Titre original: | Locke |
Réalisateur: | Steven Knight |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 85 minutes |
Date: | 23 juillet 2014 |
Note: |
La veille du jour le plus important sur le chantier qu’il supervise, le contremaître Ivan Locke prend la voiture afin de passer la soirée en compagnie de sa femme Katrina et de ses deux fils pour regarder un match de foot. En attendant que le feu passe au vert, cet homme consciencieux et respectable prend soudainement une décision qui changera sa vie de fond en comble. Au lieu de rentrer chez lui, il rejoint l’autoroute dans le but d’aller voir Bethan, une femme qu’il avait rencontrée une première fois huit mois plus tôt. Au fil de l’heure et demie que dure le trajet, Ivan Locke risque de perdre ce qu’il a de plus cher au monde : sa famille et son travail.
C'est après avoir été remarqué en tant que scénariste pour des films tels que Dirty Pretty Things (2002) de Stephen Frears, Les Promesses de l'ombre (2006) de David Cronenberg, ou encore Closed Circuit (2013) de John Crowley que Steven Knight s'attaque à la réalisation. Après le premier essai que constitue son long-métrage Crazy Joe (2013) avec Jason Statham, il revient avec un second film mettant en scène l'acteur britannique Tom Hardy : Locke.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le projet du réalisateur est aussi ambitieux que minimaliste. En effet, Locke nous fait voyager pendant près de 85 minutes dans la voiture d'Ivan, ce gestionnaire dans le bâtiment bien décidé à assumer les conséquences de ses actes quitte à voir sa vie entière s'écrouler. Le spectateur est donc pris au piège dans ce huis-clos particulièrement oppressant, se déroulant en temps réel. Certes, il est bien plus agréable d'être cloîtré dans un confortable véhicule BMW que dans la tombe du film Buried (2010) auquel Locke peut facilement nous faire penser, quoique la vitesse folle avec laquelle Ivan sillonne les autoroutes londoniennes nous laissent craindre que sa voiture ne se transforme en véritable cercueil métallique.
Ne comportant aucune scène qui nous permettrait de nous évader ne serait-ce qu'un instant de ce décor claustrophobique, tout l'intérêt de Locke repose sur les conversations téléphoniques que le protagoniste enchaîne, conscient qu'il ne peut désormais plus reculer et que chaque appel fait prendre à sa vie une tournure un peu plus bouleversante. Ses enfants, sa femme, son patron, son collègue de travail et surtout la femme attendant un enfant de lui et qu'il s'apprête à rejoindre à l'hôpital sont donc les acteurs invisibles de ce drame à la tension toujours grandissante. Seul le personnage de Donal, cet amusant amateur de cidre chargé de remplacer Ivan dans l'importante mission professionnelle que ce dernier était censé accomplir, procure un peu de légèreté à un récit profondément grave.
Evidemment, un tel huis-clos doit forcément être appuyé par un jeu d'acteur captivant si l'on ne veut pas larguer le spectateur dès les premières minutes du film. Tom Hardy, bien plus habitué aux rôles très physiques comme c'est le cas dans Bronson (2009) de Nicolas Winding Refn ou bien Warrior (2011) de Gavin O'Connor, nous livre ici une performance sans faute tout en restant assis sur son siège pendant l'intégralité de la durée du long-métrage. Ses indéniables talents d'acteurs permettent de brosser l'éventail des facettes de cet homme qui s'avère tantôt solide et plein de sang froid, tantôt fragile et rongé par la solitude. Cette longue virée nocturne est en tout cas l'occasion d'une réflexion profonde sur les notions de choix, de responsabilité mais aussi de culpabilité.
S'il faut tout de même s'accrocher un peu pour explorer la psyché de cet homme prêt à tous les sacrifices afin d'agir selon ses convictions, cette expérience remarquablement exécutée vaut absolument le détour.
Vu le 14 Juin, à l’occasion du Champs-Elysées Film Festival, au Gaumont Ambassade, en VO.
Note de Noodles:
Nous sommes généralement férus de films dont l’action se déroule en temps réel. Il y a quelque chose dans ce défi narratif qui nous a toujours intrigués, comme si le temps qui s’écoule au cinéma n’était pas le même que celui qui rythme notre réalité de vie. L’agencer, voire le tordre sans que l’unité et la linéarité temporelles ne soient défigurées, cela relève de la prouesse que nous sommes prompts à saluer. Par conséquent, la trame de Locke était susceptible de nous enthousiasmer, avec son personnage et son décor quasiment uniques : le conducteur dans sa voiture, qui fonce à toute vitesse vers l’inconnu. Et il faut reconnaître que du côté scénaristique, le film tient à peu près ses promesses, grâce à ces coups de fil successifs, qui obligent le protagoniste à persévérer dans la gestion d’une vie qui est en train de s’écrouler autour de lui. De ce point de vue, on pourrait presque considérer cette histoire comme une parabole sur notre époque, où l’on doit rester joignable à tout moment, même aux heures les plus sombres de son existence.
Puis, l’interprétation de Tom Hardy, le seul comédien visible à l’écran, est pour beaucoup dans la réussite au moins partielle du film. Enfermé dans sa voiture depuis qu’il a quitté le chantier au tout début du récit, il ne dispose que d’une liberté de mouvement très limitée. L’essentiel des tourments de l’âme de son personnage s’exprime alors à travers sa voix rauque, qui ressemble plus que jamais à celle de feu Richard Harris. Cette concentration sur sa seule dimension vocale paraît d’ailleurs tout à fait logique, dans le contexte d’un film qui laisse défiler ses interlocuteurs par le biais exclusif de la bande son, en faisant auparavant apparaître leur nom sur l’écran de la voiture. Grâce au talent indéniable de Hardy, même ses monologues avec un père invisible, mais avec lequel le personnage a encore des comptes à régler, ne sonnent pas aussi faux que nous le fait craindre habituellement ce dispositif artificiel.
Hélas, les qualités appréciables du scénario et du jeu d’acteur sont largement relativisées par une mise en scène trop paresseuse. Rouler sur une autoroute représente une épreuve de monotonie, soit. Mais de là à toujours ponctuer le film par les mêmes motifs visuels, c’est-à-dire des flous lumineux et des surimpressions alambiquées, la réalisation de Steven Knight déçoit considérablement. En quelque sorte, son film souffre du même dilemme que Phone booth de Joel Schumacher : une idée de départ et un acteur principal excellents, malheureusement piégés par une approche formelle, qui ne se montre guère à la hauteur de ce qui apparaît en fin de compte comme un exercice de style passablement bâclé.
Vu le 28 juillet 2014, au Publicis Cinémas, Salle 2, en VO
Note de Tootpadu: