Premier homme (Le)

Premier homme (Le)
Titre original:Premier homme (Le)
Réalisateur:Gianni Amelio
Sortie:Cinéma
Durée:105 minutes
Date:27 mars 2013
Note:
En août 1957, l’écrivain Jacques Cormery revient à Alger sur invitation des étudiants de son ancienne université. Alors que le pays se précipite dans une guerre civile sanglante, l’auteur y soutient le compromis d’une indépendance graduelle et paisible. Il profite de son séjour pour rendre visite à sa mère et pour se souvenir de son enfance, marquée par une pauvreté extrême dans le quartier populaire de Belcourt. Orphelin de son père, qui était mort à la guerre, et élevé par sa mère et sa grand-mère analphabètes, le petit Jacques ne devait sa réussite scolaire trente ans plus tôt qu’à son maître d’école, M. Bernard.

Critique de Tootpadu

Albert Camus, Jacques Gamblin, Denis Podalydès sociétaire de la Comédie-Française, et un conflit qui a causé un lourd traumatisme à la mémoire nationale : il y a une pléthore d’éléments typiquement français dans ce très beau film. Et pourtant, il distille principalement une sensibilité méditerranéenne et plus précisément italienne, grâce à la contribution décisive de son réalisateur. Gianni Amelio nous revient en effet en grande forme avec cette œuvre qui renoue avec le cinéma italien de la vieille école, certes, mais imbu d’une authenticité que des réalisateurs récemment moins inspirés, tel Giuseppe Tornatore, ont cherché en vain à ranimer. Ici, l’approche est littéraire et académique, tout en laissant une place de choix à l’expression d’une humanité, qui ne peut que nous subjuguer par sa simplicité.
Le personnage clef du Premier homme, une version à peine romancée de la vie de l’auteur de « L’Etranger », n’est qu’un piètre agitateur, un enfant, puis un adulte cérébral qui ne gagne ses lettres de noblesse qu’en raison des gens qui l’entourent. En dépit de sa disposition intellectuelle, Jacques Cormery mène une existence aux valeurs universelles et aux épreuves tout à fait concrètes. Sa situation familiale, estropiée par l’absence du père qui est amplement remplacé par cette figure magnifique de la grand-mère, aussi autoritaire qu’attachante, l’aurait sans doute prédestiné à un avenir plus modeste. Or, l’intrigue se préoccupe le moins possible de son ascension sociale sous forme de propos édifiants. Le récit s’articule davantage à travers ces moments de la vie en apparence anodins, qui par leur somme constituent une expérience personnelle enrichissante. Sans verser dans l’héroïsme pittoresque ou la nostalgie sentimentale, la narration dresse un monument filmique, à la beauté saisissante, avec comme fondement une époque révolue à jamais, sur les qualités et les erreurs de laquelle se base néanmoins la nôtre. Le motif du passage du temps y est omniprésent. Par conséquent, la leçon que l’on peut tirer du double périple du protagoniste se résumerait à la reconnaissance de son impuissance face aux circonstances extérieures : sa grande pauvreté dans le système colonial encroûté des années 1920, et les deux fronts extrémistes de la guerre d’indépendance trente ans plus tard.
Malgré cet aveu indirect de faiblesse, l’indifférence à la Meursault ne caractérise nullement l’état d’esprit du personnage principal. Il a beau ne pas accomplir grand-chose – en dehors d’une reconnaissance littéraire qui ne trouve évidemment aucun écho dans sa famille d’illettrés –, son retour dans le pays qui n’est déjà plus celui de son enfance lui permet de se souvenir d’une façon lucide qui il est réellement. Ce ressenti sublime des origines passe, nous l’avons déjà signalé, par quelques souvenirs indélébiles, d’autant plus frappants que les images choisies pour les illustrer sont d’une pureté esthétique quasiment infaillible. Que ce soit la grand-mère qui fouille dans les latrines pour y retrouver une pièce et qui, plus tard, ne comprend rien aux films muets faute de pouvoir suivre correctement les intertitres, ou bien cette amitié de pacotille entre Jacques et un de ses rares camarades de classe autochtones, qui en dit long sur la difficulté d’une compréhension profonde entre les deux cultures, tout en célébrant le respect envers l’honneur de l’autre : il existe de nombreuses occasions pour se sentir conquis par l’intelligence et le cœur de cette évocation biographique, empreinte d’une mélancolie qui nous donne des ailes par sa sagesse. Au lieu de nous laisser abattre moralement, parce qu’une vie si simple et magnanime que celle de Jacques Cormery ne paraît plus envisageable à l’heure actuelle, où la sophistication inutile des échanges fait sa loi, nous préférons nous délecter de l’exquise honnêteté dans le fond et la forme de ce bel hommage à l’humaniste larvé qu’était Albert Camus.

Vu le 14 mars 2013, à la Salle Pathé Lincoln

Note de Tootpadu: