
Titre original: | Dernière piste (La) |
Réalisateur: | Kelly Reichardt |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 102 minutes |
Date: | 22 juin 2011 |
Note: | |
En 1845 dans l’Oregon, trois familles se séparent d’une caravane vers l’Ouest. Afin d’atteindre plus rapidement la terre promise, elles engagent Stephen Meek, un trappeur qui est censé connaître un raccourci. Au bout de quelques jours, le groupe est désespérément perdu dans un désert de pierre, sans le moindre espoir d’y trouver prochainement un point d’eau. Alors que la tension monte et que les pionniers se demandent sérieusement s’ils peuvent encore faire confiance à leur guide, une des femmes aperçoit un Indien.
Critique de Tootpadu
La ruée vers l’Ouest est le mythe américain par excellence, le genre de conte populiste sur lequel est fondé la compréhension que la nation de l’oncle Sam a d’elle-même, c’est-à-dire un hymne au volontarisme sans bornes et à la supériorité morale des envahisseurs sur les autochtones. Le cinéma hollywoodien a longtemps été le chantre consentant de cette légende, qui donnait invariablement le beau rôle à l’homme blanc sans se préoccuper des droits bafoués des Indiens. Il a fallu attendre les années 1970 – une décennie qui coïncide curieusement avec l’endormissement prolongé du genre du western –, pour avoir des cas isolés de films qui prenaient parti pour une civilisation violemment exterminée un siècle plus tôt. Avec son cinquième film, la réalisatrice Kelly Reichardt n’entreprend point une relecture de l’Histoire ou des différentes approches partisanes que ce chapitre sombre de la constitution du melting-pot américain a suscitées au fil du temps. Elle s’applique avant tout à observer la lente décomposition d’un noyau social, qui a du mal à résister à la manifestation de plus en plus insistante d’un instinct de survie élémentaire.
Par son ton qui se dirige imperceptiblement vers un cynisme à peine voilé, La Dernière piste ressemble au diptyque de Lars von Trier sur les Etats-Unis, Dogville et Manderlay. Dans un décor minimaliste et à travers une action qui ne l’est pas moins, ces films ont la témérité d’interroger la bonté de l’âme américaine. Après un tel sacrilège, la conscience nationale doit bien sûr laisser des plumes, et les pionniers de ce récit nullement édifiant n’ont pas du tout gagné en assurance à la fin de leur périple. Au contraire, ils sont arrivés au bout de leurs forces et des vestiges de leur bienséance, importée tout comme leurs convictions religieuses simplistes de la côte Est, pour se trouver obligés de confier désormais leur destin à la définition même de l’étranger, dont ils ne parlent pas la langue et dont les motivations dépassent leur entendement borné.
Les corps ont beau être pris dans l’engrenage d’un mouvement perpétuel, en se traînant jour après jour dans l’ombre des chariots bâchés, les esprits des personnages de ce film austère n’évoluent guère au cours de leur aventure à l’issue incertaine. L’étroitesse du cadre de la caméra peut alors être comprise à la fois comme un hommage au western original, qui se passait très bien du format large comme la plupart des films du maître John Ford l’attestent, et en tant que prison d’un groupe d’individus courageux pour entreprendre, certes, mais peut-être pas assez ingénieux lorsqu’il s’agit d’improviser et d’explorer de nouveaux chemins dans une situation précaire. La mise en scène de Kelly Reichardt et les interprétations très sobres d’un ensemble d’acteurs exemplaire ne démentent à aucun moment ce regard sans complaisance sur le quotidien éprouvant et monotone d’une conquête de l’Ouest, qui n’a probablement pas été aussi héroïque et spectaculaire que le souvenir collectif veut nous le faire croire.
Vu le 26 mai 2011, au Club Marbeuf, en VO
Note de Tootpadu: