Couleur des sentiments (La)

Couleur des sentiments (La)
Titre original:Couleur des sentiments (La)
Réalisateur:Tate Taylor
Sortie:Cinéma
Durée:146 minutes
Date:26 octobre 2011
Note:
Au début des années 1960, Skeeter Phelan rentre à Jackson, sa ville natale dans le Mississippi, à la recherche d’une première expérience en tant que journaliste. Mais tout ce que cette jeune femme diplômée obtient est un poste au journal local en tant que responsable de la rubrique des conseils ménagers. Tandis que ses amies d’antan sont toutes déjà mariées et ont des enfants, Skeeter cultive des ambitions au delà de ce cadre de vie préservé, qui met par ailleurs un point d’honneur à faire perdurer la ségrégation entre les races. Elle pense avoir décroché son ticket pour se faire un nom, quand elle se lie d’amitié avec Aibileen Clark, la domestique d’une de ses amies, qui est prête à lui confier ses secrets d’employée de maison tenue dans des circonstances humiliantes.

Critique de Tootpadu

Le cinéma américain adore se donner bonne conscience. Ses représentations de la guerre prétendent à critiquer le tempérament belliqueux de la politique de l’Oncle Sam tout en faisant l’apologie de cette façon agressive d’imposer une civilisation basée sur une conception de la liberté et de l’égalité des droits à peine appliquée chez soi. Et la démarche devient carrément hypocrite, lorsqu’il s’agit de dénoncer les iniquités sociales sur lesquelles se base pourtant en grande partie le modèle américain, depuis le massacre du peuple autochtone des débuts jusqu’au temps présent avec cette richesse trompeuse qui donne aux pauvres l’illusion du confort et du progrès sur l’échelle sociale, grâce aux crédits mirobolants et jamais remboursés. Le point de vue moral du cinéma américain se veut toujours sans reproche, tout en édulcorant un passé complexe qu’il ne convient de toute façon d’aborder qu’une fois que tout le potentiel explosif d’un sujet a été emporté par le vent.
Le traitement dégradant des bonnes dans le Sud des Etats-Unis relève ainsi de l’injustice sociale tout à fait révoltante. La dénoncer un demi-siècle plus tard, alors que tout le monde conviendrait dans un empressement politiquement correct de la décrier, fait cependant preuve d’une frilosité encore plus grande que celle des contes plein de bons sentiments avec lesquels Stanley Kramer cherchait jadis à faire évoluer les mentalités. Chanter les louanges d’un mariage mixte à une époque où pareil échange entre les races était considéré comme un sacrilège dans les lois, ou sinon au moins dans les esprits d’une partie importante de la population, quitte à ce que ce soit sous la forme d’un film aussi gentillet que Devine qui vient dîner …, cela démontrait certainement un plus grand courage civique que celui qui a dû animer les producteurs de ce pamphlet édenté et dépourvu de la moindre pertinence.
La mise en scène d’une médiocrité consternante de Tate Taylor ne cherche en effet à brusquer personne au fil des longues heures que dure La Couleur des sentiments. Comme dans la plupart des histoires édifiantes comparables, notre porte d’accès se trouve du côté d’un personnage blanc, voire blanc comme neige dans le cas présent, puisque le caractère irréprochable et donc moralement inattaquable de Skeeter est pour beaucoup dans l’ennui considérable que le film dégage. Sa croisade contre les coutumes archaïques de sa petite communauté préservée n’est jamais sérieusement mise en doute. Pire encore, la banalité humaine de la narration, très proche des enjeux esthétiques et dramatiques d’un téléfilm, n’arrive guère à nous manipuler assez pour faire oublier à quel point Tate Taylor et consorts s’appuient sur des caricatures et des poncifs désagréablement prévisibles dans le but de nous faire gober leur histoire fallacieusement progressiste.
Même si nous ne quittons pas la salle avec l’arrière-goût d’une certaine tarte dans la bouche, nous ne pouvons nous expliquer l’engouement du public américain, suivi sans doute prochainement par le plébiscite massif des institutions du cinéma, que par son besoin d’être rassuré sur le cours de choses, c’est-à-dire sur la certitude qu’il suffit de rendre compte d’une époque charnière de l’Histoire récente des Etats-Unis d’une manière conventionnelle et aseptisée, afin de mettre tout le monde d’accord – après coup bien sûr – que le racisme est une mauvaise chose. Nous partageons certes cette conviction depuis de longues années, mais ce ne sont pas des films aussi mous et inoffensifs, voire risibles et débordant de platitudes, que celui-ci qui nous y réconforteront.

Vu le 16 novembre 2011, à l’UGC Ciné Cité Bercy, Salle 16, en VO

Note de Tootpadu: