Titre original: | Museum hours |
Réalisateur: | Jem Cohen |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 103 minutes |
Date: | 18 décembre 2013 |
Note: |
Anne, qui vit à Montréal, est appelée au chevet de sa cousine, dans le coma dans un hôpital de Vienne. Assez perdue sur le vieux continent, elle se lie d’amitié avec Johann, qui est depuis six ans gardien dans le principal musée d’art de la ville. Ensemble, ils déambulent à travers les salles d’exposition, notamment celle des tableaux de Bruegel dans lesquels Johann découvre chaque fois un nouveau détail. Anne se laisse également guider dans la ville par Johann, qui repasse alors dans des quartiers qu’il n’avait plus fréquentés depuis longtemps.
L’art sous sa forme la plus pure peut-il exclusivement se laisser apprécier dans le cadre codifié et officiel du musée ? Ou bien, dans notre époque moderne qui affectionne tant les métissages, par ouverture d’esprit ou par nécessité, l’heure ne serait-elle pas au contraire venue de sortir les œuvres du contexte institutionnel pour les laisser respirer au contact de la réalité ? Le réalisateur américain Jem Cohen va encore un peu plus loin dans sa réflexion fascinante sur l’art, en tentant d’aiguiser notre regard. Au bout de cette entreprise ambitieuse se trouverait alors la capacité de voir la beauté plastique même dans des circonstances les plus anodines. La topographie urbaine de Vienne, avec son mélange sauvage d’architecture ancienne et d’esthétique publicitaire, nous interpelle en effet presque plus dans Museum hours que le subtil travail d’associations entre les différentes salles du musée.
Il faut avoir l’œil pour déceler les perspectives et les cadrages, qui nous permettent de nous rendre compte pour la première fois depuis très longtemps que tout ce qui nous entoure se prête à être sublimé par le regard. Jem Cohen, jusque là spécialisé dans les documentaires et les films expérimentaux, l’a sans aucun doute. La qualité peut-être encore plus cruciale de sa mise en scène consiste pourtant à se refuser à une quête de l’émerveillement à tout prix. La vie dans ses manifestations les plus simples ponctue ainsi un récit qui sombrerait autrement dans une extase contemplative au bord de la stérilité. Le bruit d’une fête succède ainsi au moment le plus éprouvant de l’histoire. Néanmoins, ce dernier est filmé avec une pudeur et une intensité sourde qui – en conjonction avec la visite d’une grotte qui lui précède – nous rappellent étrangement la deuxième moitié de Voyage en Italie de Roberto Rossellini, lorsque le couple se retrouve presque malgré lui, après avoir été confronté à la mort symbolique des fouilles archéologiques et concrète par rapport à la fin probable de leur relation.
Enfin, l’aspect qui nous a sans doute le plus subjugué dans ce film à la beauté remarquable est qu’il sait transmettre son message ludique avec une sagesse qui borde à l’humilité. Rien de palpable ne découle de ce cours plus ou moins abstrait sur l’Histoire de l’art, dans lequel la parenthèse fortement didactique de la visite guidée sur Bruegel dénote étonnamment peu. Et pourtant, le film nous invite à reposer nos yeux et nos nerfs au fil d’une pause paisible, hélas de courte durée, puisque ses effets bénéfiques sont rapidement anéantis par le retour impitoyable au stress parisien. Reste alors la certitude d’avoir assisté en toute quiétude à une publicité pour touristes larvée de la part de la ville de Vienne, qui atteint aisément le plus haut degré de stimulation culturelle et intellectuelle.
Vu le 29 octobre 2013, au Club de l'Etoile, en VO
Note de Tootpadu: