Titre original: | New York New York |
Réalisateur: | Martin Scorsese |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 162 minutes |
Date: | 14 décembre 1977 |
Note: |
Le jour de la capitulation du Japon en 1945, le saxophoniste Jimmy Doyle fait la fête sur Times Square. Fraîchement démobilisé, il espère conquérir une femme pour passer la nuit avec elle. Mais ses tentatives de drague ne sont point couronnées de succès. Il tombe même sur un énergumène particulièrement antipathique en la personne de Francine Evans, une chanteuse qui avait soutenu les troupes à l’étranger. Bien que le courant ne passe pas entre les deux musiciens lors de leur première rencontre, ils sont contraints de faire équipe quand le gérant du bar où Jimmy a une audition préfère la voix de Francine aux improvisations jazz de son partenaire. Engagée par un orchestre qui part en tournée, l’élue du cœur de Jimmy lui fait pourtant faux bond.
La passion que Martin Scorsese éprouvé à l’égard du cinéma n’a plus besoin de preuves depuis longtemps. Désormais une sorte d’éminence grise du cinéma américain, le réalisateur n’a plus rien à prouver et peut ainsi faire les films qui lui plaisent, quitte à ce que son style ne se renouvelle guère. Ce qui est en même temps compréhensible pour un cinéaste septuagénaire qui a derrière lui une filmographie riche d’une vingtaine de films dont la plupart ont marqué la mémoire des cinéphiles. L’une de ses œuvres plutôt mal aimées est New York New York, qui compte pourtant parmi nos favoris. C’est un monument filmique à la gloire du cinéma, et plus spécifiquement à la tradition de l’artifice dans laquelle Hollywood excellait dans les années 1940 et ’50.
Les décors de studio ne doivent pas laisser penser qu’il s’agit d’un exercice de style creux et révérencieux. Un souffle de vie puissant traverse au contraire le récit, dont la forme atteint les sommets de la comédie musicale. Rarement avons-nous vu la mise en scène de Martin Scorsese à la fois si gracieuse et si vigoureuse. Son sens visuel est faramineux dans l’orchestration d’un tourbillon enivrant de couleurs et de plans saisissants, qui en disent plus long sur le ressenti des personnages que des échanges de répliques interminables. Enfin, l’intégration des numéros musicaux est quasiment sans faute, si ce n’est pour la longue séquence de « Happy endings », ajoutée après la sortie initiale du film, qui le rapproche un peu trop de l’esthétique et du rythme théâtral de Funny girl de William Wyler.
Pourtant, ce film n’est point un show dont la seule raison d’être serait de mettre en valeur Liza Minnelli, comme ce fut le cas pour Barbra Streisand dans le film précité. La bête de scène y interprète certes un de ses rôles les plus mémorables, mais c’est avant tout une magnifique histoire d’amour ! Francine et Jimmy ne sont pas réellement faits l’un pour l’autre. Qu’ils donnent cependant une chance à leur relation, qui finira de la même manière tumultueuse qu’elle a commencé, reflète une réalité romantique plus en vogue dans les années 1970 que pendant la période où l’action se déroule. Le courant qui passe malgré leurs différences, né avant tout de leur collaboration musicale, se mue progressivement en une haine mélancolique, consciente que c’est fini et que leurs chemins feraient mieux de ne plus jamais se croiser.
Cette défaite cinglante de l’amour, particulièrement éprouvante lors des derniers plans du film, casse l’image proprette du monde du spectacle, qui doit toujours continuer peu importe les sacrifices personnels. Contrairement à sa démarche excessive dans ses épopées sur la pègre, Martin Scorsese privilégie ici une certaine sobriété. Jimmy aurait aisément pu sombrer dans la drogue, tout comme Francine aurait pu perdre le bébé. Rien de plus facile dans le monde hollywoodien du faire-semblant à forte connotation mélodramatique. Or, le choix du scénario est infiniment plus poignant : les amants se sont éloignés simplement parce qu’ils ne pouvaient plus vivre ensemble, ce qui est le comble de la malédiction romantique inextricable.
Enfin, si nous participons si fièvreusement aux hauts et bas de cette relation condamnée d’avance à l’échec, c’est aussi grâce aux interprétations magistrales de Minnelli et de Robert De Niro. Ce dernier habite son personnage a priori antipathique avec une rage de vivre dont la meilleure arme est le charme. Son Jimmy Doyle est le genre d’électron libre dont le comédien avait le secret au début de sa carrière, une forte tête sans compromis dont le génie se brise tragiquement aux compromis nécessaires pour tous dans la banalité de la vie.
Revu le 23 janvier 2014, au Grand Action, Salle Henri Ginet, en VO
Note de Tootpadu: