Noir océan

Noir océan
Titre original:Noir océan
Réalisateur:Marion Hänsel
Sortie:Cinéma
Durée:91 minutes
Date:22 juin 2011
Note:
En 1972, trois jeunes appelés sont en mission dans l’océan pacifique à bord d’un navire de la Marine française. Massina s’est pris d’amitié avec le chien Giovanni, que son maître précédent a abandonné sur le bateau, tandis que Da Maggio, le clairon, prend inlassablement des photos qu’il envoie à ses parents en métropole pour qu’ils les développent. Seul Moriaty commence à comprendre toute l’ampleur de leur présence près de Mururoa, où la France ne va pas tarder à effectuer un essai nucléaire.

Critique de Tootpadu

La réalisatrice belge Marion Hänsel, qui célèbre avec Noir océan son dixième film, est une des rares cinéastes à savoir créer encore de la magie filmique ou – pour choisir un terme moins commercialement entaché – à perpétuer le mystère du cinéma dans toute sa splendeur et sa subtilité. Elle évolue certes dans les marges économiques du cinéma, puisque ses films n’ont jusqu’à présent jamais attiré les foules, mais son langage et ses choix esthétiques nous parlent déjà pour la troisième fois, après Dust et Si le vent soulève les sables, d’une façon qui nous subjugue profondément.
Ce très beau drame militaire n’a ainsi rien d’un pamphlet voyant contre les dérives du nucléaire. Sa structure narrative se dirige imperturbablement vers l’essai fatidique, sans que l’état d’esprit éthéré du film ne s’en voie sensiblement perturbé. Le ton du film est en effet dominé par un vague à l’âme dont Moriaty, joué par le sublime Adrien Jolivet, est en quelque sorte le porte-parole taciturne. L’oisiveté et le caractère superflu des exercices sont autant d’indices du début de la fin de la guerre à échelle humaine, tout comme les rapports de force au sein de l’équipage reflètent les tensions inhérentes à chaque microcosme social. Toutefois, l’essence même du film, son capital métaphysique, si une telle chose existe encore par les temps pragmatiques et soi-disant éclairés qui courent, se trouve du côté de la perte de l’innocence dans presque tous les sens du termes.
Alors que l’aura érotique de ces jeunes hommes se situe surtout dans le regard mystifiant de la caméra, à l’image de celui de Claire Denis et Agnès Godard dans Beau travail, la trahison des certitudes et la perte des repères dans un monde préservé laissent des séquelles psychologiques plus graves que ne le ferait un dépucelage sexuel forcé. La première séquence du film, autour du petit garçon qui cache quelque chose sous un arbre pour ensuite traverser la rivière afin de le retrouver, peut d’emblée apparaître énigmatique, voire prétentieuse. Une fois expliquée plus tard dans le film, elle constitue cependant un symbole fort de cette vérité déprimante, selon laquelle la vie ne se passe pas forcément comme on voudrait et ses aléas sont autant susceptibles de nous mener à la dérive que notre propre incapacité à accomplir nos ambitions.
Ce n’est bien entendu qu’une piste d’interprétation de ce film transcendant, pour solliciter un autre terme pas toujours utilisé à bon escient. Il lui manque sans doute la force dramatique et l’impact émotionnel du chef-d’œuvre précédent de la réalisatrice. Mais il apporte un point de vue esthétiquement sublime et exigeant du côté narratif, qui dépasse de loin la simple mise en garde contre cette épée à double tranchant du siècle passé que le nucléaire a été, et qu’il reste hélas toujours.

Vu le 5 mai 2011, à la Salle Pathé Lincoln

Note de Tootpadu: