, qui fait à son tour dévaler la chaussure tout juste enlevée en bas de la montagne. En toute logique, Cheryl est désespérée et pousse un cri déchirant. Alors que nous la voyons déjà échouée en pleine nature, condamnée à une mort pénible comme le personnage principal du dernier film de Sean Penn, elle se résout à un acte impulsif, mais surtout très bête : elle jette également l’autre chaussure avec un juron. La première séquence de Wild ne rend pas vraiment facile l’identification avec son protagoniste. C’est une femme engagée dans un exploit qui la dépasse, soit, mais ce geste plutôt idiot d’abandon nous inspire d’emblée un sentiment de rejet, qui ne nous quittera plus jusqu’à la fin du film. Cette introduction assez maladroite du périple de Cheryl Strayed est même symptomatique du reste du récit, manipulateur et abusivement découpé, qui peine à susciter en nous la même paix intérieure que celle dont jouit la randonneuse téméraire sur la ligne d’arrivée.
Là où les Européens partent sur le chemin de Saint Jacques pour retrouver la quiétude du voyageur spirituel, les Américains se confrontent à une distance et à un paysage infiniment plus exigeants. Le Pacific Crest Trail est la somme de tout ce que les Etats-Unis ont de mieux à offrir en termes de beauté sauvage de la nature, l’ultime rempart d’un environnement de plus en plus malmené. En rendre compte par le biais du cinéma s’avère compliqué, puisque cette rencontre entre l’homme et la nature se fait à un niveau si intime et personnel que chacun en tirera autre chose. Loin d’une approche documentaire, le film de Jean-Marc Vallée a opté pour une sorte de monologue intérieur, où le cheminement psychologique du voyageur s’opérerait sur fond des différents incidents au fil du parcours de combattant. Cette démarche présente toutefois deux soucis majeurs : d’un, qu’il ne se passe en fin de compte pas grand-chose sur la route de Cheryl Strayed, au point de conférer une importance appuyée à des rencontres anodines, y compris celle avec un renard en images de synthèse, et de deux, que la narration cherche à combler ce vide, pourtant essentiel à la volonté de faire table rase et de repartir sur de nouvelles bases, avec une surcharge de flash mentaux et de retours en arrière qui appesantissent le propos au lieu de le rendre plus serein.
La structure narrative du film est ainsi si rapiécée que nous perdons toute notion de temps et de lieu, en dépit des indications des jours écoulés et de la voix off insistante, qui reflète l’état d’esprit du personnage principal. Cette bouillie des repères est sans doute volontaire, dans le but de nous faire participer pleinement aux égarements mentaux de cette femme en quête d’une nouvelle vie. Elle prend par contre une forme parfois très agaçante, comme par exemple lors de l’effet sonore strident qui pourrait vous faire croire à une alarme incendie et vous donner envie de quitter précipitamment la salle. Au fond, vous n’auriez raté rien d’essentiel par la suite, puisque les enjeux dramatiques du film sont si minimes et ressassés dans une telle agonie, que l’issue doucement édifiante ne fait pas vraiment de doute.
Si la finalité de ce drame rébarbatif était de nous donner envie de repartir sur les routes et de découvrir au rythme mesuré de la marche à pied d’autres pays, sa mission est à peu près accomplie. Si par contre, il souhaitait s’improviser en grande leçon philosophique sur le dépassement de soi et la possibilité, même pour les individus les plus moralement fauchés, de se reconstruire, les moyens filmiques qu’il emploie pour y parvenir sont beaucoup trop alambiqués pour sonner justes dans le contexte d’un retour éprouvant aux sources.
Vu le 3 décembre 2014, au Club de l'Etoile, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder: