Titre original: | I am Divine |
Réalisateur: | Jeffrey Schwarz |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 90 minutes |
Date: | 26 mars 2014 |
Note: |
Né en 1945 à Baltimore, Harris Glen Milstead était un garçon timide, complexé par son poids et attiré par les vêtements féminins. Sa rencontre avec John Waters à l’âge de 17 ans allait être déterminant pour la création de Divine, son nom de scène : un travesti énorme dans tous les sens du terme. Grâce à sa collaboration avec Waters dans des films comme Pink Flamingos et Hairspray et ses spectacles au théâtre à New York et San Francisco, Divine allait devenir une figure culte du mouvement underground partout dans le monde.
Divine, c’est toute une époque : les années 1970 et leur esprit joyeusement contestataire, qui a su trouver un écho plus ou moins durable pendant la décennie suivante. De cette forme de vie alternative, qui osait réellement rompre avec les règles contraignantes d’une existence respectable, ne serait-ce que pour partir vers des horizons mentaux construits grâce à l’absorption de toutes sortes de drogues, Divine était l’une des figures de proue, un idole qui transformait son exclusion sociale en art de l’affirmation de la différence. La reine des parias n’a malheureusement pas survécu à cet âge fou, où la dérision et la provocation nourrissaient sans peine toute une culture parallèle. En filigrane, ce documentaire instructif laisse sous-entendre pourquoi ce personnage plus grand que nature s’identifiait si étroitement à l’époque qui était la sienne.
Le but de I am Divine n’est pas de s’interroger sur la possibilité d’un personnage aussi extravagant dans notre paysage médiatique actuel, sans doute trop morcelé pour produire pareil phénomène hors des sentiers battus. La mise en scène de Jeffrey Schwarz est bien trop sage et révérencieuse pour s’aventurer vers une telle hypothèse. En célébrant la splendeur de l’esprit et de l’héritage indirect de Divine, elle pose cependant, par omission, la question des successeurs potentiels d’un talent unique comme cette bête de scène qui n’avait jamais peur du mauvais goût. Il n’y en a visiblement pas. Mais l’exploration des raisons pour cette pénurie pénible de trublions marrants ne fait pas partie du cahier de charges du documentaire. Son adhésion au modèle narratif très américain, où les souvenirs des personnes interrogées rythment le récit sinon fait de matériel d’archives plus ou moins anecdotique, le place même à l’antipode du joyeux bordel que prônait Divine.
Sauf que le personnage Divine n’était que la moitié de l’identité de son créateur. D’autre part, il était un homme apparemment très avenant et sociable, qui avait souffert du calvaire de l’intimidation musclée que subissent encore aujourd’hui les garçons et les filles qui affichent tôt et parfois malgré eux leurs préférences sexuelles minoritaires. Qu’il nous ait quittés justement au moment où il cherchait à rompre avec son image surdimensionnée, de surcroît pour des raisons médicales directement liées à son surpoids, est à la fois triste et prémonitoire d’un retour à la normalité étouffante, qui comprend désormais tout le monde, ou presque. Quelqu’un comme Divine aurait un retentissement fortement amoindri aujourd’hui, alors que des artistes comme Lady Gaga en sont des disciples insipides. Affubler son souvenir d’un documentaire pratiquement consensuel, dans la forme et dans le fond, cela revient à enterrer définitivement un élan de démesure qui se sentirait encore plus seul et incompris un quart de siècle après son passage lumineux, tel le météore d’une philosophie de vie de l’excès insouciant.
Vu le 5 mars 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO
Note de Tootpadu:
La plus belle femme du monde est un homme. L’homme s’appelle Harris Glen Milstead, la femme s’appelle Divine. Car une fois qu’il se trouve devant la caméra ou sur scène, le jeune garçon grassouillet et timoré de Baltimore se transforme en véritable phénomène. C’est à cette Drag-queen aussi sexy que monstrueuse que Jeffrey Schwarz a décidé de rendre un vibrant hommage dans son nouveau long-métrage documentaire I am Divine. Au cours de ses précédents travaux, le cinéaste a déjà eu l’occasion de prendre pour sujet des personnalités marginales, et de mettre en avant la communauté gay. Dans son documentaire Vito (2011) par exemple, il retraçait le parcours de Vito Russo, historien du cinéma militant pour la cause homosexuelle. Un personnage aussi extravagant que Divine ne pouvait donc que faire l’objet d’un film de sa part.
Le réalisateur nous livre ici un travail assez complet et bien ficelé, accompagné de très nombreuses images d’archives. Photos, extraits de films et interviews viennent s’ajouter aux témoignages souvent hilarants des proches de la scandaleuse Divine. Evidemment, John Waters a joué un rôle considérable dans la progressive ascension vers le succès de sa muse. On prendra donc grand plaisir à écouter les commentaires du réalisateur des films qui l’ont propulsée vers la gloire, comme le culte Pink Flamingos, dans lequel Divine n’hésite pas à ingérer des déjections canines afin de gagner le concours de la femme la plus répugnante. Avec ce genre de frasques, l’acteur est rapidement devenu un artiste phare de la scène underground, et une figure incontournable des midnight movies.
Pourtant, le documentaire de Jeffrey Schwarz met également en lumière le revers de la médaille du parcours de la star. Si Divine était adulée par des hordes de fans trouvant en elle une idole leur permettant d’assumer leur différence, ce masque cachait en réalité un homme tendre et délicat. Malheureusement, celui qui rêvait également d’être reconnu en tant qu’acteur s’est laissé enfermer dans son propre rôle, celui de la reine du trash. La success story aurait pu se finir en happy-end si tous les excès de la diva n’avaient pas causé sa perte brutale. L’important surpoids avec lequel Glen Milstead s’est amusé à chambouler les codes de l’apparence physique a finalement eu raison de lui. On ne peut que regretter que ce tragique évènement ait eu lieu dans une période si faste pour cet homme enfin accepté par sa famille et s’apprêtant à connaitre le succès en tant qu’acteur masculin.
Certes, I am Divine adopte un aspect très classique, et l’on pourrait aisément penser que cela ne sied guère à une personnalité bigger than life telle que Divine. Néanmoins, le personnage présenté par le documentaire est tellement exubérant qu’il permet de nous faire oublier ce manque d’originalité. En ce sens, on peut même avancer que la forme si conventionnelle du film est la plus adéquate : pas besoin d’en rajouter, Divine est un tel phénomène que cela suffit à offrir du grand spectacle. En tout cas, faire revivre une telle icône ne peut que nous donner envie de voir (ou revoir) tous ses films et ceux de John Waters.
Vu le 5 mars 2014, à la Salle Pathé Lincoln, en VO
Note de Noodles: