Jeune et jolie

Jeune et jolie
Titre original:Jeune et jolie
Réalisateur:François Ozon
Sortie:Cinéma
Durée:93 minutes
Date:21 août 2013
Note:

Isabelle passe l’été de ses dix-sept ans avec sa famille au bord de la mer. Pendant ces vacances, elle fait la connaissance de Felix, un jeune homme allemand, avec lequel elle a ses premiers rapports sexuels. De retour à Paris, elle commence à se prostituer en cachette sous le pseudonyme Léa, en fixant des rendez-vous à des hommes souvent plus âgés qu’elle dans des chambres d’hôtel. Jeune et jolie, Isabelle se fait payer cher ses faveurs sexuelles. Cette double vie s’arrête brusquement quand l’un de ses clients meurt dans les bras de l’adolescente, qui devra alors prendre ses responsabilités.

Critique de Tootpadu

Seules quelques chansons de Françoise Hardy et une certaine élégance dans la forme filmique servent de rempart contre un désarroi moral complet dans ce nouveau film de François Ozon, présenté en compétition au dernier festival de Cannes. La petite touche d’ironie gaie qui atténuait jusque là les propos de ses films précédents est absente ici. Même la dimension du conte, aussi cauchemardesque soit-il dans le cas des Amants criminels, ne vole pas au secours, dans Jeune et jolie, d’une histoire qui n’offre aucun réconfort au spectateur. Ce n’est nullement le remords qui anime Isabelle / Léa au fil des saisons de son récit de rédemption, mais uniquement la contrainte sociale, c’est-à-dire familiale, qui se déclenche presque automatiquement, une fois que ses méfaits ont été découverts. S’il n’y avait pas eu le premier incident susceptible de lui faire réaliser que, non, l’existence d’une prostituée n’est pas une façon presque inoffensive de gagner beaucoup d’argent rapidement, elle aurait sans doute continué à peaufiner son expérience sexuelle, tout en faisant une croix sur ses vagues aspirations sentimentales.

La raison pour laquelle la narration ne montre pas les différentes rencontres à fort potentiel glauque sous une lumière plus crue découle des motivations plutôt intimistes de ce film doucement déroutant. Ce n’est pas le côté social qui intéresse François Ozon, qui se contente de montrer que l’environnement immédiat du personnage principal est plus dysfonctionnel, en termes de sexualité et de rapports sentimentaux, qu’il ne paraît à première vue. Le réalisateur porte au contraire son attention sur le vide moral à l’intérieur même d’Isabelle, une jeune fille qui négocie son passage à l’âge adulte sans le moindre état d’âme. En effet, il ne devient jamais évident pourquoi elle se prostitue, puisque elle ne manque de rien et que ses liens familiaux et amicaux paraissent plutôt solides. Sa démarche pourrait alors relever davantage d’une sorte de retrait de sa propre vie et de son propre corps, une piste d’interprétation d’autant plus crédible que ce jouet sexuel consentant ne paraît prendre aucun plaisir dans ce qu’elle fait et que les sommes d’argent qu’elle amasse n’ont aucune vocation de libération du joug familial, par le biais de l’indépendance financière.

Même au bout d’une dizaine de films, l’œuvre de François Ozon reste toujours aussi imprévisible et stimulante. Il n’accédera certes pas avec ce film-ci au trône du grand chroniqueur malicieux de la morale française, resté vacant depuis la disparition de Claude Chabrol. Grâce à l’interprétation sans faille, voire étonnante de mélancolie de la part de la fidèle collaboratrice Charlotte Rampling grisonnante, il dresse néanmoins le portrait inquiétant d’une jeunesse dépouillée du moindre repère moral, qui serait susceptible d’encadrer la découverte d’une vie sexuelle irrémédiablement infectée par la mécanique de l’argent et de la facilité. En somme, François Ozon n’a jamais été un grand romantique, sans doute parce qu’il sait qu’en marge de la convention sociale et morale, pareil idéalisme est d’emblée voué à l’échec.

 

Vu le 10 octobre 2013, au MK2 Grand Palais

Note de Tootpadu: