Titre original: | Rosemary's baby |
Réalisateur: | Roman Polanski |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 137 minutes |
Date: | 30 octobre 1968 |
Note: |
Rosemary Woodhouse et son mari sont à la recherche d’un nouveau logement. Leur choix se porte sur un appartement dans un vieil immeuble à New York. La première voisine avec laquelle Rosemary fait connaissance est Terry, une jeune toxicomane recueillie par le couple Castevet. Quand cette dernière se défenestre, Rosemary et son mari expriment leurs condoléances aux Castevet, qu’ils fréquentent de plus en plus par la suite. Cette intrusion dans sa vie privée met Rosemary mal à l’aise, surtout quand elle tombe enceinte de son premier enfant dans des circonstances nébuleuses.
Probablement sans le vouloir, Roman Polanski a créé le modèle parfait du film d’horreur moderne à la fin des années 1960. Jusqu’à ce jour, le thème de la possession satanique et les frayeurs psychologiques font partie intégrante du vocabulaire du genre, hélas rarement employé avec la même finesse que dans Rosemary’s baby. Ce dernier est de ce point de vue-là la version de luxe, diaboliquement sophistiquée, à partir de laquelle la formule est progressivement devenue plus vulgaire et prévisible. Bien sûr, près d’un demi-siècle plus tard, ce film remarquable ne fait plus tellement peur, pas plus d’ailleurs que les copies paresseuses et trop évidentes dans leurs flots d’hémoglobine et leurs effets voyants qui pullulent de nos jours sur les écrans. Il nous rappelle par contre que l’horreur au cinéma n’est pas exclusivement l’affaire de quelques opportunistes mercantiles, qui produisent des films sans ambition, ni budget conséquent. Rarement l’effroi viscéral a en effet pris son origine dans un cadre si rassurant et soigné, qui est pourtant si profondément voué au mal.
Les deux seuls défauts dignes d’intérêt que l’on peut reprocher à cette histoire passionnante sont d’abord inhérents au genre, puis peut-être juste un rouage dans la savante manipulation des perceptions. Une fois que vous saurez comment se termine le périple tortueux de Rosemary, la construction magistrale de la paranoïa s’écroule en effet comme un château de cartes. Ceci n’a rien d’exceptionnel dans ces films, qui puisent tout leur suspense de la révélation finale, aussi terrifiante ou banale soit-elle. Toutefois, à l’image des thrillers hitchcockiens dans lesquels l’observation des mécanismes de manipulation est souvent plus jouissive que la découverte naïve des enjeux de l’intrigue, le retour sur cette œuvre majeure nous permet de mieux comprendre comment nous avons pu être dupes la première fois. L’autre aspect qui peine toujours à nous convaincre est le rôle du mari Guy, joué par John Cassavetes avec une telle fourberie que l’on se demande une fois de plus pourquoi Rosemary reste si attachée à cet homme, qui mène visiblement un double jeu.
Or, tout le génie du film se trouve précisément dans cette complexité du personnage principal, en proie aux dissimulations les plus abjectes et pourtant incapable de s’y soustraire. A une époque où le féminisme primaire enflammait les esprits, ce portrait d’une femme en proie à toutes sortes de suspicions, vraies ou imaginaires, n’est pas aussi simple qu’il ne paraît. Elle est plus qu’une petite épouse effacée et docile, ce qui se manifeste très tôt, par exemple lorsque c’est elle qui implore son mari d’emménager dans l’immeuble entaché de mauvais présages ou que – une fois que c’est fait – elle prend l’initiative d’y faire l’amour dès leur arrivée. De toute façon, la narration ne nous laisse guère le temps de nous attendrir sur son sort, grâce à un montage très sec et pointu, nullement friand de séquences qui s’éterniseraient. Les choix du cadrage s’emploient par contre à un tout autre jeu, celui de l’absence de repères à cause du point de vue à mi-chemin entre la tête et les pieds des acteurs, avant de symboliser la dégringolade psychologique de Rosemary par une profondeur de champ croissante.
Revu le 30 septembre 2014, à l’UGC Ciné Cité Paris 19, Salle 11, en VO
Note de Tootpadu: