Titre original: | Inégalité pour tous |
Réalisateur: | Jacob Kornbluth |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 90 minutes |
Date: | 18 février 2014 |
Note: |
Les Etats-Unis sont le pays le plus riche du monde. Pourtant, cette richesse est distribuée d’une façon inégale, avec un écart considérable entre les plus grandes fortunes et le reste de la population. C’est cette répartition déséquilibrée qui a depuis toujours intéressé Robert Reich. L’ancien secrétaire au travail du président Clinton enseigne désormais à l’université de Berkeley le pourquoi et le comment de cette évolution économique à longue haleine, qui a pour effet le plus pervers l’accroissement exponentiel de la différence des salaires entre les millionnaires et la classe moyenne.
Le rêve américain a une force d’attraction incommensurable. Tout le monde, ou presque, veut croire coûte que coûte à l’utopie qu’aux Etats-Unis, il suffit d’être ambitieux et bosseur, ainsi qu’un tout petit peu chanceux, pour réussir et rouler sur l’or. Le revers de la médaille, c’est que la plupart des adeptes de cette philosophie de vie outrancièrement optimiste s’en sortent à peine, s’il ne finissent pas carrément dans le caniveau d’une société qui ne fait pas de cadeau. Car en Amérique, il n’y a pas seulement beaucoup de riches, dont les frasques et le luxe sont régulièrement exposés, voire adulés, dans les médias, mais aussi énormément de pauvres qui vivent plus un cauchemar au quotidien qu’un rêve d’aisance matérielle. Le fonctionnement sans accroc majeur de ce système, que l’on peut considérer selon ses convictions politiques comme plus ou moins injuste, est assuré par la classe moyenne, ces banlieusards facilement satisfaits de quelques gadgets et de perspectives pas entièrement moroses qui travaillent dur toute leur vie sans faire de vagues. Or, ce pilier indispensable de la société américaine fond comme neige au soleil, à cause de quelques défauts structurels que cet excellent documentaire dénonce avec une vigueur et une précision impressionnantes.
L’analyse hautement pertinente de la situation actuelle, près de cinq ans après le début de la crise et alors que le statu quo reste quasiment inchangé, y est complétée par une réflexion historique qui démontre que le déclin de l’empire américain n’est pas forcément une fatalité. Inequality for all ne propose certes pas non plus de solution miracle pour remédier au spectre d’une démocratie de pacotille – et c’est aussi cela qui fait son attrait et son intelligence – mais il fournit quelques outils précieux pour une compréhension sans états d’âme des failles du système capitaliste à l’américaine. Le réalisateur Jacob Kornbluth et sa vedette Robert Reich, un intellectuel d’une grande lucidité qui a connu le monstre tentaculaire de l’Etat de l’intérieur, ne cherchent point à révolutionner une chose a priori bonne, si tant est que l’on accepte la possibilité de réaliser le rêve américain donnée sans distinction à toutes et à tous comme le but suprême à atteindre. Leur propos est bien plus nuancé que ça, puisqu’ils s’emploient avant tout à un programme d’éveil des consciences, peu importe les conclusions que chacun des étudiants et des spectateurs en tirera.
L’aspect formel du documentaire fonctionne selon le même principe, à savoir un détour minimal sur les détails de la vie de Reich, afin de disposer de plus de temps pour faire un tour rapide, quoique plutôt exhaustif, des tenants et des aboutissants d’un sujet économique d’une complexité extrême. Il n’y a donc pas de place ici pour le ton incendiaire et tendancieux d’un Michael Moore, ni pour le volontarisme aux yeux bleus avec lequel la conscience collective des Américains croit pouvoir se sortir de n’importe quelle bredouille. Juste le récit passionnant d’un glissement à première vue inexorable d’un système économique vers sa propre implosion. Après avoir vu ce documentaire remarquable – si tant est qu’il retrouvera son chemin en France sur quelque média que ce soit après sa présentation au festival de Deauville –, vous ne saurez pas nécessairement comment améliorer la santé financière à l’échelle personnelle ou collective. Vous disposerez cependant de tous les éléments vitaux pour comprendre le monde économique et ses enjeux, qui font hélas fi depuis plus de trente ans des intérêts de l’homme et de ses besoins les plus élémentaires.
Vu le 3 septembre 2013, au Casino, Deauville, en VO
Note de Tootpadu: