Arnaque (L')

Arnaque (L')
Titre original:Arnaque (L')
Réalisateur:George Roy Hill
Sortie:Cinéma
Durée:129 minutes
Date:17 avril 1974
Note:

En 1936, Johnny Hooker est un jeune escroc irresponsable, qui apprend encore les ficelles du métier auprès de son aîné Luther Coleman. Sans le savoir, les deux hommes volent la recette d’un bureau de paris clandestins au coursier de Doyle Lonnegan, un des plus dangereux caïds de la côte Est. Alors que Luther meurt sous les coups des hommes de main de Lonnegan, Hooker réussit à s’échapper in extremis. Il jure vengeance et fait désormais équipe avec Henry Gondorff, un maître des arnaques de haut vol. Plutôt que de s’attaquer de front à leur adversaire, les deux complices en font la cible d’une combine soigneusement élaborée.

Critique de Tootpadu

Les intrigues à tiroirs, où une révélation fracassante chasse l’autre, étaient surtout dans l’air du temps pendant les cinq ans avant le tournant du siècle dernier et la même période qui l’a suivi. Grâce à des films comme Usual suspects de Bryan Singer et Sixième sens de M. Night Shyamalan, la curiosité des spectateurs était alors titillée jusqu’à l’épuisement de ce que l’on pourrait facilement qualifier de phénomène de mode. Sauf que les scénarios intelligemment tortueux ne datent pas de cette période relativement récente. Un des plus brillants exemples se trouve même dans un passé assez lointain, à travers cette histoire jubilatoire de petits escrocs qui montent une affaire au mécanisme aussi prodigieux qu’insensible aux imprévus. Bien que les différents revirements ne remplissent plus leur rôle de surprise à l’énième retour vers ce film magistral, ils s’intègrent toujours avec la même élégance nonchalante dans le flux ininterrompu d’une narration sans faille.

L’univers de L’Arnaque a ainsi beau être créé de toutes pièces, avec ce fond musical complètement anachronique et ces décors qui ne cherchent point à cacher leur nature artificielle, il constitue sans doute ce que le cinéma hollywoodien savait produire de plus prestigieux dans les années 1970, sans tomber dans le spectacle désuet et nostalgique de l’âge d’or définitivement révolu. Guère représentatif de l’éveil formel et thématique à travers lequel le cinéma américain allait se définir pendant cette décennie charnière, le huitième film de George Roy Hill était étroitement attaché à un état d’esprit rétro. Peu importe qu’au milieu des années 1930 le pays souffrait encore des séquelles de la grande dépression économique, les inégalités sociales tout à fait flagrantes ne sont pratiquement pas évoquées au fil d’une histoire, qui préfère perpétuer le mythe du gangster en tant que héros. Au fond, Hooker et Gondorff ne valent pas mieux, moralement parlant, que les chefs de la pègre, interprétés autrefois par Humphrey Bogart, James Cagney, George Raft et Edward G. Robinson, qui surabondaient dans les films de la Warner produits justement dans les années ’30. Ce qui les distingue, par contre, c’est le regard quasiment débonnaire que le film porte sur eux.

La souplesse de la narration, qui est pour beaucoup dans le succès durable de ce film que l’on ne se lasse pas de revisiter à intervalles réguliers, n’est pas uniquement la marque de fabrique d’un récit hautement divertissant. Elle se répercute également au niveau des personnages, qui sont rarement ce qu’ils prétendent être. Le secret du fonctionnement sans accroc de l’histoire réside aussi dans ce double jeu permanent. Le spectateur y est admis avec une irrégularité stimulante, qui contribue encore au plaisir d’avoir été dupe des manigances de toutes sortes. D’ailleurs, nos repères d’identification restent agréablement flous, parce que même si Hooker est indubitablement le protagoniste, ses écarts de conduite successifs auraient presque tendance à nous le rendre antipathique, à l’encontre de Gondorff, un gentleman braqueur plein de sagesse. Or, la finesse de la mise en scène procède à un tel brouillement des cartes, que l’on se prendrait presque à sympathiser avec le pauvre pigeon Lonnegan, pourtant un méchant qui deviendrait caricatural si ce n’était pour le jeu subtilement menaçant de Robert Shaw.

 

Revu le 14 mai 2014, au Quartier Latin, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: