Sugar man

Sugar man
Titre original:Sugar man
Réalisateur:Malik Bendjelloul
Sortie:Cinéma
Durée:86 minutes
Date:26 décembre 2012
Note:
Au début des années 1970, le chanteur Sixto Rodriguez enregistre deux albums, « Cold Fact » et « Coming From Reality ». Salués par la critique qui y reconnaît un regard sans fard sur la vie misérable à Detroit, ils ne se vendent point et l’artiste ne fait plus parler de lui. En même temps en Afrique du Sud, sa musique devient le symbole de la résistance contre le régime de l’apartheid, alors à son apogée. Bien que Rodriguez fasse partie de la culture populaire sud-africaine au même titre que les Beatles, personne ne sait grand-chose sur lui, quelques légendes urbaines sur son suicide en plein concert mises à part. En 1996, lors de la réédition de ses chansons en Afrique du Sud, des fans inconditionnels se mettent à la recherche des traces de ce grand inconnu de la musique contestataire des années ’70.

Critique de Tootpadu

Nous nous laissons volontiers berner par la démarche du réalisateur Malik Bendjelloul, dont le documentaire emprunte la voie de l’enquête sur un sujet mystérieux. Un peu comme dans Forgotten Silver de Peter Jackson et Costa Botes, il n’est d’abord pas sûr à quel point le mythe de Rodriguez est crédible, tant l’histoire de cet artiste maudit est entourée de légendes, faute de preuves tangibles sur son parcours avorté précocement. Pendant la première moitié de Sugar man, seule la musique hautement poétique et envoûtante nous rassure sur l’existence de cet artiste hors pair, en guise de vestige d’un destin détruit avant l’heure par l’échec et le manque de reconnaissance. Ecrite à une époque pas si différente de la nôtre, où la misère économique était omniprésente et la classe politique amplement discréditée, elle résonne avec une force lyrique qui justifierait à elle seule notre adhésion à cet hommage sous forme de thriller à mi-chemin entre la réalité et la fiction.
Or, ce n’est qu’au bout de trois quarts d’heure que la narration lâche le morceau, cette immense surprise qui manquera son effet auprès des spectateurs familiers de l’histoire de Rodriguez. Tandis que cette révélation nous fait pencher initialement en faveur du vieux dicton de L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, selon lequel il vaut mieux croire en la légende et la perpétuer si les faits sont moins alléchants, petit à petit, elle nous dévoile la véritable ampleur existentielle de ce documentaire remarquable. C’est alors la vie, dans ce qu’elle a de plus dur et injuste, qui prend le dessus sur l’art, même si dans ce cas particulier une sorte de fin heureuse et de reconnaissance tardive aide à faire passer la pilule. Au lieu d’être une énième tragédie sur l’effet dévastateur de la célébrité ou sur la privation de celle-ci, le parcours de Rodriguez s’apparente contre toute attente à un conte alternatif, aux valeurs réelles et au degré de quiétude suprême qui ne dépend nullement de la richesse matérielle.
En somme, Sixto Rodriguez, cet artiste torturé et malchanceux, est notre nouveau héros, grâce à sa faculté de ne pas se laisser ébranler dans ses convictions ni par une carrière prématurément étouffée, ni par une gloire arrivée sur le tard. Le voir enfin recevoir la reconnaissance qu’il méritait depuis longtemps compte pour nous parmi les plus belles expériences cinématographiques de ce genre, au même niveau que les retrouvailles des vieux musiciens des Funk Brothers dans Motown La Véritable histoire de Paul Justman !

Vu le 2 janvier 2013, au Saint-Germain-des-Près, en VO

Note de Tootpadu: