Side by side

Side by side
Titre original:Side by side
Réalisateur:Christopher Kenneally
Sortie:Cinéma
Durée:103 minutes
Date:00 2012
Note:
Depuis la naissance du cinéma à la fin du 19ème siècle, son Histoire s’était toujours écrite sur pellicule. Avec l’avènement de l’ère numérique cent ans plus tard, le rapport à l’image change de fond en comble. Alors que les chefs-opérateurs étaient auparavant les maîtres des prises sur le tournage, puisqu’ils savaient avant tout le monde ce que les rushes allaient donner au lendemain, désormais le processus s’est démocratisé. Grâce à un matériel de plus en plus performant et abordable, tout le monde peut en théorie faire du cinéma. Quel avenir alors pour une forme de divertissement artistique, dont l’accès n’est plus réservé à quelques heureux élus, mais dont l’archivage sous support numérique pose également problème ?

Critique de Tootpadu

Pratiquement vingt-quatre heures après avoir rouspété contre la reddition au « tout numérique » dans le contexte du dernier Tsui Hark, nous voici face à un documentaire qui propose un tour d’horizon à l’exhaustivité impressionnante sur le sujet de la révolution numérique. Keanu Reeves était sans doute le guide le plus improbable pour nous rappeler les enjeux majeurs de ce bouleversement technique aux multiples conséquences artistiques. Contre toute attente, il s’acquitte pourtant de cette tâche ardue avec une sobriété et un niveau d’érudition qui forcent le respect. Au-delà de l’admiration pour tous les magiciens de l’image qui prennent la parole au fil du documentaire, Side by side provoque chez nous une piqûre de rappel fort salutaire de notre passion pour le cinéma, peu importe le support sur lequel il est enregistré.
L’aspect le plus appréciable de la mise en scène de Christopher Kenneally est l’absence d’un parti pris idéologique. Les faits de l’évolution parlent certes pour eux-mêmes, mais il aurait été très facile d’adopter un point de vue soit tristement nostalgique, soit progressiste avec une ferveur de zélateur. Il n’en est strictement rien ici, puisque ce documentaire exemplaire sait contourner aisément les pièges inhérents à un sujet aux volets si variés. Le propos du film est ainsi exempt à la fois de la mise en valeur excessive du précurseur George Lucas, de rigueur dans nombre de documentaires semblables qui le célèbrent comme le pape incontournable du cinéma de ces quarante dernières années, et d’une incursion trop pointue dans le domaine purement technique des différentes caméras et autres procédés de captation de l’image.
Loin de manier la langue de bois ou un vocabulaire réservé aux férus du côté obscur – pour le grand public – de la production cinématographique, les interventions de Keanu Reeves trouvent un parfait équilibre pour motiver ses interlocuteurs tour à tour à lâcher des anecdotes ou des considérations plus approfondies sur cette nouvelle donne à laquelle tout le monde devra s’adapter tôt ou tard. Tandis que Michael Chapman frime avec la taille de l’écran de sa télé, que Joel Schumacher déplore l’ingérence des comédiens pour voir si leur coiffure passe bien à l’écran, et que Lorenzo Di Bonaventura, responsable de films à la qualité aussi discutable que la saga Transformers, revendique sérieusement que le pouvoir créatif devrait revenir aux producteurs, la plupart des autres professionnels du cinéma sont amplement conscients des implications directes ou indirectes de cette révolution qui chambarde notre rapport à l’image depuis une dizaine d’années.
La co-existence des deux discours dominants face à ce changement, celui de Christopher Nolan en figure de proue de l’attachement à l’argentique d’un côté, et de David Fincher, James Cameron, George Lucas, Robert Rodriguez, Steven Soderbergh, Danny Boyle, David Lynch et tant d’autres en ardents défenseurs du progrès numérique de l’autre, ne doit être comprise ni comme une cacophonie d’avis, ni en tant qu’absence de direction de la part d’un documentaire qui souhaite avant tout informer. En tenant compte des facettes multiples d’une révolution, qui est en marche de façon irréversible au plus tard depuis que les spectateurs ont pu goûter aux délices d’une bonne projection numérique en salle, et qui s’inscrit principalement dans le souffle plus ancien de l’Histoire du cinéma, il réussit au contraire à adresser de manière quasiment définitive tous les points qui nous avaient toujours interpellés à ce sujet.

Vu le 19 novembre 2012, au Paramount Opéra, Salle 2, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Noodles

Si le canadien Keanu Reeves a su accéder à la célébrité en tant qu'acteur à travers des films à succès comme Point Break (1991), Speed (1994) et surtout Matrix (1999), sa carrière cinématographique semble prendre un tout autre tournant depuis peu. En effet, il s'est récemment lancé dans la réalisation avec son premier long-métrage Man of Tai Chi (2013), et a également joué le rôle de producteur pour le documentaire Side by side dont il est à l'initiative. Présent derrière comme devant la caméra, c'est lui qui mène l'enquête et nous accompagne au fil d'une série d'interviews avec la plupart des réalisateurs et chefs opérateurs les plus influents actuellement, gratifiant le film d'interventions toujours pertinentes.

Si les quelques explications scientifiques appuyées par des schémas qui sont censées éclairer le grand public à propos du fonctionnement de l'argentique et de la technologie numérique paraissent assez peu utiles, Side by Side se consacre heureusement presque entièrement aux propos livrés par les artisans du cinéma actuel. Très vite, on comprend que les avis à propos de cette révolution numérique et de la possible disparition de l'argentique sont plus que partagés. D'un côté, ceux qui prônent le progrès technologique à tout prix, à l'image d'un George Lucas qui en a pratiquement fait son cheval de bataille. De l'autre, les amoureux de la pellicule comme Christopher Nolan, ou d'autres encore plus extrêmes qui ne voient en ces changements que la mort proche du « véritable » cinéma.

L'une des principales qualités du film de Christopher Kenneally est le refus absolu de prendre parti dans ce débat en privilégiant l'une ou l'autre des deux positions. On est donc séduit par la grande diversité de points de vue qui s'expriment ici, laissant au spectateur le choix total de se faire sa propre opinion quant au thème traité. Il est toujours fascinant de voir les grands réalisateurs actuels nous parler de cinéma, et c'est donc un plaisir de voir s'exprimer David Lynch, Martin Scorsese, Christopher Nolan, Lars Von Trier et tant d'autres dans un même film.

Toutefois, Side by Side ne saurait se limiter à un simple enchainement de propos recueillis sans aucune véritable ligne directrice. L'idée ici et de comprendre l'impact que peut avoir cette évolution technologique qui opère dans l'industrie cinématographique, et cela à chaque étape de la réalisation d'un film, du tournage à la projection en salles. La parole n'est donc pas uniquement accordée aux réalisateurs, dans ce documentaire qui insiste tour à tour sur les domaines du montage, des effets spéciaux, de l'étalonnage, ou encore de la conservation.

Ce tour d'horizon plus qu'exhaustif passionnera sans aucun doute ceux qui s'intéressent de près où de loin à la conception des films, et sa dimension grandement pédagogique ne manquera pas de séduire le public peu intéressé par l'aspect technique du cinéma. Si Side by Side est une réflexion des plus intelligentes qui nous amène à nous poser de multiples questions sur l'avenir du septième art, espérons au moins que ce dernier ne ressemble pas aux prévisions futuristes peu reluisantes annoncées par les Wachowski.

 

Vu le 15 Juin 2014 à l'occasion du Champs-Elysées Film Festival, au Publicis Cinémas, en VO.

Note de Noodles:

Critique de Mulder

Tootpadu avait pu découvrir cet excellent film documentaire en projection de presse en novembre 2012. Cette séance de rattrapage lors du Champs-Elysées Film Festival que nous avons couvert Noodles et moi a été précédée d’une très courte interview de Keanu Reeves et d’une excellente master class (sûrement une des plus intéressantes suivies après celle de Steven Spielberg et Francis Ford Coppola). 

Ce documentaire écrit et réalisé par Christopher Kenneally et co-produit  et présenté par Keanu Reeves devrait être présenté dans les écoles de cinéma car non seulement il revisite l’histoire du cinéma en nous racontant son évolution technologique mais surtout donne la parole aux plus grands réalisateurs actuels. La liste des réalisateurs figurant dans ce documentaire est plutôt longue et parfaitement choisie pour illustrer de l’évolution positive ou négative du support pellicule au numérique : Christopher Nolan, George Lucas, David Fincher, Martin Scorsese, Steven Soderbergh, James Cameron, Greta Gerwig, Lena Dunham, Danny Boyle..

Le but d’un excellent documentaire est de présenter clairement sans se perdre dans les propos recueillis sur une thématique précise. Keanu Reeves interview ainsi les plus grands réalisateurs actuels anglais et américains afin de mieux cerner leur position sur ce débat polémique. Le documentaire n’oublie pas non plus de nous expliquer comment se créée une image sur une pellicule et comment l’évolution des caméras et la manière de tourner un film, à amener certains réalisateurs à défendre ou non l’un des deux formats actuels. Le réalisateur a su investiguer suffisamment en profondeur pour savoir qui furent les premiers dans les années 70 à utiliser le format digital notamment au Danemark les partisans du dogme 95 signé par Thomas Vinterberg, Lars von Trier et d’autres réalisateurs. Les premiers plans tournés en digital furent très mal accueillis notamment  à cause de l’image de moindre qualité. Cette baisse de qualité était due aux premières caméras.

Si on s’en tient aux propos recueillis par Keanu Reeves, les nouvelles caméras digitales ont permis de réviser complètement la manière de tourner un film, de visionner les rushs. Si on s’en tient aux propos de George Lucas, expert en matière de nouvelles technologies, le format pellicule est une invention du 19ème siècle et il serait néfaste d‘ignorer ce nouveau format. Il en est de même pour Robert Rodriguez. Mais c’est sûrement la position du comédien Robert Downey Jr qui explique que le nouveau format digital est mauvais car cela ne lui laisse plus le temps pour aller uriner !

Dommage que le film n’aborde pas la thématique des nouvelles caméras 3D et des projections en digital ni ne traite du format 48FPS HR. Pourtant, ce documentaire d’une très grande richesse doit absolument être découvert en urgence si  possible dans une salle de cinéma, le cas échéant en blu-ray.

Vu le 15 juin 2014  au Publicis Cinémas, Salle 1, en VO

Note de Mulder: