D'Est

D'Est
Titre original:D'Est
Réalisateur:Chantal Akerman
Sortie:Cinéma
Durée:116 minutes
Date:13 septembre 1995
Note:

A la fin de la Guerre froide, en 1993, la réalisatrice belge Chantal Akerman part en Europe de l’Est, sur les traces de ses ancêtres. Pendant trois voyages, entrepris au fil des saisons, elle enregistre la vie en Allemagne de l’Est, en Pologne, en Lituanie, en Biélorussie, en Moldavie, en Ukraine et en Russie.

Critique de Tootpadu

Qu’est-ce qui fait l’identité d’un pays ? A cette vaste question, il existe sans doute autant de réponses qu’il y a d’habitants sur un territoire national. Celle que propose Chantal Akerman se démarque par une radicalité stylistique qui peut à la fois fasciner et rebuter. La réalisatrice n’éprouve visiblement pas le besoin de prendre le spectateur par la main, de lui expliquer sa démarche ou d’expliciter les rapports entre les hommes et les lieux qu’elle filme calmement. Son documentaire se prête du coup à toutes sortes d’interprétations, puisque, comme un objet cinématographique vivant, il laisse nos propres observations seules avec celles, distantes, de cet album d’impressions à travers l’Europe de l’Est du début des années 1990.

D’abord, nous y voyons un commentaire sur le statut de l’étranger, qui n’y comprend rien à la langue et aux coutumes des pays dans lesquels il voyage, mais qui se voit néanmoins confronté à un quotidien des plus banals. Aucun sous-titre ne vient clarifier les rares paroles énoncées au cours du film et la position de la caméra est sans exception à l’écart de la foule, dans une position contemplative qui n’a que rarement recours à la figure de la nature morte. L’immense majorité du temps, elle est en mouvement dans de longs travellings latéraux, à moins que ce ne soient les individus qui bougent ou qui, au contraire, restent figés dans l’attente d’un moyen de transport que l’on ne voit jamais arriver. Les pays anciennement sous l’emprise soviétique, tels que nous les découvrons ici, ne sont guère inertes. Ils sont juste les prisonniers stoïques d’une organisation sociale, qui met l’accent sur une collectivité plus subie que choisie.

Et puis, cette civilisation quelque peu archaïque, elle n’existe déjà plus vingt ans après les faits. Suffisamment de temps s’est écoulé depuis pour mesurer à quel point l’influence du monde occidental a joué un mauvais tour à l’âme slave, en apportant un meilleur confort de vie, certes, mais en exacerbant également les inégalités sociales. Les paroles lourdes d’amertume de la réalisatrice lors de l’ouverture du festival Bande(s) à part, qui exprimaient son regret quant à la disparition du monde qu’elle aimait filmer, prennent tout leur sens à la vision de ce documentaire, à la fois austère et porteur d’un ennui stimulant. Ce n’est plus seulement à un voyage dans l’espace qu’il nous invite, mais également à un décalage temporel qui deviendra de plus en plus précieux, au fur et à mesure que les bouleversements amenés par le rouleau compresseur de la globalisation effaceront les particularités, à première vue insignifiantes, d’une culture différente de la nôtre.

 

Vu le 3 avril 2014, au Magic Cinéma, Salle 1, Bobigny, en VO

Note de Tootpadu: