
Titre original: | Limitless |
Réalisateur: | Neil Burger |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 105 minutes |
Date: | 08 juin 2011 |
Note: | |
L’écrivain Eddie Morra est au bout du rouleau : il n’a plus rien écrit depuis des mois, faute d’inspiration, et sa copine Lindy vient de le larguer. En somme, il n’a plus rien à perdre quand il croise dans la rue Vernon, son ex-beau-frère et un dealer notoire, qui lui fait cadeau d’une pilule miracle, censée lui remonter le moral. L’effet de cette drogue confidentielle ne se fait pas attendre, puisqu’elle transforme Eddie en un surdoué qui a désormais accès à la totalité de son cerveau. Son ascension sociale fulgurante se fait toutefois au prix d’une dépendance accrue à la pilule, dont il ne détient qu’une quantité limitée.
Critique de Tootpadu
Impossible de ne pas être happé dès les premières minutes par ce thriller palpitant, qui réussit l’exploit rare d’associer une forme efficace à un fond solide, susceptible d’alimenter un nombre conséquent d’interprétations existentielles. L’immersion dans l’univers urbain où le protagoniste achèvera le parcours emblématique de l’épave humaine jusqu’au dirigeant charismatique est en effet immédiate, dès que la caméra s’enfonce dans la jungle des rues de New York. Cette prestance visuelle permet surtout à Limitless de maintenir une vigueur narrative, qui ne caractérise pas forcément le récit cadre et la description de l’existence déprimante d’Eddie Morra au début du film. En premier lieu une mise en bouche adroite, l’aspect visuel de la mise en scène de Neil Burger sait se faire plus discret, une fois que l’histoire abracadabrante sur la dépendance maladive de l’excellence a pris sa vitesse de croisière.
Car derrière son apparence savamment agencée d’un thriller haletant aux multiples revirements, ce film entreprend une lecture au vitriol de la course à la performance et du culte de l’ambition, qui sont peut-être les plus grandes tares de notre civilisation actuelle. Le côté positif, voire édifiant, du retour de l’ordre dans la vie déréglée du personnage principal s’estompe en effet très rapidement, au profit d’une manifestation inquiétante de la mégalomanie à l’état pur. Le gain subit en capacités mentales chez le héros pas sans reproche ne s’accompagne pas vraiment d’une prise de conscience morale. Au contraire, après avoir profité à satiété des avantages matériels que lui apportent ses nouveaux super-pouvoirs, Eddie s’engage sur la voie d’une consécration qui ne sert au fond qu’à sa propre glorification. Il dispose certes du bagage intellectuel pour comprendre le mécanisme cyclique dont il est indubitablement la proie (cf. son discours sur le déclin programmé des empires, pour se rendre intéressant dans les cercles mondains de New York), mais sa dépendance à la sensation éphémère de valoir plus que le reste de l’humanité réunie l’aveugle au point de faire de lui en fin de compte la marionnette par excellence. Si Eddie met de plus en plus sa santé en jeu, ce n’est pas pour améliorer durablement la condition humaine dans un sursaut d’altruisme, mais exclusivement pour satisfaire ses propres penchants égoïstes.
La prise répétée de la drogue fait de lui une sorte de carcasse humaine ultra-performante, impliquée dans une guerre concurrentielle dont la seule finalité serait le monopole de ces fameux comprimés transparents. A la fin, quand la route vers la présidence des Etats-Unis lui paraît grande ouverte et que ses anciens associés ne font déjà plus le poids face à son omniscience infaillible, il prétend être sevré de la substance nocive, alors qu’il n’a réellement entrepris qu’un troc entre la manifestation matérielle de celle-ci et son essence éthique infiniment plus dangereuse et insidieuse. Entre ses débuts de pochard intellectuel et l’aboutissement de son rêve de devenir l’exemple même du politicien cloné aux idées démesurées, il n’a pas compris que cette course effrénée à l’excellence ne s’arrêtera jamais et qu’elle demeurera pour toujours vaine, tant qu’il n’a pas fait la paix avec lui-même.
Les pistes d’interprétation ne manquent pas pour faire de ce film passionnant un pamphlet contre le fanatisme religieux ou bien contre la main-mise des franc-maçons sur l’activité économique de ce que l’on appelait autrefois les pays développés. La narration presque prodigieuse de Neil Burger ne propose pas de clef de lecture clairement définie pour réduire à un seul et unique champ de réflexion ce conte sur la perte irrémédiable des libertés individuelles au profit d’un contrôle draconien. Cette ambiguïté fait également la force d’un film, qui inspirera chez nous, on l’espère, une forme de volontarisme plus lucide et raisonnée que celui de ce vieux prodige d’Eddie Morra qui brûle la chandelle par les deux bouts.
Vu le 4 juillet 2011, à l’UGC Ciné Cité La Défense, Salle 10, en VO
Note de Tootpadu: