Titre original: | We are the best |
Réalisateur: | Lukas Moodysson |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 102 minutes |
Date: | 04 juin 2014 |
Note: |
Stockholm 1982. Bobo a beau avoir seulement treize ans, elle ne vit que pour le punk. Celui-ci le lui rend par contre pas trop bien, puisque seule Klara, sa meilleure amie, suit Bobo dans son fanatisme, tandis que les autres filles de son âge sont déjà passées à la mode disco. De toute façon, avec sa coupe de cheveux courts, Bobo ne tient pas à suivre les modes. De passage au centre de jeunesse pour construire une maquette sur la destruction causée par une catastrophe nucléaire, les filles décident de créer un groupe de musique en phase avec leurs goûts minoritaires. Puisque elles ne savent jouer d’aucun instrument, les deux amies font appel à Hedvig, une jeune fille chrétienne, aussi solitaire qu’elles, qui devra leur apprendre à jouer la guitare.
Dans cette période de la vie déjà très délicate qu’est l’adolescence, la première partie, c’est-à-dire le moment charnier de l’abandon de l’existence préservée en tant qu’enfant pour quelque chose de plus sérieux et épineux, laisse encore plus d’individus à fleur de peau. Il s’agit de la première occasion d’affirmer sa propre personnalité, de voler de ses propres ailes tout en pouvant se permettre de s’écraser misérablement, parce que de nouvelles perspectives se présenteront certainement. Depuis le point de vue nostalgique de l’adulte, cette parenthèse enchantée peut paraître comme la grande époque de tous les possibles, où les erreurs étaient rapidement pardonnées et où le fait que les rêves de l’avenir changeaient du jour au lendemain n’avait guère d’importance. Quand on y était, à douze, treize ou quatorze ans, le constat était tout de suite moins réconfortant. Pendant ces quelques mois de la réorientation complète des repères, la plupart des jeunes adolescent se sentent au contraire mal dans leur peau. C’est ce vague à l’âme que cherche à traduire ce film suédois, sans pas non plus en faire un drame.
La radicalité des idées et des expressions de Bobo et de ses copines a en effet presque tendance à nous faire sourire à une époque, où la violence verbale et physique fait hélas beaucoup plus tôt partie du quotidien des adolescents que cela n’a été le cas il y a trente ans. Il serait pourtant faux de prendre les problèmes que les personnages de We are the best rencontrent pour de la rigolade. A chaque époque correspondent en effet ses peurs et ses espoirs. Et même si le style de vie en Suède au début des années 1980 n’a plus rien en commun avec la paranoïa collective qui caractérise généralement de nos jours l’éducation des enfants, nous y reconnaissons suffisamment de similitudes avec notre propre apprentissage de la vie pour pouvoir nous identifier avec ces petites rebelles. Or, la façon dont elles interrogent cette existence basée sur le dialogue un peu niais et inoffensif – sans doute représentatif de la mentalité et de la civilisation scandinaves – qu’adoptent surtout les adultes qui sont censés les encadrer, comme les parents ou les éducateurs du centre de jeunesse, bref, leur fer de lance pour afficher leur désapprobation du conformisme fait preuve d’une innocence pas moins touchante.
Il aurait été facile pour le réalisateur Lukas Moodysson, qui revient sur le marché du cinéma en France après trois films sortis au début du siècle, d’extrapoler les doutes identitaires de ses héroïnes vers une éventuelle homosexualité timidement assumée. Bien que leur apparence physique puisse renvoyer à certains clichés sur les lesbiennes, la narration ne se permet aucune observation trop facile dans ce sens. Elle cultive au contraire une ambiguïté, qui sied parfaitement à ces nombreuses questions sans réponse clairement définie dont l’adolescence surabonde. A l’image d’un film, qui n’exprime peut-être rien de transcendant ou de passionnément original à ce sujet, mais qui possède une sensibilité étonnante envers ces petites tragédies sans conséquence que l’on traverse continuellement à cet âge-là et dont les séquelles forgeront tôt ou tard notre caractère d’adulte.
Vu le 22 mai 2014, à la Salle MK2, en VO
Note de Tootpadu:
Huitième réalisation de Lukas Moodysson, We are the best est parfaitement représentatif de l'intérêt que porte le cinéaste suédois aux thèmes du passage à l'âge adulte et du désir de liberté. Ces sujets, il les explore dès sont premier long-métrage, certainement le plus remarqué jusqu'à présent : Fucking Amal (1998), récit de deux jeunes filles découvrant leur homosexualité et devant affronter les multiples problèmes qui découlent de l'affirmation d'une orientation sexuelle considérée comme anormale, c'est-à-dire la marginalisation et l'homophobie. Sans pour autant aborder le thème de la sexualité, We are the best est à bien des égards le film de Moodysson qui rejoint le plus son premier long-métrage.
En effet, cette adaptation d'une bande dessinée dont l'auteure n'est autre que son épouse Coco Moodysson met en scène de jeunes adolescentes pétillantes et tendres peinant à se faire accepter telles qu'elles sont. Tandis que la plupart des filles semblent toutes avoir accepté les codes vestimentaires et l'attitude qui caractérise la mode disco très en vogue dans les années 80, Bobo et Klara s'entêtent à arborer les coiffures exubérantes et la mentalité « no future » du mouvement punk. Ces attachantes gamines parviennent à donner au film une énergie fort plaisante, notamment lorsque les deux punkettes font la rencontre d'Hedvig, adolescente catholique quelque peu coincée qui finira par se transformer radicalement au contact de ses nouvelles amies.
Ainsi, le film sait enchainer avec rythme les séquences survoltées que sont les épisodes de leur quotidien : monter un groupe sans même savoir jouer d'un instrument, s'insurger naïvement contre le système capitaliste et se ridiculiser après avoir abusé d'un mélange peu judicieux de vin et de bière, autant de scènes qui ne manqueront pas de faire sourire le spectateur. Si l'on se sent immédiatement tellement proche des personnages de We are the best, ce n'est pas uniquement parce que les jeunes actrices incarnent de manière impeccable ce trio atypique. C’est aussi parce que Lukas Moodysson sait porter un regard plein de tendresse sur les petites rockeuses qu'il filme.
Malgré ces moments de joie brillamment captés par le réalisateur, il faut également voir We are the best comme l'exposition de souffrances qui accompagnent l'étape bien souvent difficile qu'est l'adolescence. Car en réalité, l'avenir de ce groupe de rock maladroit dont les répétitions ne sont qu'un vaste brouhaha ne saurait constituer le véritable enjeu de la narration d'un film qui s'avère bien plus profond. Derrière les sourires de ces personnages qui prétendent n'avoir que faire du regard que le reste de la société pose sur eux se cache un réel mal-être, exprimé de façon brutale lors d'une scène très forte où la jeune Bobo crache sur le reflet que lui renvoie son miroir.
Privilégiant un angle de vue réaliste, le cinéaste suédois ne prétend pas vouloir résoudre les problèmes auxquels sont confrontées les jeunes filles. Au contraire, c'est justement après une séquence où elles se font huer et violemment insulter que We are the best trouve sa conclusion, parfaitement en accord avec l'état d'esprit punk qu'il met en avant de manière si plaisante.
Vu le 22 mai 2014, à la Salle MK2, en VO.
Note de Noodles: