We and the I (The)

We and the I (The)
Titre original:We and the I (The)
Réalisateur:Michel Gondry
Sortie:Cinéma
Durée:104 minutes
Date:12 septembre 2012
Note:
C’est le dernier jour de l’année scolaire d’un lycée dans le Bronx. A la fin des cours, les élèves prennent le bus de ligne BX 66 qui les ramène chez eux. Au fil d’un long voyage à travers un décor urbain de plus en plus brut, les adolescents interagissent entre eux. Il y a les tyrans, Michael et sa bande, qui squattent l’arrière du bus et qui y font la loi ; les filles comme Laidychen qui ne sait pas quel garçon inviter à la fête d’anniversaire de ses seize ans ; et puis, ceux et celles qui n’appartiennent à aucun groupe majoritaire, les artistes, les geeks et les homos, qui vivent plus ou moins bien ce dernier voyage avant les vacances d’été.

Critique de Tootpadu

Même si nous nous sentons encore jeunes dans la tête, il faut se rendre à l’évidence que nous avons entamé depuis de longues années déjà le stade transitoire de l’âge adulte, qui précède au déclin physique et mental de la vieillesse. Par conséquent, nous ne nous sentons plus tellement en phase avec la génération réellement jeune, ces adolescents et autres gamins pour qui des événements marquants de notre vécu comme la chute du mur de Berlin ou le 11 septembre appartiennent à l’Histoire transmise indirectement. Simultanément, il fait bon être démodé, c’est-à-dire de savoir vivre sans être collé en permanence devant un écran et de ne pas envisager les rapports humains uniquement lorsqu’ils sont filtrés par un réseau social. En somme, la jeunesse d’aujourd’hui ne nous inspire pas vraiment confiance. Elle nous indiffère plutôt, si elle ne nous agace pas par son côté bruyant et immature.
D’où notre appréhension de nous retrouver enfermés dans un bus pendant près de deux heures, par écran interposé, avec un échantillon de ce que de mauvaises langues appelleraient la « racaille » américaine. Et effectivement, le microcosme d’une vie aussi exubérante que crue que Michel Gondry filme dans son retour au cinéma indépendant, après avoir une fois de plus flirté avec celui des studios dans The Green hornet, n’a rien d’édifiant ou de séduisant. Il réussit quelque chose d’infiniment plus difficile à achever et de beau à voir : un huis-clos passionnant dans lequel des destins humains s’entrechoquent parfois violemment, parfois avec une douceur timide, sans que cette collection fascinante de tranches de vie ne quitte jamais le contexte d’une banalité assumée.
La nostalgie de la fin d’une époque n’est pas plus de rigueur dans The We and the I que l’anticipation festive de la saison longue et sèche. Les personnages se comportent au contraire comme s’il s’agissait d’un retour à la maison comme les autres, répétant les mêmes schémas de pouvoir – dont ils abusent ou qu’ils subissent – qui ont dû rendre délicat pour nombre d’entre eux ce trajet en transport en commun, effectué tous les jours de la même façon. En tant qu’observateur passif de leurs agissements dictés par une incivilité verbale, voire physique, on aurait presque tendance à s’identifier avec les autres passagers, dont les plus malins ont le bon réflexe de fuir dès que la foule de filles et garçons pubères pénètre dans le bus. Grâce au regard dépourvu de jugement que le réalisateur porte sur ces jeunes de notre temps et d’une culture à peu près comparable à la nôtre, nous sommes cependant fascinés par la toile sociale qui se tisse à l’intérieur du véhicule, au fur et à mesure des arrêts et des révélations plus ou moins compromettantes pour ces adultes en devenir.
Sans rien enjoliver, ce film poignant réussit à montrer un édifice social dans toute son ambiguïté. La forme plutôt discrète, et en tout cas suffisamment détendue pour ne pas tomber dans un prêche sur ces pauvres ados en proie à tant de haine et de pression du groupe, lui évite de forcer le trait. Elle contribue davantage à laisser s’épanouir un récit profondément humain, tour à tour révoltant et attachant, dont la plus grande qualité est sans doute qu’elle sait prendre le pouls d’une génération, aussi paumée que celles qui l’ont précédée, tout en lui donnant l’occasion de grandir à son rythme et selon les capacités et les ambitions de chacun.

Vu le 30 août 2012, au Club Marbeuf, en VO

Note de Tootpadu: