Boyhood

Boyhood
Titre original:Boyhood
Réalisateur:Richard Linklater
Sortie:Cinéma
Durée:165 minutes
Date:23 juillet 2014
Note:

Le jeune Mason habite avec sa mère Olivia et sa sœur aînée Samantha au Texas. Son père a quitté la famille et travaille désormais en Alaska. Afin de reprendre ses études et d’améliorer ainsi la situation des siens, Olivia décide de déménager à Houston. C’est le point de départ d’une enfance et d’une adolescence mouvementées, au fil desquelles Mason traversera pourtant les joies et les peines typiques pour les garçons de son âge.

Critique de Tootpadu

Parmi les facultés qui rendent le cinéma magique compte celle de voyager librement dans le temps. Puisque les films dont la durée correspond exactement à celle de l’action sont très rares, le saut à travers des jours, des mois, des années, voire des siècles fait partie intégrante du vocabulaire cinématographique assimilé par tous les spectateurs. Chez le réalisateur Richard Linklater, le traitement du temps se passe un peu différemment. Il nous avait en effet subjugués par sa trilogie des Before …, qui suit deux personnages tous les neuf ans, en tenant compte de l’évolution de leur relation pendant ce laps de temps important. Son nouveau film, acclamé au dernier festival de Berlin d’où il est reparti avec l’Ours d’argent du Meilleur réalisateur, pousse cette symbiose entre le temps réel et le temps narratif encore plus loin, puisqu’il aura fallu un tournage fleuve de douze ans pour tenir compte de la jeunesse du personnage principal. On serait presque tenté de considérer cette contrainte formelle comme un gadget, si elle ne s’intégrait pas si étroitement dans une épopée intimiste, qui tend magistralement la glace à tous ceux qui n’ont pas eu un démarrage parfait dans la vie. Ce qui comprend, la nostalgie douce-amère aidant, à peu près tout le monde.

Pour un film dont la production a été dépendante d’un nombre incalculable d’aléas, Boyhood fait preuve d’une cohérence incroyable. Il n’y a pas de coupures formelles flagrantes, peut-être aussi parce que notre mode de réception des images et des récits n’a guère changé depuis le début du siècle. La narration progresse par conséquent avec une fluidité remarquable, n’éprouvant nullement le besoin de désigner les douze chapitres par autre chose que des changements discrets dans l’apparence des personnages ou l’évocation rapide d’objets électroniques de la vie courante, encore bien présents dans le souvenir des spectateurs mais supplantés depuis par une ou plusieurs générations d’ordinateurs chaque fois plus performants. La volonté d’ancrer l’histoire de cette famille ordinaire dans un contexte social facilement accessible ne contribue pourtant que partiellement à son impact émotionnel considérable.

Peu importe la décennie pendant laquelle vous avez grandi, le récit de l’apprentissage de la vie à travers les yeux de Mason comporte un nombre important de vérités universelles. Bien que nous ayons traversé avec une vingtaine d’années d’avance ces deux étapes cruciales de l’existence, le sort de ce fils cadet nous touche profondément par sa candeur et son refus catégorique de tout artifice dramatique. Car au fond, il ne se passe pas grand-chose d’extraordinaire dans le quotidien de cet enfant, puis de cet adolescent, soumis seulement à une configuration familiale aussi instable que peu rassurante. Aucun événement tragique ne vient perturber le cours impassible du début d’une vie, qui tire alors toute son intensité du devoir de grandir et de s’adapter au mieux aux situations sans cesse changeantes. Les petites parenthèses annuelles choisies par le scénario n’ont à première vue rien d’exceptionnel ou de dramatique qui bouleverserait la philosophie de vie du protagoniste. Seuls le dérapage vers l’alcoolisme du premier beau-père et l’obtention du bac correspondent à des césures importantes, alors que le reste de l’histoire s’attarde davantage sur des moments en apparence plus anodins.

Or, ce sont justement ces instants-là qui forment une vie. Le dessein de Richard Linklater atteint son apogée dans cette dernière séquence, où Mason reconnaît que sa vie jusque là était essentiellement une histoire de moments à saisir afin d’en tirer une forme d’épanouissement personnel, malgré les insuffisances de sa famille recomposée à intervalles réguliers. L’accomplissement majeur de ce film passionnant a été de non seulement nous faire partager ce cheminement vers un premier stade de la maturité, mais d’y procéder avec un naturel désarmant. Celui-ci nous a permis à la fois de nous reconnaître pleinement dans ce garçon qui a du mal à devenir adulte et de pouvoir déceler la supériorité narrative de cette saga familiale. Elle réussit rapidement à nous faire oublier son dispositif unique et sa durée conséquente, pour nous permettre de suivre corps et âme une historie qui aurait pu être la nôtre et qui remporte donc le pari si difficile de prétendre à une vérité universelle, sans rien perdre de sa particularité et de son adresse formelle, dépourvue de la moindre prétention.

 

Vu le 4 juin 2014, à l’UGC Normandie, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Décidément, Richard Linklater affectionne particulièrement les récits cinématographiques couvrant une large période de la vie de ses personnages. Déjà avec sa trilogie composée des filmsBefore sunrise (1995), Before sunset (2004) et Before midnight (2013) il relatait la romance d'un couple ponctuée d'ellipses longues de neuf années. Le réalisateur américain s'est montré encore plus ambitieux avec son nouveau film Boyhood, puisqu'il s'agit ici de filmer pendant douze ans les mêmes acteurs que l'on voit ainsi vieillir et évoluer devant la caméra. Si un tel concept a déjà été exploré en documentaire, il reste en tout cas totalement inédit pour un film de fiction.

Et pourtant, Boyhood possède un aspect très proche de la forme documentaire, tant Linklater filme ces individus avec un réalisme pointu. La démarche radicale du cinéaste prend tout son sens dès lors que l'on observe les subtiles différences dans l'apparence des personnages, prenant doucement de l'âge à chacune des ellipses qui parcourent le film. S'en dégage une forte impression de naturel, un sentiment de vérité qui nous laisse à penser que toute autre manière de réaliser ce long-métrage profondément intimiste n'aurait pas été la bonne.

Mason, figure centrale de ce portrait de famille étalé dans le temps, n'a visiblement rien d'extraordinaire : de ses six ans jusqu'à sa majorité, il va simplement faire son apprentissage de la vie. Ici, nulle place n'est laissée à la surdramatisation, pas question d'user d'une mise en scène exagérée ou de confronter le personnage principal à des situations dignes d'une tragédie grecque.Linklater se refuse également à faire de Boyhood une sorte de compilation des moments les plus marquants de la vie de son protagoniste, un enchainement de toutes ses premières fois. Plutôt que de capter les instants incontournables de douze années de vie, le film se concentre davantage sur ce qu'il se passe entre les évènements, et donne ainsi de l'importance à des épisodes à priori insignifiants.

Un projet aussi vaste laissait craindre que Boyhood ne parvienne pas à nous tenir en haleine durant les 165 minutes qui composent le film. On s'étonne alors de voir à quel point la narration progresse avec une grande fluidité, sans jamais laisser au spectateur l'occasion de lâcher prise. Si les nombreuses ellipses temporelles ont tendance à couper le récit au moment où l'on s'y attend le moins, la cohérence reste de mise. Tout comme Mason, on ne voit pas le temps passer.

Finalement, Boyhood nous prouve que chacune de nos vies pourrait faire l'objet d'un tel film à la fois sincère et captivant. Le pari de Richard Linklater est parfaitement réussi.

 

Vu le 4 juin 2014, à l’UGC Normandie, en VO.

Note de Noodles: