Edge of tomorrow

Edge of tomorrow
Titre original:Edge of tomorrow
Réalisateur:Doug Liman
Sortie:Cinéma
Durée:114 minutes
Date:04 juin 2014
Note:

Dans un futur proche, une race d’extra-terrestres extrêmement hostile a pris possession du continent européen. Les forces alliées jouent leur va-tout lors d’une invasion prévue en Normandie, depuis l’Angleterre. Grâce à une première victoire remportée à Verdun, le général Brigham espère que sa nouvelle stratégie de soldats lourdement armés inversera la tendance de cette guerre meurtrière. Pour assurer la promotion de cette offensive, il compte envoyer l’officier Bill Cage, le porte-parole de l’armée internationale, parmi les premiers soldats à débarquer en France. Profondément lâche, Cage cherche par tous les moyens à se soustraire à cette mission périlleuse, jusqu’à ce qu’il se réveille menotté la veille du jour J à l’aérodrome de Heathrow.

Critique de Tootpadu

Qu’est-ce qui fait la fascination d’un jeu vidéo, si ce n’est la possibilité d’un éternel recommencement, accompagné de préférence d’une amélioration de ses capacités de joueur ? Les réalités virtuelles ont depuis longtemps supplanté, en termes de chiffre d’affaire, le cinéma comme la principale source d’évasion de masse, profitant pleinement de leur caractère interactif pour faire participer le consommateur à l’aventure. Cantonné à son rôle de simple observateur passif, le spectateur de cinéma n’y vivra jamais les mêmes sensations subjectives qui rendent les différents univers artificiels si irrésistibles. Et pourtant, les producteurs de films cherchent avec le désespoir de celui qui voudrait maintenir sa suprématie caduque dans un marché de plus en plus morcelé à renouveler l’expérience de la salle de cinéma, notamment à travers la vague récente de films en relief, dont aucune grosse production hollywoodienne ne peut plus se passer. Du côté des intrigues, la soumission à la nouvelle règle du jeu de l’autonomie du spectateur s’opère avec une résistance plus marquée, peut-être aussi parce que le cinéma en tant qu’événement intrinsèquement collectif ne s’y prête guère. Il aura en tout cas fallu attendre plus de vingt ans, avant que le brillant concept narratif d’Un jour sans fin de Harold Ramis ne fasse son entrée dans le monde de la science-fiction.

Toute cette préambule socio-économique pour souligner que – même si nous avons aimé nous faire manipuler par l’histoire retorse de Edge of tomorrow – il ne nous a jamais été possible de faire abstraction du calcul plus mercantile qui anime cette aventure spectaculaire à travers l’espace-temps. La narration change en effet plusieurs fois de cap, passant du conte martial à un labyrinthe de fausses pistes étudiées en détail avant de revenir au point initial, avec une parenthèse heureusement courte qui nous laisse croire à l’illusion du rêve filmique. Car si la mise en scène de Doug Liman se complaît à jouer avec nos attentes, elle le fait avant tout pour mieux agencer un récit à la complexité accrue. Les conventions les plus inébranlables y sont vite abolies, comme la mort du héros qui est censée mettre fin à l’histoire, pour mieux brouiller le cours d’une intrigue à moult possibilités. Que nous nous y perdons volontairement, sans jamais nous sentir réellement perdus, nous le devons également au montage prodigieux, qui préserve le principe d’une linéarité apparente au sein d’un fil narratif maintes fois coupé.

Le gadget de la boucle temporelle fait certes office de principale attraction de ce film efficace. Il n’éclipse pourtant pas complètement d’autres qualités annexes du scénario, comme le retournement initial des rôles, avec cette femme célébrée comme l’arme secrète qui sauvera l’humanité et son pendant masculin, trop peureux et égoïste pour accepter une simple mission de propagande sur le champ de bataille. Les deux personnages principaux ont beau devenir des machines de guerre aussi redoutables que complémentaires au fil de leurs multiples essais pas toujours couronnés de succès. Ils reflètent également une interrogation profonde de l’attribution convenue des rôles, dont le cinéma hollywoodien dans son ensemble, plus machiste que jamais, se montre hélas rarement capable. Ainsi, ce film calqué sur des aventures virtuelles susceptibles de ravir des garçons adolescents pourrait également plaire à un public féminin, davantage sensible à l’interaction pas sans charme entre les deux têtes d’affiche.

 

Vu le 28 mai 2014, au Gaumont Marignan, Salle 3, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

« Il y a des cauchemars dont tu ne peux pas te réveiller quels que soient les efforts que tu fasses. Moi j’étais prisonnier d’un cauchemar, et qu’importe le nombre de fois où je me réveillais, j’étais toujours piégé à l’intérieur. Savoir que j’étais pris dans une boucle temporaire dont je ne pourrais plus sortir, était pire que tout. » 
Hiroshi Sakurazaka – Edge of tomorrow
 

Les mondes du jeu vidéo et du cinéma s’inspirent mutuellement et ont pour vocation de créer des mondes assez réalistes pour nous permettre de nous immerger, de nous identifier aux travers des personnages, de nous divertir afin d’oublier la linéarité de notre vie réelle. De nombreux scénarios se sont inspirés de jeux vidéo pour en tirer des histoires palpitantes permettant aux gamers (joueurs de jeux vidéo) de prendre le même plaisir à jouer qu’à suivre une aventure palpitante. Des films comme Matrix (1999) avaient dans le passé réussi à greffer cette immersion totale, cette expérience sensitive dans un film de science-fiction.  Le film Edge of Tomorrow témoigne à ce niveau de réussite exemplaire car non seulement il repose sur un scénario solide, mélange parfaitement différents genres (guerre, comédie, science-fiction, film de super-héros..). La richesse du scénario, une réalisation ciselée et remarquable, des effets spéciaux transcendants et un casting parfait font de ce film un des principaux challengers des meilleurs films de cette année.

Pour mieux comprendre le processus créatif de ce film, il faut revenir à ses origines. L’écrivain japonais Hiroshi Sakurazaka après avoir commencé une carrière dans les nouvelles technologies écrit son premier livre en 2002 (Yoku Wakaru Gendai Mah). Ses livres se tournent volontairement vers un jeune public adulte passionné par les jeux vidéo et l’informatique. Son livre All You Need is Kill (Edge of tomorrow) a reçu un accueil japonais suffisamment conséquent pour que son livre soit publié en langue anglaise. Le scénariste Dante Harper en tira un scénario que Warner Bros racheta en avril 2010. Ce scénario fut retravaillé par Joby Harold puis finalement par trois scénaristes Christopher McQuarrie, Jez Butterworth et John-Henry Butterworth. La troisième partie du film fut donc retravaillée en profondeur. L’histoire ainsi présentée a connu une longue gestation et surtout s’est vu affiné par les différentes versions du scénario. Le résultat est ainsi un film reposant sur une base solide et nous transportant dans un film de science fiction d’une qualité rarement atteinte récemment. Les différents niveaux de lecture du film nous rappelleront ainsi notamment certains univers de jeux vidéo (type FPS) mais également des films qui ont marqué nos mémoires par leur force narrative.

Le concept d’un homme revivant le même jour jusqu’à réussir à atteindre la journée parfaite était parfaitement illustrée par le film Un jour sans fin de Harold Ramis (1993) mais avec une orientation nettement plus tournée vers la comédie pure. Pourtant les personnages de Phil Connors et de Bill Cage partagent plusieurs éléments communs. Les deux sont désabusés, n’ont rien d’héroïque, travaillent dans la communication et sont des personnages préférant faire leur travail sans vraiment s’y investir. De la même manière, c’est en voulant conquérir une femme (portant le même prénom Rita dans les deux films, clin d’œil volontaire). Le traitement diffère dans le sens que Edge of Tomorrow contient certes des scènes comiques irrésistibles mais surtout se veut un film de guerre et de science-fiction. Le Major Bill Cage prisonnier d’une boucle volontaire dûe à une rencontre avec un extraterrestre deviendra un soldat surentraîné capable de se battre contre un ennemi pratiquement invincible souhaitant éradiquer de notre planète toute trace humaine.

Edge of tomorrow est également dans la mouvance de l’excellent Starship Troopers (1998). Les soldats se battent donc contre des extraterrestres interconnectés et reliés à une matrice mère rappelant celle du film de  Paul Verhoeven. Pourtant, malgré ces points communs, Edge of tomorrow est moins sarcastique et préfère donner à ses scènes nombreuses de batailles une force épique rappelant par bien des côtés la scène du Débarquement allié dans le film de Steven Spielberg Il faut sauver le soldat Ryan (1998). Le réalisateur Doug Liman réussit pourtant la prouesse par l’usage de différents points de vue d’éviter toute répétition lourde de la même scène. Plus Bill Cage revivra la même journée, plus il pourra améliorer sa journée, devenir un soldat surentraîné et surtout modifier le futur pourtant inévitable. C’est dans ce concept de scènes répétitives que nous ressentons le même plaisir que nous prenons à des jeux vidéo nous donnant la possibilité de résoudre des énigmes, de mieux se battre et de connaître également mieux son ennemi. La réalisation parfaitement maîtrisée du film revient non seulement au fait que le réalisateur bénéficie d’un scénario prétexte à des scènes époustouflantes  mais également que celui-ci a pu aux travers de différents films progresser dans la manière de rendre crédible ce qui ne l’est pas. Alors que La mémoire dans la peau (2002) avait été une réussite indéniable (tirée également d’un livre), ses autres films Mr & Mme Smith (2005), Jumper (2008) et Fair Game (2010) ne nous avaient pas laissé un souvenir intarissable.  Ce film marque donc pour le réalisateur un nouveau départ, une manière à lui aussi après avoir réalisé plusieurs films de faire un film marquant. Non seulement, il se trouve aussi à l’aise à filmer des scènes intimistes que des scènes d’action non stop et magnifiquement chorégraphiées. Les nombreux effets spéciaux ne sont pas ici prétextes à cacher la faiblesse d’un scénario rudimentaire mais au contraire à illustrer le récit d’un réalisateur prenant le même plaisir que ses comédiens à donner vie à ses personnages.

Impossible non plus de voir dans le personnage Bill Cage un surhomme, un équivalent à une machine de guerre (comme Iron man ou Robocop), un super héros malgré lui. En effet avant d’être un super soldat, ce personnage est un être non héroïque qui en revivant la même journée deviendra un héros surentraîné, un homme dans une armure lui donnant une force surhumaine. Ce film nous rappelle donc ces super-héros de plus en plus présents au cinéma et prêts à tout pour faire conquérir le bien contre le mal. Cette idée est largement appuyée par la scène se passant dans un bar dans laquelle Bill Cage doutera réellement de son nouveau pouvoir et de son utilité. La force de Edge of tomorrow est donc la présence de ces différents niveaux de lecture rarement présents dans les blockbusters estivaux plus tentés de nous époustoufler que nous amener à réfléchir.

Enfin, que serait ce film sans la présence d’un casting parfait donnant une réelle épaisseur à leurs personnages. Tom Cruise est une nouvelle fois excellent dans son rôle. Il se retrouve ainsi dans un film de science-fiction après Minority Report (2002), La Guerre des mondes (2005) et Oblivion (2013) . Ce film lui permet également de retrouver le scénariste Christopher McQuarrie (Walkyrie (2008), Jack Reacher (2012)). Le film n’aurait pas pu avoir le même impact avec un autre comédien. Aussi à l’aise dans une scène d’action que dans une scène dramatique, il montre à ses détracteurs qu’il est l’un des meilleurs comédiens actuels. Emily Blunt nettement plus présente dans des productions de moindre ampleur  s’avère ici parfaite dans le rôle d’une guerrière prête à sacrifier sa vie pour sauver l’humanité. Enfin dans les seconds rôles les comédiens Bill Paxton, Brendan Gleeson, Noah Taylor sont également parfaits. On reconnaît ainsi la force d’un réalisateur capable de donner à ses comédiens la possibilité de s’exprimer et de donner le meilleur d’eux.

Edge of tomorrow est donc le film incontournable de l’année. A ce jour, il est l’un des rares que nous pouvons considérer comme une réussite exemplaire donnant à son public ce qu’il attend réellement. Ce mixage de jeu vidéo live et de fresques de science-fiction montre que le cinéma hollywoodien est encore capable de donner naissance à des œuvres marquantes, des films intelligents, divertissants et profondément humains.

Vu le 28 mai 2014, au Gaumont Marignan, Salle 3, en VO

Note de Mulder: