Taupe (La)

Taupe (La)
Titre original:Taupe (La)
Réalisateur:Tomas Alfredson
Sortie:Cinéma
Durée:127 minutes
Date:08 février 2012
Note:
En 1973, les tensions internationales dues à la Guerre froide sont à leur comble. Control, le patron des services secrets britanniques, envoie l’agent Prideaux en mission à Budapest, afin de récolter des informations cruciales sur une taupe soviétique qui aurait infiltré MI6 au plus haut niveau. Quand l’opération tourne au bain de sang, Control est contraint de démissionner et d’emmener son bras droit George Smiley avec lui. A la mort de son ancien supérieur, Smiley est réactivé secrètement par le gouvernement pour enquêter davantage sur le traître qui se cacherait au sein du bureau dirigeant de l’organisation.

Critique de Tootpadu

Chez John Le Carré, les agents secrets sont des anti-James Bond par excellence. Ils font travailler plus leurs méninges que leurs muscles. Leurs armes secrètes sont des informations, vraies ou fausses, obtenues par le biais de sources plus ou moins fiables, au lieu des derniers gadgets tonitruants conçus par Q. Et ils affrontent non pas un méchant caricatural qui veut imposer ses idées mégalomanes à l’humanité toute entière, mais des adversaires aussi blasés et fatigués qu’eux par la guéguerre bureautique et clandestine dont le morcellement rend impossible toute victoire définitive. Théoriquement, une telle description désabusée n’inviterait pas à un traitement cinématographique passionnant. Or, tandis que la régularité des missions de l’agent de sa majesté dépend essentiellement de la santé chancelante de sa maison de production, il arrive que des réalisateurs de qualité, comme récemment John Boorman et Fernando Meirelles, s’intéressent à l’univers plutôt réaliste et un brin poussiéreux de l’auteur. Après son film de vampires très correct, quoique guère révolutionnaire, Morse, le Suédois Tomas Alfredson était un choix surprenant pour mettre en scène une nouvelle adaptation de La Taupe, après la série de la fin des années 1970 qui avait marqué une génération révolue de spectateurs.
Et quelle bonne, voire quelle excellente surprise, le réalisateur remporte haut la main le pari de condenser l’intrigue complexe du roman en à peine deux heures d’un récit, dont la forme alambiquée accroît encore l’impression d’observer de l’extérieur un monde impénétrable, aux règles tellement tordues qu’aucune satisfaction ordinaire, aucune vérité irréfutable ne peuvent en sortir. A l’image des personnages pris au piège d’un filet opaque et visqueux, tissé de manœuvres à double tranchant et d’incertitudes sur tout et n’importe qui, nous ne tirons de ce film d’une élégance formelle exorbitante aucune stimulation émotionnelle. Toutefois, cette répression des sentiments correspond parfaitement à l’emploi des agents comme des pions sur un échiquier, où la moindre faiblesse et la moindre apparition d’une petite imperfection humaine peuvent signifier une mort certaine. D’ailleurs, on meurt sans le moindre cérémonial dans ce film au compte de cadavres étonnamment bas. C’est comme si dans le grand dessein filmique de Tomas Alfredson, les personnages constamment aux aguets n’avaient même pas droit à une ample séquence de disparition.
L’immense qualité de la mise en scène réside pourtant précisément dans cet attachement indéfectible à une narration minutieuse et cérébrale, qui ne laisse point de place aux chants de cygne grandiloquents. Par les temps de crise qui courent, où le moindre faux pas pourrait faire pencher l’équilibre délicat entre l’Est et l’Ouest vers un cataclysme nucléaire, un mort de plus ou de moins en guise de dommage collatéral d’enjeux plus importants ne mérite point l’attention de ces agents qui adhèrent néanmoins au jeu de dupes dépourvu de vainqueurs. A la fin, quand le traître aura été démasqué et que le sursaut insoupçonné d’une passion réprimée lui aura fait subir une punition irrévocable, quand les fidèles serviteurs auront troqué leur place contre celle des opportunistes aveuglés par leur propre démesure, et quand les subalternes idéalistes auront appris qu’il n’existe pas d’issue honorable à l’existence d’un tueur à gages pour la soi-disant bonne cause, c’est surtout le chemin qui y a mené au prix de multiples bifurcations qui nous aura agréablement grisé, tout en nous présentant un monde d’espionnage pauvre en adrénaline, mais carrément débordant de stratagèmes ambigus.
Face à la maestria de l’exécution globale d’un film qui administre un coup fortement revigorant au genre plutôt moribond de l’espionnage, il serait presque mesquin de revenir en détail sur les différents éléments qui constituent sa grandeur cinématographique. Faisons le quand même, puisque l’interprétation magistrale de Gary Oldman, que l’on a jamais vu aussi retenu et pourtant si intense, la bande originale de Alberto Iglesias, la photo de Hoyte Van Hoytema, et le montage de Dino Jonsäter, qui nous concocte un flux narratif dans les méandres duquel on n’hésite pas une seconde à se perdre volontairement, méritent toutes nos louanges !

Vu le 18 janvier 2012, à la Salle Pathé Lincoln, en VO

Note de Tootpadu: