Titre original: | Nom des gens (Le) |
Réalisateur: | Michel Leclerc |
Sortie: | Cinéma |
Durée: | 103 minutes |
Date: | 24 novembre 2010 |
Note: | |
Arthur Martin porte un nom qui lui permet de se fondre dans la foule. Ce fils d’un ingénieur nucléaire et petit-fils de juifs grecs déportés à Auschwitz, dont sa mère ne lui a jamais parlé, préfère ne pas faire de vagues. Son travail d’analyste de cadavres d’animaux lui permet de rester à l’écart de toute prise de risque et d’appliquer dans tous les domaines de sa vie le principe de précaution, cher à son idole Lionel Jospin. Sa rencontre avec Bahia Benmahmoud, une jeune fille qui n’hésite pas à se servir de son corps pour repentir des fachos présumés, va chambouler durablement sa petite existence rangée.
Critique de Tootpadu
Des personnages qui s’adressent d’emblée à la caméra et qui nous déballent leur biographie intime depuis leurs premiers balbutiements : on se demande tout de suite, mi-incrédule, mi-intrigué, où l’on a bien pu tomber avec ce deuxième film du réalisateur Michel Leclerc, après J’invente rien. Les dispositifs un peu artificiels dont se sert la narration pour introduire les deux protagonistes – auxquels se joindra par la suite l’interpellation à travers le temps d’Arthur adulte par son incarnation adolescente – agissent contre toute attente comme une formidable porte d’accès à la psychologie et, par effet de répercussion, à la compréhension des actes de ce couple mal assorti. Chaque personnage dans chaque film a forcément un passé et un bagage vital qu’il trimballe avec lui et dans lesquels les scénaristes puisent avec plus ou moins de détermination pour alimenter l’intrigue au présent. Dans le cas du Nom des gens, cet aspect biographique prend une importance infiniment plus grande. Il nous renvoie à l’évidence que nous sommes tous, tels que nous existons là, maintenant, à l’instant présent, le résultat de notre parcours personnel, dont la marque la plus durable reste sans aucun doute notre éducation, entreprise avec plus ou moins d’adresse et de dévotion par nos parents.
La dimension familiale de ce film, au ton d’une fraîcheur ébouriffante, n’est effectivement pas à sous-estimer. Car un de ses thèmes principaux est la quête des origines, ou plutôt la difficulté de nous approprier les traces de la vie de nos ancêtres, que nous portons constamment dans nos gènes et notre conscience individuelle. Tandis qu’Arthur vit mal son héritage juif, parce que ses parents ont préféré refouler les séquelles de la persécution au lieu d’y faire face ou de s’en réclamer, Bahia éprouve la même gêne pour trouver sa place dans la France d’aujourd’hui, en tant que métisse entre la culture algérienne et l’esprit contestataire des ‘68-ards. En toute légèreté, le film ose même s’attaquer à la bête noire du cinéma français qu’est la politique. Il ne se salit pas trop les mains en le faisant, puisque l’action se situe dans l’immédiat avant-Sarkozy, lorsqu’on parlait encore des risques épidémiques de la grippe aviaire. Son état d’esprit indéniablement de gauche lui donne cependant l’occasion de lancer quelques piques humoristiques et savoureuses dans toutes les directions, sans pour autant se leurrer sur les résultats tangibles de la mentalité de contestation, dont il fait assez subtilement la promotion.
Quant à la détermination générique du film, la confrontation entre la classe bourgeoise et le milieu populaire est certes un classique de la comédie sociale, mais Michel Leclerc a su la dépouiller de son caractère caricatural pour n’en garder que son essence humaine. Rapidement, le sort d’Arthur et de Bahia nous tient sincèrement à cœur, non pas parce que la différence de leur arrière-plan social nous réserve un nombre conséquent d’incongruités jubilatoires, mais à cause des petits signes d’affection et d’appréciation qui indiquent la naissance d’un grand amour, comme le couple de vieux qui ne réussit à prendre le métro que grâce à l’intervention hardie de Bahia, notée avec admiration par son compagnon. Cette complicité à travers les fossés de tempérament, ainsi qu’une sensibilité exceptionnelle à l’égard de la fragilité des sentiments – jamais plus évidente que lors de la séquence du cygne mort – font la force formidable d’un film, porté de surcroît par un ensemble d’acteurs phénoménal.
Vu le 27 novembre 2010, au MK2 Quai de Seine, Salle 2
Note de Tootpadu: