
Titre original: | Grande bellezza (La) |
Réalisateur: | Paolo Sorrentino |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 141 minutes |
Date: | 22 mai 2013 |
Note: | |
Jep Gambardella n’a écrit qu’un seul livre, « L’Appareil humain », une erreur de jeunesse qui ne lui était d’aucune utilité pour devenir le roi des soirées romaines. Désormais sexagénaire et un journaliste respecté, Jep vit toujours au rythme des fêtes mondaines et des installations artistiques, organisées exclusivement pour divertir la haute société italienne. Il pourrait encore prendre pendant longtemps ce train de vie joyeux et superficiel, qui ne va pourtant nulle part, si ce n’était pour l’annonce de la disparition de son premier amour, qui avait épousé un autre trente ans plus tôt. Dès lors, le regard de Jep sur son existence extravagante change, sans s’assagir pour autant.
Critique de Tootpadu
Federico Fellini est mort depuis près de vingt ans. L’influence de son œuvre perdure cependant, ne serait-ce que pour démontrer que le style du maestro du cinéma italien est inimitable. Peu importe l’histoire d’appréciation inégale que nous entretenons avec un chef-d’œuvre comme La Dolce vita, celui-ci condense magistralement les qualités du cinéma selon Fellini, tout en étant représentatif d’une époque particulière de l’Histoire italienne. Toute tentative de le transposer et de l’actualiser sommairement équivaut à un sacrilège barbare, même de la part d’un réalisateur aussi visionnaire que Paolo Sorrentino. Car derrière ses faux airs de règlement de compte avec la période berlusconienne, La Grande bellezza est un pastiche boursouflé de l’univers de Fellini, pas sans intérêt mais pas non plus habité par la même virtuosité que les meilleurs films du réalisateur de Huit et demi.
Le point de départ de cette descente aux enfers du narcissisme à la romaine diffère sensiblement de celui de La Dolce vita, alors que l’ambition morale et sociale des deux films peut paraître similaire. Tandis que la profession de Marcello, le journaliste populaire, l’autorise à prendre ses distances par rapport aux aberrations dont il devient le témoin dans les recoins de la Via Veneto, Jep, lui aussi un homme de lettres mais de ceux qui font partie intégrante du consensus de l’intelligentsia, ne peut se permettre pareil détachement. En devenant le centre de l’attention des cercles mondains, il a dû abandonner le rôle de l’observateur critique, au profit de l’emploi guère plus enviable de la bête de foire, scrutée et convoitée par les esclaves volontaires de l’équivalent italien du « bling-bling ». Du coup, la narration se tient ici sur des pieds d’argile, avançant d’un pas chancelant vers la mise en question de ce qu’elle est censée personnifier en même temps. De ce dilemme naît une absence de fond, voire une vacuité de propos, qui écarte définitivement ce film de la liste des meilleures satires iconoclastes.
La bravoure visuelle, parfois excessive, et une multitude de sujets ne suffisent en effet pas pour rendre le ton du récit réellement mordant. Les piques contre la mise en scène absurde de l’art, le commerce de la beauté physique où le chirurgien est traité comme un messie, ou bien l’église catholique et sa capitulation devant les interrogations spirituelles pour mieux se reconvertir dans les conseils culinaires et l’exploitation d’une vieille grotesque directement inspirée de Mère Teresa, elles sont toutes prédestinées à rater leur cible, à cause de l’état d’esprit irrésolu du protagoniste, et par répercussion celui de la mise en scène de Paolo Sorrentino. Le sixième film de ce dernier aspire donc à la complexité artistique et narrative d’un Fellini, sans réaliser qu’il faudra une approche plus moderne et surtout moins baroque, afin d’instruire un procès d’intention à la philosophie de notre présent, dépourvue du moindre trait d’humanité mais frénétiquement dévouée au culte de l’apparence, au choix sordide ou respectable.
Vu le 22 mai 2013, au Louxor, Salle 1, en VO
Note de Tootpadu: