Rosenstrasse

Rosenstrasse
Titre original:Rosenstrasse
Réalisateur:Margarethe von Trotta
Sortie:Cinéma
Durée:131 minutes
Date:09 juin 2004
Note:
Après la mort de son mari, Ruth respecte soudainement à la lettre les coutumes juives et impose un deuil de trente jours à toute sa famille. Alors que sa fille Hannah trouve d’abord son comportement bizarre, elle s’inquiète sérieusement quand sa mère lui demande de rompre ses fiançailles avec son ami Luis. Seule la rencontre avec une cousine de sa mère, venue à l’enterrement, lui permet de lever en partie le voile sur les raisons des décisions étranges de Ruth. Celle-ci était venue seule aux Etats-Unis, sans jamais rien dire à ses proches sur les circonstances de sa survie pendant la guerre. Hannah décide alors de partir seule à Berlin et d’y chercher Lena Fischer, la femme qui avait sauvé Ruth d’une mort certaine dans les camps.

Critique de Tootpadu

On se croirait revenu dans l’appartement de Hannah Arendt pendant les premières minutes de ce film, qui adopte presque la même distance géographique et temporelle que le film le plus récent de la réalisatrice Margarethe von Trotta pour mieux disséquer l’Histoire allemande. Derrière une façade feutrée, les personnages y paraissent toujours aussi convaincus de la légitimité que l’identité juive leur confère pour se réapproprier un passé douloureux. Sauf que ce devoir de mémoire emprunte ici une fois de plus des chemins pernicieux pour aboutir à une conclusion à l’éclat dramatique presque contre-productif. Les grandes injustices de l’Histoire ne mènent ainsi point aux grandes effusions sentimentales dans le cinéma de Margarethe von Trotta. Celle-ci procède davantage à ramener les stéréotypes des monstres nazis et des résistants courageux à un niveau personnel et intimiste, dans une habile peinture au dégradé de gris qui relativise précisément les faits là où le cinéma hollywoodien balayerait toute subtilité par un héroïsme sans borne.
L’intelligence et la probité morale de cette démarche réservée deviennent particulièrement évidentes lors des cris isolés des femmes qui attendent des nouvelles de leurs maris internés dans la Rosenstrasse, ainsi que lors du premier dénouement heureux, infiniment plus convaincant que l’épilogue plutôt bâclé dans son empressement de réconcilier Ruth avec son passé lourd de souvenirs ambigus. Les personnages féminins au cœur de Rosenstrasse ne sont pas pour autant sans reproche dans leur quête d’une vérité qui leur permettrait de survivre dans des circonstances difficiles. Au fil d’un récit qui jongle adroitement avec plusieurs niveaux temporels, une stratégie de l’adaptation à un environnement hostile devient même apparente, comme si la dissimulation des véritables intentions était la seule façon d’arriver à ses fins. L’enquête sous un faux prétexte de Hannah, qui s’introduit chez la vieille dame en se faisant passer pour une chercheuse, relève ainsi de la même catégorie de subterfuge que le déguisement en baronne de Lena Fischer, en dernier recours auprès du ministre Goebbels. Au bout d’une longue série de requêtes infructueuses auprès des différentes instances des institutions nazies, cette dernière séquence souligne d’ailleurs à quel point l’individu est impuissant face au système, ou pour être exact face aux lubies du pouvoir tombé entre de mauvaises mains.
Il y a neuf ans, le style filmique de Margarethe von Trotta a déjà dû paraître un brin anachronique, voire vieillot. Ce qui manque à son esthétique en termes de modernité et d’énergie narrative, sa mise en scène le rattrape amplement par un propos fortement nuancé et nullement manichéen. Toujours aussi peu intéressée par les réponses sans équivoque, la réalisatrice sait s’abandonner corps et âme à la complexité de la nature humaine, en privilégiant sans le moindre militantisme un point de vue féminin, hélas trop rarement adopté par la réécriture de l’Histoire que le cinéma se plaît d’entreprendre depuis ses débuts.

Vu le 22 mai 2013, au Reflet Médicis, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu: