Titre original: | Inside Llewyn Davis |
Réalisateur: | Joel Coen, Ethan Coen |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 105 minutes |
Date: | 06 novembre 2013 |
Note: |
Le chanteur Llewyn Davis croit dur comme fer qu’il percera en solo un de ces jours. Mais en attendant d’être découvert dans le milieu élitiste de la musique folk à Greenwich Village au début des années 1960, il mène une vie quotidienne plutôt misérable. Sans domicile fixe, il se fait héberger tour à tour chez des amis. Parmi ces derniers compte le couple d’académiciens Gorfein, dont il a accidentellement récupéré le chat, et Jean et Jim, comme lui des musiciens idéalistes qui savent pourtant mieux galvaniser les foules que lui. Et si le salut de Llewyn résidait à Chicago auprès de l’imprésario Bud Grossman, qui aurait dû recevoir depuis longtemps son premier disque. Puisque plus rien ne le retient à New York, Llewyn saisit la première occasion pour partir.
Dès leur premier film en 1984, les frères Coen (Joel et Ethan) ont su imposé leur patte en tant que scénariste et réalisateur. Aussi à l’aise dans la comédie (O’Brother (2000), Intolérable cruauté (2003), Burn after reading (2008)) que dans le drame (Barton Fink (1991), True Grit (2010), ils se sont construits une filmographie en seize films (sans compter leur segment dans Paris je t’aime (2006) et Chacun son cinéma (2007)) pratiquement sans aucune fausse note. Leur nouveau film appartient à la seconde catégorie et nous livre leur vision du milieu artistique underground de l’Amérique du début des années soixante. Leur personnage principal est un chanteur de folk maudit et pourtant talentueux qui vivote grâce à l’aide de son entourage et de quelques petits concerts dans des bars locaux. Loin de nous tracer le parcours d’un chanteur en quête de succès, les deux réalisateurs préfèrent dresser un portrait des laissés pour compte, des victimes du star system qui ne réussiront jamais à percer. Ce n’est donc pas un hasard si à un moment du film on peut entendre l’un des plus grands chanteurs musiciens de ces années, un certain Bob Dylan exactement dans le bar où joue régulièrement Llewyn Davis. C’est en cela que le film est des plus attachants et touchants par cette sensibilité à fleur de peau.
Comme dans chacun de leurs films, les frères Coen donnent vie à une multitude de personnages pittoresques. C’est encore le cas ici avec dans des rôles à contre-emploi pour John Goodman (Roland Turner), Justin Timberlake (Jim Berkey) et surtout la présence apaisante de Carey Mulligan Jean Berkey). Après avoir déjà joué ensemble dans le film culte Drive, Oscar Isaac (Llewyn Davis) retrouve de nouveau cette brillante artiste dans un de ses meilleurs rôles à ce jour. Les réalisateurs soignent donc aussi bien leur scénario, leur photo que leur direction d’acteurs. Quels autres réalisateurs pourraient nous captiver par cette odyssée (le nom du chat n’est pas un hasard fortuit pour ceux qui ont déjà vu le film) au rythme linéaire trop lent.
Certes le film n’est pas leur meilleur cru mais il emporte notre adhésion totale par cet hommage rendu à la folk musique au travers différents morceaux de Oscar Isaac, Nancy Blake et Justin Timberlake. Comme ces poètes maudits morts dans l’anonymat le plus total, ce film emprunt d’un pessimisme brut est autant plus émouvant que dépressif. Aussi bien dans des dialogues percutants que dans le milieu décrit, on sent toute l’attention que portent ces deux réalisateurs à leur Amérique tant appréciée. Comme leur personnage principal, ils ont du mal à s’imposer et avec un talent indéniable et une force d’avancer, ils représentent comme Woody Allen le cinéma américain indépendant de qualité et incontournable.
Loin du cinéma hollywoodien pré- formaté, ce film nous permet de nous divertir intelligemment et de nous rendre compte que même dans des cas de détresse, il faut continuer à se battre et à avancer. Certes, comme le personnage principal on ne connaîtra jamais la gloire mais on pourra profiter de moments forts et d’un repos bien mérité.
Vu le 10 novembre 2013 au Gaumont Disney Village, Salle 08, en VF
Note de Mulder:
Est-ce vraiment un avantage de mettre une si belle photographie au service d’un film si déprimant ? Le chef-opérateur Bruno Delbonnel se surpasse en effet pour atteindre une patine qui reflète parfaitement l’aigreur mélancolique de Inside Llewyn Davis. Les plans magnifiques des décors hivernaux et autres intérieurs de bars enfumés risquent même de détourner notre attention de l’histoire tristounette d’un artiste raté, en décalage marqué avec la splendeur visuelle du film. Les tons foncés et les cadres bouchés vont jusqu’à conférer un côté onirique au récit, comme si le protagoniste, trop arrogant pour s’admettre vaincu avant l’heure, rêvait ces quelques jours remplis de galères en tout genre. Sauf que la noirceur sans appel de la narration des frères Coen transforme ce cauchemar en une réalité impitoyable.
Personne n’est capable de dire quel est l’ingrédient magique pour avoir du succès en tant qu’artiste. C’est hélas un fait établi que la plupart des comédiens, musiciens, peintres et ainsi de suite n’arrivent point à vivre de leur art, laissant à une poignée de vedettes le rôle envié par tous de colporteur du mythe de la célébrité qui rapporte gros. La réalité est bien sûr toute autre, peu importe l’époque ou la forme d’expression créative. Le personnage principal de ce film dispose de suffisamment de talent et d’un caractère bien trempé pour faire son chemin dans le milieu peu lucratif de la musique folk. Et pourtant, il y a quelque chose qui le retient, une force invisible qui le cantonne à une médiocrité à laquelle l’unique issue serait l’abandon de toute ambition. Nous assistons ici aux dernières convulsions d’une promesse qui s’éteint dans la douleur, parce qu’elle s’avère incapable de faire le deuil d’un duo qui n’avait pas non plus marché tant que ça et qu’elle se trouve, par répercussion, dans l’impossibilité de se renouveler avec un répertoire original.
Il va de ce film comme du sort regrettable de Llewyn Davis : quelques morceaux de bravoure ont tendance à se perdre dans la morosité ambiante. Alors que le chanteur malheureux est assez lucide pour entrevoir les limites de sa carrière déclinante, il ne franchit guère le pas d’y mettre un terme de son propre gré. Ce ne sont que les circonstances extérieures qui l’y contraignent, à l’image de la forme filmique, trop travaillé et trop figée, que les frères Coen emploient afin de conter une histoire, qui aurait nécessité peut-être un peu plus de sobriété esthétique pour nous toucher, au lieu de nous abattre moralement.
Vu le 1er janvier 2014, au MK2 Grand Palais, en VO
Note de Tootpadu: