Titre original: | Prisoners |
Réalisateur: | Denis Villeneuve |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 153 minutes |
Date: | 09 octobre 2013 |
Note: |
Pour la fête de Thanksgiving, la famille Dover rend visite à ses voisins, les Birch. Leurs filles respectives, Anna et Joy, rentrent seules en début de soirée chez les Dover, puis disparaissent sans laisser de trace. Leurs proches soupçonnent alors un camping-car suspect, garé en pleine rue ce jour-là. La police le retrouve le soir même et arrête son conducteur Alex Jones. Son interrogatoire, conduit par l’inspecteur Loki en charge de l’affaire, ne mène à rien, puisque ce jeune adulte a l’âge mental d’un garçon de dix ans. Quand le principal suspect est relâché faute de preuves, Keller Dover décide d’enquêter à sa façon, quitte à enfreindre la loi. Il redoute qu’avec chaque jour qui passe, les chances pour retrouver les filles vivantes s’amenuisent.
Souvent les bandes annonces ont tendance à nous résumer l’intégralité des moments forts d’un film afin de pouvoir le vendre à son audience et cela gâche ainsi en général les bonnes surprises auxquelles on pourrait s’attendre. Pourtant, certaines autres ont tendance à nous en montrer le moins possible voire aborder uniquement leur début. Dans le cas présent, la surprise est une réussite exemplaire du nouveau film du réalisateur inconnu pour le plus grand nombre des spectateurs en France Denis Villeneuve et est d’autant plus grande que rien ne laissait entrevoir un tel résultat.
L’approche et traitement apportés par Denis Villeneuve témoignent d’une sensibilité qui lui est propre et très viscérale. Ce réalisateur québécois et auteur de trois films Maelström (2000), Polytechnique (2009) et Incendies (2010) par ce film vient de s’imposer définitivement comme l’un des grands réalisateurs à suivre de très près.
N’ayant pas entendu parler de ce film hormis la bande annonce américaine, j’ai eu la chance d’aborder ce film sans aucune idée préconçue. Le réalisateur s’appuyant sur l’excellent scénario du jeune scénariste Aaron Guzikowski (Contrebande) prend son temps pour présenter les principaux personnages, soit deux couples et leurs enfants lors de la journée de Thanksgiving jusqu’à ce que la fillette de chacun de ses couples, Anna et Joy, soient enlevés. Le seul indice suspect pour aider le détective Loki est la présence d’une caravane près du lieu où mangeaient ces deux couples mais faute de preuves suffisantes, il est contraint de laisser partir son conducteur. Le père de Anna décide d’enlever ce suspect numéro 1 Alex Jones et de le forcer à parler. Les jours passent et pourtant ce suspect malgré les tortures continue à ne pas vouloir parler malgré quelques messages surprenants.
Tenir en haleine un public habitué à voir une multitude de films chaque semaine pendant plus de deux heures trente tient à ce niveau d’une audace certaine. Imposer son film par une direction d’acteurs parfaite tient du miracle,malgré un début très lent comme une ballade folk pendant les quarante premières minutes. En voyant ce film, il nous est impossible de ne pas nous remémorer l’ambiance putride de Seven (David Fincher) et du Silence des agneaux (Jonathan Demme). L’ambiance lugubre et sans espoir du film colle parfaitement au rôle du personnage de Keller. Ce bon père de famille toujours prêt à aider les siens devra se résigner à devenir malgré lui un bourreau et rouvrir des blessures du passé si il veut sauver ses deux fils. L’autre père de famille, Franklin Birch l’épaulera et devra se forcer à torturer le simple d’esprit Alex Jones. Le mécanisme fatal du film emprisonnera les spectateurs dans un univers d’un pessimisme rare.
Le film de Denis Villeneuve rappelle un jeu de piste où les nombreux indices parsemés lors du déroulement de l’histoire nous incitent à nous interroger sur la nature de l’action de ces deux pères de famille et leur volonté de connaître la vérité. Ce film par sa forme est une expérience totale à la limite de la folie et surtout nous pousse à nous interroger sur la question de savoir jusqu’à quel point on est prêt à devenir un tortionnaire un monstre pour sauver un membre de sa famille. Cette ambiance excellente nous rappelle le cultissime film Le Sixième sens Michael Mann dans lequel l’inspecteur Will Graham doit penser comme un psychopathe et se mettre à sa place pour connaître la vérité. Pourtant, on ne peut pas en conclure que l’approche de David Fincher et de Denis Villeneuve soit identique. Au contraire, ce dernier s’éloigne de la modélisation américaine des thrillers américains par les choix d’une construction et présentation de l’histoire et surtout une photo parfaitement en phase avec l’histoire racontée et non tenante d’un vidéoclip comme la plupart des thrillers actuels. L’excellent travail de Roger Deakins renforce notre sentiment d’assister à la naissance d’un grand réalisateur à qui Hollywood va ouvrir les portes . L’intrigue est maîtrisée et cliniquement présentée. Il est impossible ainsi malgré sa longue durée de sortir de ce film. Surtout, le réalisateur témoigne d’un don réel pour rendre meilleur ses acteurs.
La très grande réussite de ce film tient surtout à la présence d’un acteur qui se livre entièrement à son réalisateur et qui donne ainsi à ce jour sa meilleure interprétation. Difficile ainsi de reconnaître dans son personnage Keller Dover les rôles auxquels il était habitué. Dans la plupart de ces rôles, Hugh Jackman présente des personnages qui contrôlent la situation. Ces personnages peuvent subir des injustices mais se battre jusqu’au bout (Les Misérables, Australia, Real Steel), affronter de dangereux mutants (Wolverine, X-men).. Il livre ainsi pour la première fois de sa carrière la vision d’un personnage borderline et brisé qui veut cacher les apparences. La scène devant le commissariat, celle de la discussion avec le détective Loki par un regard d’un homme brisé, perdu nous montre à quel point cet acteur est l’un des meilleurs actuels. L’intensité de son jeu fait à ce jour le meilleur candidat de très loin pour obtenir l’Oscar du meilleur acteur. Jamais à ce jour, il n’avait révélé une telle profondeur et intensité de jeu. Rien que pour sa prestation, ce film mérite d’être vu et revu.
Dans un second rôle, Jake Gyllenhaal remplit également aisément ses fonctions. Son interprétation d’un jeune agent des forces de l’ordre qui prend son temps pour prendre les bonnes décisions (hormis dans un cas) est parfaitement crédible. Une nouvelle fois, il se retrouve être performant et excellent dans une production indépendante (Jarhead, Zodiac, End of watch..). Ses échanges avec Hugh Jackman font de ce film des moments très forts et parfois très émouvants. On pourra aussi noter les excellentes interprétation de Paul Dano, Terrence Howard et Maria Bello..
Prisoners est donc l’un des meilleurs films que j’ai pu voir cette année. Suite à cette projection j’ai eu l’impression d’avoir assisté à une leçon magistrale de cinéma, à la découverte d’un très grand réalisateur et surtout redécouvrir l’un de mes acteurs préférés dans sûrement son meilleur rôle à ce jour.
Vu le 19 septembre 2013 à l’auditorium M6, en VO
Note de Mulder:
Un puzzle à mille pièces, un labyrinthe sans issue ou une spirale infernale sans fin : les métaphores ne manquent pas pour décrire le premier film hollywoodien du réalisateur canadien Denis Villeneuve. Bien que son intrigue soit autant tirée par les cheveux que celle de son film précédent, Incendies, avec un coup de théâtre tonitruant et une coïncidence peu crédible qui chasse l’autre, le récit sait maintenir une tension palpable tout au long de sa durée considérable. La vigueur de la narration est même telle, qu’elle a tendance à écraser sur son passage toutes les implications morales que le scénario s’évertue à accumuler, au fur et à mesure que tous les participants de cette triste affaire se salissent les mains.
Car au fond, derrière son apparence de thriller hautement efficace, Prisoners se voudrait tellement un pamphlet sournois sur la fragilité de la respectabilité dans le cadre préservé des banlieues américaines. Les deux familles au centre de l’intrigue sont d’une banalité presque caricaturale, avec leurs petits problèmes financiers, sans doute dus à la crise, et leur réunion de fête traditionnelle qui exulte carrément une quiétude idéalisée, sans la moindre ombre au tableau. Bien sûr, ce bonheur basculera rapidement dans l’horreur, plus insoutenable encore que celle d’un simple film de genre aux effets choquants, puisque elle sape jusque dans ses fondations les convictions chrétiennes et plus globalement très américaines des protagonistes du côté vertueux de la loi.
On peut regretter un certain manque de finesse dans l’orchestration de cette enquête aux nombreux effets de surprise. En même temps, ces sursauts successifs apportent une dose parfaitement ajustée de trivialité à ce qui aurait pu devenir sinon une leçon de morale lénifiante. Tandis que Denis Villeneuve force donc moins le trait du côté des conséquences existentielles, voire cosmiques des actions de ses personnages que lors de la recherche alambiquée des origines dans son film précédent, il reste toujours aussi adroit dans la direction d’acteurs, même si bon nombre d’entre eux ne font que confirmer les clichés qui leur collent à la peau depuis le début de leurs carrières. Heureusement que face à Paul Dano, Maria Bello, Viola Davis et Melissa Leo, qui sont respectivement paumé, droguée, émue et grandiloquente, il y a une interprétation qui sort du lot et dépasse nos attentes, celle de Hugh Jackman dans un rôle d’homme brisé qui se distingue positivement de son image courante de super-héros ou de bellâtre au charme dévastateur.
Vu le 5 décembre 2013, au Publicis Cinémas, Salle 1, en VO
Note de Tootpadu: