Skyfall

Skyfall
Titre original:Skyfall
Réalisateur:Sam Mendes
Sortie:Cinéma
Durée:143 minutes
Date:26 octobre 2012
Note:
Après une mission qui a mal tourné en Turquie, James Bond se fait oublier un certain temps par les services secrets britanniques. Il reprend le service quand le MI6 est la cible d’attaques virtuelles, qui mettent son fonctionnement en péril. Une liste d’agents infiltrés a été volée et le voleur menace de la publier. Dès lors surveillée étroitement par la classe politique et visée directement par cet adversaire inconnu redoutable, M compte sur son agent le plus éprouvé pour sauver l’honneur de l’agence nationale.

Critique de Tootpadu

On pourrait croire que James Bond commence à se faire vieux : une bonne vingtaine d’aventures au compteur au fil d’un demi-siècle, cela laisse forcément des traces. Dans notre époque qui idolâtre plus que jamais le progrès dans le domaine dématérialisé, cette saga vénérable, venue d’un temps lointain où la libération des mœurs de Mai ’68 se pointait timidement à l’horizon, avec ses gadgets, sa violence très physique, et sa répartition des rôles malgré tout traditionnelle risque de faire tache. Les producteurs de cet univers immédiatement reconnaissable sont bien sûr conscients de l’obligation d’adapter chacun des films aux préoccupations à la mode en l’année de leur sortie, tout en préservant la tradition de James Bond dans tout ce qu’elle a de plus prestigieux.
Dans un tel contexte, le troisième film avec Daniel Craig dans le rôle légendaire est peut-être ce que nous avons vu de plus sophistiqué du côté de chez 007 depuis très longtemps ! Sans vouloir dénigrer le travail d’artisans honnêtes comme Roger Spottiswoode, Michael Apted, Lee Tamahori, et Marc Forster, et encore moins celui de l’homme qui a su réinventer le monde de Bond à deux reprises, Martin Campbell, le choix de Sam Mendes pour orchestrer les nouvelles aventures de l’agent le plus célèbre de la planète y apporte un cachet qui se ressent presque à chaque plan de Skyfall. Finies les scènes d’action tonitruantes qui avaient parfois été le seul point d’attrait de ces films, on peut désormais souhaiter la bienvenue à un Bond plus mûr, qui entame lentement la descente vers le crépuscule qui précède à chaque changement d’acteur. Sauf que pour un chant de cygne prématuré, ce film-ci fait preuve d’une vigueur et d’une élégance jamais prises en défaut.
Au fil des passages obligés que chaque spectateur attend désormais quand il va voir un film de James Bond, comme le générique stylisé ou le sort éphémère de la « Bond girl », le récit anime un jeu sophistiqué du chat et de la souris, en termes de pertinence de ce vieux routard de l’ombre dans un monde virtuel qui risque de lui échapper à chaque instant. Avec l’humour dérisoire habituel, le scénario y interroge une fois de plus les failles dans la carapace de cet idéal d’un homme, qui sait parfaitement se battre à l’ancienne, mais dont le pas de course déterminé et la maîtrise des armes sont de plus en plus supplantés par des stratagèmes machiavéliques conçus devant un écran d’ordinateur. Ce dilemme est au cœur de l’intrigue, heureusement sans que la perte des moyens pour riposter ne se traduise par une résignation nostalgique. Bien au contraire, en dépit de tous les signes d’une décrépitude prochaine, James Bond est amplement à la hauteur des exigences physiques et mentales de cette mission, qui l’amène comme d’habitude aux quatre coins du monde.
Même dans le choix de ces décors plus si exotiques que cela, le film reste fidèle à son état d’esprit très lucide, qui reconnaît sans la moindre gêne que l’univers vit autant du recyclage des formules éprouvées que de petites touches qui rendent chaque film – ou en tout cas les meilleurs d’entre eux – unique. Grâce à des prestations techniques sans faille, puisque Stuart Baird assure une fois de plus un montage sans fioriture et que Roger Deakins photographie pour la première fois James Bond avec son expertise habituelle, et à la mise en scène raffinée de Sam Mendes, ce Bond-ci est sans aucun doute un grand cru. Il fonctionne parfaitement en tant que reflet moins impétueux et donc plus réfléchi de la découverte de Daniel Craig dans le rôle il y a six ans, comme s’il s’agissait de la pièce maîtresse pour clore le passage sous forme de trilogie de l’acteur dans cet emploi au prestige indémodable.
Nous le retrouverons a priori dans deux autres films, mais il sera difficile, quoique pas impossible, d’atteindre le même niveau d’élégance et d’ironie feutrée que dans ce film d’action intelligent !

Vu le 15 octobre 2012, à l’UGC Normandie, Salle 1, en VO

Note de Tootpadu:

Critique de Mulder

« Skyfall is where we start
A thousand miles and poles apart
Where worlds collide and days are dark
You may have my number, You can take my name
But you'll never have my heart »

Skyfall – Adele – 2012

Le plus connu des agents secrets britanniques fait son retour par la grande porte, après un décevant Quantum of solace, la quasi suite directe du pourtant excellent Casino Royale. Cinquante ans séparent ses premières aventures à l’écran (James Bond contre Dr No) de ce nouvel opus. Cinquante années durant lesquelles l’agent 007 a été interprété par pas moins de sept comédiens. Après une période témoignant de signes d’essoufflement importants entre 1983 et 1987, où la formule appliquée assez efficacement ne relevait aucune surprise et innovation notable (Tuer n’est pas jouer reste l’un des meilleurs épisodes), c’est surtout grâce à Martin Campbell que le cœur de l’agent 007 a pu rebattre de nouveau. Goldeneye et Casino Royale étaient à ce jour les deux meilleurs opus de la série. Le premier fit de Pierce Brosnan un acteur mondialement connu et il a permis à la saga de culminer à plus de 4 millions d’entrées en France, avec sa dernière interprétation dans Meurs un autre jour. Le second redéfinissait totalement le personnage de James Bond en le réinventant en agent de terrain, plus aussi présentable qu’il le fut dans le passé. Casino Royale n'a connu non seulement un succès public et critique, mais il a surtout permis de remettre sur de bons rails une saga qui commençait à s’épuiser. Cependant, Quantum of Solace fut une semi-déception, étant donné qu’il ne faisait que prolonger Casino Royale et manquait cruellement de nouveaux arguments. La MGM rencontrant des difficultés financières importantes, il a fallu donc attendre plus de quatre années pour enfin découvrir la nouvelle aventure de l’agent Bond.

La première chose qui surprendra le public dans ce nouvel opus est le changement de ton. Après un départ classique avec une spectaculaire course poursuite superbement orchestrée dans les souks en Turquie et un générique traditionnel avec la voix parfaite pour le film de Adele, nous retrouvons un nouveau Bond, plus fragile et plus humain. Sam Mendes apporte un regard neuf sur cet agent et en fait un agent usé et cassé par ses nombreuses missions. Ce film rappelle par de nombreux points communs le film de Irvin Kershner Jamais plus jamais à notre mémoire. L’approche des trois scénaristes de cet opus s’inscrit donc parfaitement dans le cinquantième anniversaire rendu à cet espion britannique. Le film rend hommage au vieux temps, où les gadgets pullulaient pour pallier l’inconsistance du scénario. Dans ce film, hormis un bipeur pour signaler la localisation et un pistolet à empreinte, guère de gadgets à signaler. Pourtant la réintroduction du personnage de Q semble bien indiquer que la suite des aventures de James Bond retrouvera un chemin banalisé, mais qui ne sera plus le même. Autre temps, autres mœurs, comme le montre si bien ce film. L’introduction des personnages de Eve et de Gareth Mallory dans ce film va dans le même sens et nous risquons de retrouver ces trois nouveaux personnages dans les films à venir (je n’en dirai pas plus).

La seconde chose qui surprend dans l’univers réinventé de James Bond dans ce film est le fait de vouloir l'ancrer dans notre temps et surtout de faire en sorte que les scènes d’action soient très réalistes. On pourra dans ce sens reconnaître que les scénaristes s’appuient énormément sur la vision de Tony Gilroy et le travail de Paul Greengrass pour rendre ce film d’espionnage contemporain. Les scènes de combat ne sont là que pour agrémenter l’histoire et non pour remplir une mission de divertissement. De la même manière, on sent tout le long du film une vision guère optimiste de notre monde. Comme l’a si bien montré l’excellent Christopher Nolan dans The Dark knight et surtout The Dark Knight rises, le héros malgré ses blessures et le fait qu’il n’a plus la force et la jeunesse de naguère doit continuer à se battre pour ses idéaux au détriment de sa santé. Skyfall est ainsi le plus noir des James Bond et le choix de la photographie de certaines scènes renforce cette idée. Skyfall n’est donc pas un simple nouvel opus, mais une reconstruction en profondeur d’un des personnages les plus intéressants du cinéma. Il permet de découvrir enfin les origines de James Bond, du monde où il a grandi, de son traumatisme qui en a fait ce qu’il est actuellement. Le film renforce de la plus belle des manières le lien « familial » entretenu entre M et 007.

De plus, les scénaristes ont très bien saisi que plus le méchant est réussi (comme le fut le Joker et Double Face dans The Dark Knight), plus le film ne peut qu'être réussi. Dire que Javier Bardem est excellent dans le rôle de Raoul Silva, un ancien agent abandonné par ses supérieurs est peu dire. Son personnage semble être l’équivalant d’un Harvey Dent qui a mal tourné et qui a décidé de faire ses propres choix et de recréer le monde à son image. Les scènes d’affrontement physique et verbal entre 007 et lui sont des plus efficaces et font de ce film l’un des événements marquants de cette année 2012. Ces deux personnages semblent être tel Abel et Caïn, construits dans le même moule, mais qui ont eu une destinée différente. Contrairement à Quantum of Solace, Skyfall réussit donc à instaurer un nouveau despote, un agent destructeur dans un monde ébranlé économiquement et politiquement.

Nous sommes loin des premiers James Bond, certes sympathique à regarder, mais manquant cruellement de profondeur. Sam Mendes réussit par ses choix de mise en scène à faire de son film l’un des meilleurs (voire le meilleur) de la saga. Son approche est différente, mais elle montre bien que malgré certains risques pris, le pari de montrer au public un nouveau visage de 007 est un pari gagné. Non seulement, Skyfall redéfinit James Bond, mais il ouvre le chemin vers une saga plus adulte, plus réaliste, qui ne cherche pas forcément à plaire à tous.

Quant à la tradition de montrer de beaux paysages en toile de fond, ce film risque d’en décevoir certains, car la majorité de l’action se passe en Angleterre et tranche bien avec les autres épisodes. Hormis un début en Turquie et une escapade à Macao (clin d’œil à L'Homme au pistolet d’or ?), le fait de placer l’action principalement en Angleterre est une excellente idée en soi, car elle permet de mieux définir les liens entre les différents personnages.

Ce film évènement incontournable du mois d’octobre est une réussite à rajouter non seulement à l’interprétation solide de Daniel Craig, mais surtout au réalisateur Sam Mendes.

Vu le 15 octobre 2012, à l'UGC Normandie, Salle 1, en VO

Note de Mulder: