Titre original: | Disappearance of Eleanor Rigby : them (The) |
Réalisateur: | Ned Benson |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 123 minutes |
Date: | 00 2014 |
Note: |
Eleanor Rigby a tenté de se suicider en se jetant d’un pont à New York. Elle s’en sort et décide de rompre avec sa vie d’avant. Elle ne donne plus de nouvelles à son mari Conor Ludlow et s’installe chez ses parents. Pour s’occuper, elle prend des cours à l’université. Son chemin recroise alors celui de son mari. Ce dernier était l’amour de sa vie, mais elle ne peut plus rester proche de lui, à cause du souvenir trop douloureux d’un terrible drame qui pèse sur leur passé commun.
Le festival du cinéma américain de Deauville aime bien les films où des émotions fortes se frayent difficilement leur chemin, jusqu’à un épanchement larmoyant de rancœur et de regrets refoulés. Nous y découvrons régulièrement des drames lourds de sens et de sentiments, dont l’enjeu principal est le malheur existentiel de personnages en quête de rédemption. Heureusement, ces incursions dans l’esprit torturé d’hommes et de femmes qui ont tout perdu ne s’apparentent pas toujours à des épreuves masochistes, difficilement supportables pour le spectateur assidu. Elles peuvent aussi toucher notre sensibilité par la franchise avec laquelle elles abordent des thèmes universels comme le deuil, l’amour ou de façon plus générale les ravages du temps qui passe. Le premier projet du réalisateur Ned Benson, qui se conjugue en fait sous la forme de trois films au sujet identique, évoqué à tour de rôle depuis le point de vue féminin, masculin ou mixte, s’applique admirablement à sonder la crise d’un couple, traumatisé par une horrible disparition. La version commune, centrée sur leurs tentatives infructueuses de recoller les morceaux d’une relation anéantie par le destin, sait susciter une tristesse à fleur de peau, tout en alternant entre une poésie filmique soit lourde, soit éthérée.
L’intensité des rapports humains dans The Disappearance of Eleanor Rigby souffre en effet un peu d’une écriture pesante. Nombreuses sont les répliques qui manquent de naturel, malgré une certaine ambition intellectuelle, voire littéraire du côté du scénario. Sur le papier, ces affirmations ont dû sonner comme investies d’une sagesse suprême, mais à l’écran, elles expriment surtout l’incapacité de la part des personnages de mettre des mots sur leur souffrance intime. A notre grand soulagement, ces bulles de paroles alambiquées n’éclatent guère au détriment de l’intensité à toute épreuve des interprétations. Pour chaque leçon de morale ou de philosophie maladroite, nous avons ainsi droit à un numéro d’acteur jubilatoire, justement si convaincant parce que les acteurs, Viola Davis et William Hurt en tête, s’investissent pleinement dans la nature légèrement ampoulée de leurs personnages.
Enfin, le centre nerveux du film reste néanmoins la relation durement éprouvée entre Eleanor et Conor. L’immense mélancolie qui s’en dégage nous laisse douter de notre envie d’en voir davantage, si jamais les deux autres versions de leur histoire sont distribuées en France. Cependant, leur aventure romantique aux accents tragiques difficiles à ignorer nous interpelle avec vigueur par leur volonté radicale de vivre, pour lui, ou de mourir, pour elle. Car c’est peut-être le refus de toute complaisance envers un sujet épineux comme le suicide, qui rend ce film si émotionnellement irrésistible. En sortant de ce poème filmique sombre, vous ne déborderez certainement pas de joie de vivre. Il réussit par contre un exploit encore plus délicat que la création sans ficelles abusives d’un bonheur superficiel : l’impression d’avoir partagé pendant deux heures, à travers un mélange savant de pudeur et de désarroi, la dure réalité d’un couple en pleine décomposition involontaire.
Vu le 7 septembre 2014, au Morny, Salle 2, Deauville, en VO
Note de Tootpadu:
Note de Mulder: