Le Havre

Le Havre
Titre original:Le Havre
Réalisateur:Aki Kaurismäki
Sortie:Cinéma
Durée:93 minutes
Date:21 décembre 2011
Note:
Le cireur de chaussures Marcel Marx vit avec sa femme Arletty dans un quartier populaire du Havre. Quand Arletty tombe malade et doit partir à l’hôpital, son mari est d’abord inconsolable. Mais la rencontre avec Idrissa, un garçon africain en route pour l’Angleterre qui a échappé à la police française quand celle-ci a découvert son groupe de réfugiés dans un container, lui donne des ailes. Avec le peu de moyens à sa disposition et l’aide de ses amis, le vieil homme va faire tout son possible pour permettre à son locataire clandestin de parvenir jusqu’au bout de son périple.

Critique de Tootpadu

Le retour à la langue française d’Aki Kaurismäki s’opère dans un état de grâce cinématographique. Alors que son dernier film francophone, le lugubre La Vie de bohème, compte parmi les films les plus déprimants que nous ayons vus, ce drame de réfugiés fait pour une fois largement l’impasse sur l’abattement moral qui caractérise la plupart des œuvres du réalisateur finlandais, pour s’aventurer plutôt du côté du conte doux-amer. La misère sociale et existentielle y est toujours bien présente. Mais en dépit de ce contexte précaire, Le Havre respire de cet optimisme rare et précieux que l’on ne trouve que dans les contes les plus sincèrement et les plus modestement édifiants.
Avant que le récit ne bascule avec un peu trop de complaisance dans le domaine du conte de fées sirupeux au moment de l’épilogue, le ton associe admirablement l’humour pince-sans-rire propre à l’univers d’Aki Kaurismäki à une histoire à la valeur humaine indiscutable. Alors que nous avons déjà vu, par les temps qui courent, de nombreux drames traitant des épreuves de ces nomades pour arriver à bon port – aussi illusoire cet El Dorado soit-il –, l’approche de ce film ne se laisse guère amadouer par la misère qui résulte d’une population en situation de faiblesse, déplacée au gré des bouleversements socio-économiques et des catastrophes naturelles. Le scénario prend bien sûr en compte l’étendue de ce dépouillement de toute dignité et de la menace imaginée qui émane de ce flux humain misérable, qu’il convient d’enrayer avec des comités d’accueil armés jusqu’aux dents. L’urgence inhérente à cette menace, en fonction du point de vue d’être appréhendé par la police des frontières ou bien de laisser des inconnus potentiellement dangereux circuler librement dans cette France qui n’est plus aussi hospitalière que cela, ne réussit cependant jamais à faire obstruction à l’état d’esprit désabusé, voire distant, dont les personnages du réalisateur détiennent le secret.
Située formellement quelque part entre l’aridité esthétique d’un Carl Theodor Dreyer et l’esprit de survivance fortement romancée d’un Casablanca de Michael Curtiz, notamment lors du dernier obstacle à franchir avant le regain de la liberté, cette histoire subtilement touchante s’emploie en même temps à bousculer justement avec douceur et fermeté le nihilisme, qui avait rendu pour nous le cinéma selon Aki Kaurismäki aussi antipathique et inaccessible jusqu’à présent. Le sursaut de solidarité qui se forme autour du vieillard, qu’André Wilms interprète avec un mélange fascinant entre la majesté de son projet et la pauvreté de son propre statut social, n’a rien de strictement édifiant. Il est plutôt la preuve rassurante que même les personnes les plus démunis et égoïstes peuvent parfois faire du bien, sans crier gare et sans s’en vanter d’une façon ostentatoire non plus.

Vu le 7 novembre 2011, au Club Marbeuf

Note de Tootpadu: